Afrique - Comment assurer la paix et la stabilité en Afrique ?
Quel sera désormais le cadre le plus approprié pour comprendre et régler les conflits et les facteurs d’insécurité sur le continent africain ? Depuis la fin de la guerre froide et le désengagement militaire des grandes puissances, on constate de la part de l’ensemble des acteurs concernés par ces questions au sein de la communauté internationale une tendance à vouloir chercher dans toutes les directions possibles les moyens d’assurer plus efficacement la gestion des crises et le règlement pacifique des conflits. L’exploration de voies multiples et différentes a sans conteste permis un processus de mobilisation et d’implication plus grand des principaux acteurs concernés, en l’occurrence les responsables africains.
Par ailleurs, l’existence simultanée de plusieurs niveaux d’intervention, de plusieurs cadres d’action est certainement bénéfique. Il n’est malgré tout pas inutile de s’interroger sur les risques d’incompatibilité, de concurrence ou de confusion, de déperdition d’efficacité que pourrait entraîner cette tendance à la démultiplication croissante des circuits de négociation et d’intervention. Sans pouvoir être ici exhaustif, on constate déjà que 1’articulation n’est pas simple à définir entre les niveaux sous-régional, continental, interrégional et international.
Le niveau sous-régional
Les efforts déployés ces dernières années, avec l’appui de la communauté internationale, pour assurer le traitement des problèmes de sécurité dans ce cadre sous-régional ont été notables.
En Afrique de l’Ouest, la communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a pu avancer de manière significative en s’impliquant dans la mise sur pied d’une force régionale, l’Ecomog, et dans les conflits du Liberia, de Sierra Leone et de Guinée-Bissau. Elle a en même temps montré les limites de ses capacités d’intervention, et surtout combien elle était dépendante du rôle joué par un Nigeria actuellement en pleine mutation politique et qui souhaite réduire notablement ses dépenses militaires et le volume des effectifs de ses forces armées.
En Afrique australe, mêmes efforts significatifs dans la communauté de développement de l’Afrique australe (Sade), qui regroupe quatorze pays de l’Afrique australe à l’océan Indien en passant par l’Afrique centrale et de l’Est ; un ensemble relativement hétérogène confronté au conflit en République démocratique du Congo dans lequel s’affrontent les uns contre les autres plusieurs de ses membres. Là encore, le rôle politico-militaire que décidera de jouer l’Afrique du Sud, pays le plus puissant de la Sade, qui reste encore largement incertain, sera un élément déterminant. Son hésitation et sa rivalité avec ses voisins comme l’Angola et le Zimbabwe constituent une limite sérieuse à 1’efficacité de la Sade, qui a pu être clairement constatée à l’occasion du dernier sommet de cette organisation en août 1999.
En Afrique de l’Est, seule l’Autorité intergouvernementale de développement (Igad), encore faiblement structurée et très controversée, cherche à jouer, non sans mal, un rôle dans cette zone marquée par le conflit soudanais, la crise somalienne, et l’affrontement entre l’Éthiopie et l’Érythrée.
Reste le Maghreb, qui, après une période d’effacement et d’isolement dans les affaires africaines, est en train de se replacer dans le continent. Changement de régime en Algérie avec l’élection d’Abdelaziz Bouteflika, puis au Maroc après le décès d’Hassan II ; volonté du président algérien de revenir nettement sur la scène internationale et notamment en Afrique (clairement exprimée lors du 35e sommet de l’OUA à Alger en juillet 1999) ; efforts de normalisation des rapports entre le Maroc et l’Algérie (confirmés en août 1999) ; enfin retour en force de la Libye sur la scène africaine depuis quelques mois, au fur et à mesure qu’elle règle le dossier de son implication dans les attentats terroristes : autant d’évolutions importantes à prendre en considération.
Le niveau continental
Le 35e sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), qui s’est tenu à Alger en juillet dernier, a connu une participation exceptionnelle avec 38 chefs d’État et 6 chefs de gouvernement. Ce record d’affluence sans précédent depuis la naissance de l’OUA est sans doute lié aux révolutions récentes algérienne et libyenne, mais montre surtout le rôle politique que les pays membres et la communauté internationale souhaitent de plus en plus voir jouer à l’organisation dans le domaine politico-militaire. Le fait que ce sommet ait été dominé par les conflits africains, les problèmes de terrorisme, la condamnation des coups d’État, montre bien ce souci. La déclaration finale qui insiste sur le respect de l’intangibilité des frontières, le règlement des conflits ou les efforts à accomplir concernant les droits de l’homme, traduit la volonté de donner aujourd’hui à l’OUA la possibilité d’être, en la matière, une référence pour tout le continent et un interlocuteur crédible pour la communauté internationale. « Nous voulons rétablir la crédibilité de l’Afrique et de ses institutions », a déclaré le nouveau président en exercice de l’OUA, l’Algérien Bouteflika. L’Afrique a voulu redorer son image, par exemple en condamnant avec fermeté les auteurs de coups d’État. Elle a aussi cherché à donner un second souffle à l’OUA, ce qui apparaît comme un défi plus ardu.
Compte tenu de la faiblesse de ses moyens propres, de l’ampleur des difficultés économiques et politiques à surmonter, on sait bien que les capacités d’intervention de l’organisation et ses possibilités d’imposer son autorité à ses membres resteront encore longtemps trop faibles. Si déjà elle parvient à définir et à faire accepter par tous ses membres des règles claires et précises pour le règlement des conflits et la sécurité, comme elle est parvenue malgré tout à le faire concernant le problème des frontières, et si elle renforce son rôle de coordination entre les organisations régionales du continent et le reste de la communauté internationale, elle parviendra à occuper un créneau à la fois réaliste et utile. Il reste aujourd’hui à savoir si ce renouveau auquel elle prétend n’est pas générateur de risques et d’illusions. Le sommet extraordinaire qui devait se tenir en septembre 1999 en Libye, et qui avait pour ambition de réviser la Charte de l’OUA, apparaît comme un test de réalisme.
Le niveau interrégional
L’Europe reste le principal interlocuteur et partenaire de l’Afrique. En février 2000, entrera en vigueur la nouvelle Convention entre les pays de l’Union européenne et les 71 pays Afrique-Caraïbes-Pacifique qui économiquement, mais aussi politiquement, aura un effet important sur l’évolution de la place de l’Afrique dans le monde. Si, en particulier, un nouveau système de conditions politiques sanctionnant plus systématiquement les manquements aux principes démocratiques s’impose dans la nouvelle Convention, et que du côté européen les quinze membres de l’UE, notamment la France, y adhèrent, les conflits entre la logique de sécurité et de stabilité, qui caractérisaient les relations bilatérales entre pays africains et pays européens, et la logique démocratique et de bon gouvernement appliquée dans un cadre multilatéral, provoqueront sans aucun doute des changements importants. En avril 2000, un sommet UE-Afrique est prévu au Caire, pendant la présidence européenne du Portugal. Il sera un révélateur de l’évolution des relations entre ces deux entités.
Le niveau international
Depuis son arrivée au secrétariat général de l’Onu, Kofi Annan s’est efforcé, malgré les fortes réticences américaines, de revaloriser le rôle de l’Onu en Afrique et de rationaliser les interventions de l’Organisation mondiale dans le domaine de la sécurité dans ce continent par rapport aux actions des organisations sous-régionales et de l’OUA. Il a dynamisé la réflexion sur le maintien de la paix et la sécurité en Afrique, par exemple sur le règlement et la négociation des conflits, sur la démobilisation et la réinsertion des combattants, sur la prolifération des armes légères, etc. Surtout, suite à la signature le 10 juillet 1999 par les représentants de six pays de l’accord de cessez-le-feu en République démocratique du Congo, il a engagé le processus d’une nouvelle intervention de l’Onu en faveur du déploiement d’une force de maintien de la paix en Afrique centrale, à laquelle, à la fin du mois d’août 1999, 25 États se sont déclarés prêts à participer. Compte tenu de la nature même du conflit dans ce pays et dans la zone des grands lacs, la mise en œuvre de cette nouvelle opération onusienne de maintien de la paix, qui interviendrait après une phase de retrait de l’Onu consécutive à son échec en Somalie, et son articulation avec les autorités sous-régionales et celles de l’OUA vont aussi servir de modèle très utile à la définition de structures mieux appropriées pour traiter les questions de sécurité en Afrique. ♦