Afrique - Niger : démocratisation et coups d'États
Le Niger a connu le 9 avril 1999 le troisième coup d’État militaire depuis son indépendance. Cet immense pays sahélien enclavé de 1 267 000 kilomètres carrés (12 % des terres sont cultivables), dont la population est estimée à 9,3 millions d’habitants (environ 55 % d’Haoussas et 800 000 Touaregs), subit ainsi les soubresauts d’une interminable transition et d’un laborieux processus de démocratisation lancé en 1991 et dont les résultats sont bien peu encourageants.
Le premier coup d’État avait eu lieu en avril 1974 contre le président Hamani Diori, père de l’indépendance (élu en 1960, réélu en 1965 et 1970), l’un des inspirateurs de la création d’une communauté francophone, réputé francophile et modéré, mais qui avait résisté aux pressions pendant la guerre du Biafra et décidé de soutenir le régime fédéral de Lagos. Le colonel (puis général) Seyni Kountché qui l’avait renversé gouvernera le pays pendant treize ans, sans partis, ni Parlement, ni élections, avec un Conseil militaire suprême : la stabilité sans la démocratie. Et quand Kountché meurt d’un cancer en 1987, les militaires installent au pouvoir l’un des leurs, le colonel Ali Saibou, chef d’état-major, qui changera la Constitution, libéralisera un peu la vie politique, mais maintiendra le parti unique (Mouvement national pour la société de développement).
À partir de 1990, les tensions sociales sont plus fortes, la revendication démocratique monte en puissance. Sous la pression de la rue et des partenaires extérieurs, une Conférence nationale est réunie de juillet à octobre 1991, qui instaure une transition, mais sans parvenir à dégager des orientations claires et crédibles pour le pays. C’est à partir de là que l’enlisement politique commence et que le jeu politicien au Niger devient complexe et multiplie les impasses et les dérapages. Ali Saibou, pendant cette transition de dix-sept mois, reste président symbolique, flanqué d’un Haut Conseil de la République et d’un Premier ministre. C’est dans un climat de difficultés économiques et de fortes rivalités personnelles entre dirigeants que se préparent la nouvelle Constitution et les élections qui ne dégagent pas une majorité stable. Divisions, tensions, cohabitation : la crise est latente, même si l’ouverture politique incite les bailleurs à aider le Niger à relancer son économie, avec à la tête de l’État le président Mahamane Ousmane, le Premier ministre Hama Hamadou, et le président de l’Assemblée Mahamadou Issoufou, appartenant tous les trois à des partis différents.
Vingt-deux ans après le premier coup d’État militaire, l’armée nigérienne décide de réagir à la confusion politique sans se préoccuper des enjeux et des risques d’une interruption brutale de la démocratisation. Cette armée, forte de 7 500 hommes, est dirigée par des officiers formés dans des écoles françaises, mais aussi marocaines, américaines et interafricaines. Depuis 1991, son budget est indéfini et elle connaît des difficultés matérielles de plus en plus grandes. En outre, elle est en pleine phase de réforme. Autant de facteurs qui nourrissent son inquiétude et sa méfiance à l’égard des responsables politiques et des dix-neuf partis existant alors dans le pays.
Le 27 janvier 1996, le deuxième coup d’État militaire est de facture classique : institutions suspendues et remplacées par un Conseil de salut national, partis politiques interdits. Alors que le rythme des coups d’État a sérieusement ralenti depuis la fin des années 80 sur le continent (il n’y en a pas eu un seul en Afrique francophone à cette date depuis le mythique sommet de La Baule) et que les processus électoraux se répandent et deviennent le mode normal de conquête du pouvoir, les réactions internationales à ce putsch du 27 janvier sont nombreuses, très hostiles et entraînent vite une suspension des aides.
L’homme qui s’installe au pouvoir à Niamey est le chef d’état-major des FAN (Forces armées nigériennes), le colonel Ibrahim Barré Maïnassara, formé en France, ancien aide de camp de Kountché, ancien ministre, ancien ambassadeur, ancien chef d’état-major particulier du président de la République en 1993. Sous la pression, il admet rapidement la nécessité d’un retour à un fonctionnement démocratique des institutions, nomme un gouvernement civil et annonce des élections. Encore une nouvelle Constitution en mai 1996 et une élection présidentielle en juillet. Le colonel Barré est candidat et élu dès le premier tour. Son parti remporte les législatives. Le nouveau Premier ministre Amadou Cissé rétablit la confiance des bailleurs. Les oppositions voient le pouvoir malgré tout confisqué et refusent de tout céder au nouveau régime, attendant de nouvelles élections. En février 1998, des mutineries se produisent dans plusieurs régions du pays, dans les garnisons de Diffa, Agadès, Zinder et Arlit. Les mutins réclament surtout le paiement des arriérés de leurs soldes. Après un accord avec l’opposition qui demande toujours la démission du colonel Barré, des élections municipales, départementales et régionales sont organisées en février 1999. C’est la coalition de l’opposition qui l’emporte, mais les résultats sont annulés dans près de la moitié des circonscriptions. L’opposition appelle début avril à des manifestations contre ces annulations. Cette nouvelle crise confirme que le Niger ne parvient toujours pas à surmonter les difficultés d’une transition ratée et à rendre compatibles stabilité et démocratisation.
Le 9 avril au matin, Ibrahim Barré Maïnassara est assassiné par des éléments de sa garde personnelle. Troisième coup d’État, cette fois sanglant ; et toujours dans la confusion. Le chef d’état-major est, dit-on, sollicité pour prendre le pouvoir et refuse. C’est le commandant Daouda Mallam Wanké, chef de la garde présidentielle, qui est nommé président et qui maintient en poste le même Premier ministre après avoir instauré un Conseil de réconciliation nationale.
Le putsch sanglant est largement condamné dans toute l’Afrique, parfois avec virulence. La France suspend son aide, et l’Union européenne annonce la même intention. Cette fois, la classe politique nigérienne accepte le coup d’État, dialogue avec le commandant Wanké et ne s’oppose pas, dans son immense majorité, à ce qu’il n’y ait aucune enquête sur le meurtre du colonel Barré. Le commandant Wanké est, comme son prédécesseur, sous la pression extérieure. Il annonce que les militaires ne resteront pas au pouvoir plus de neuf mois et qu’un référendum constitutionnel, des élections législatives et présidentielle seront organisés dans les meilleurs délais.
Le cycle de l’instabilité sera-t-il cette fois surmonté alors que les mêmes acteurs continuent de dominer la vie politique ? Jusqu’à présent, et depuis le début de la décennie, en dehors des pays en guerre, les cas de démocratisation bloquée, de retour à la pratique des coups d’État sont devenus très rares. En Sierra Leone et à Sao Tomé, les présidents élus renversés par des putschistes ont été rétablis dans leurs fonctions. En République démocratique du Congo ou au Congo-Brazaville, ce sont des logiques de guerre qui ont conduit au renversement des anciens dirigeants. Dans l’examen des progrès de la démocratisation, le cas du Niger mérite d’être suivi avec attention. ♦