Afrique - Le XXe sommet franco-africain
La vingtième conférence des chefs d’État d’Afrique et de France s’est tenue à Paris du 26 au 28 novembre 1998. Un quart de siècle après la première rencontre franco-africaine qui s’était déroulée à Paris et qui avait rassemblé les représentants de 10 pays francophones (dont 6 chefs d’État), ce dernier sommet a largement battu tous les records de participation, et jamais sans doute depuis les indépendances, autant de pays du continent n’avaient été représentés à l’occasion d’une telle rencontre à un si haut niveau.
Pas moins de 34 chefs d’État africains étaient présents à Paris, ainsi que 3 vice-présidents (Afrique du Sud, Gabon, Nigeria), sept Premiers ministres (Tunisie, Éthiopie, Maurice, Swaziland, Lesotho, Guinée-Bissau et Zambie). Étaient également présents (et actifs) MM. Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies et Ahmed Salim Ahmed, secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine. Au total, 49 pays africains sur 53 étaient présents. Trois n’étaient pas invités (Libye, Soudan et Somalie). L’Algérie, invitée, a renouvelé sa décision de ne pas participer à ces sommets. Les absences les plus remarquées ont été celles du Gabonais Omar Bongo, occupé par les élections dans son pays et opposé au trop grand élargissement de ces sommets, le Tchadien Idriss Deby, hospitalisé à la dernière minute en Arabie saoudite, le président Vieira de Guinée-Bissau bloqué par ses négociations avec son opposition armée, l’Angolais Eduardo Dos Santos, pourtant très attendu en raison du rôle régional important joué désormais par son pays.
Ce succès notable quant à la participation est tout à fait significatif de l’évolution de la politique africaine de la France. Il apparaît en premier lieu que malgré la baisse notable de son aide publique au développement, de ses investissements économiques ou du nombre de ses coopérants et de ses ressortissants sur le continent, malgré la réduction en cours de sa présence militaire et sa nouvelle politique de non-interventionnisme, la France conserve une influence politique importante en Afrique et qu’elle reste, parmi les grandes puissances occidentales, une référence pour les responsables politiques du continent. En second lieu, ce sommet a permis de constater et de mesurer l’intérêt de l’ensemble des États à l’égard des efforts déployés par Paris ces dernières années pour redéfinir une nouvelle politique africaine, en particulier depuis le grave échec politique au Rwanda. Basée notamment sur la recherche d’une appréciation plus globale des questions africaines et d’un nouveau dialogue avec tous les pays qui ne faisaient pas partie du cercle privilégié des amis francophones, cette politique a visiblement suscité chez les dirigeants anglophones un véritable intérêt. En cherchant à se débarrasser de ses habits de « gendarme de l’Afrique » et de ses pratiques un peu trop exclusivement centrées sur ses anciennes colonies, la diplomatie française a confirmé à l’occasion de ce sommet son souci de vouloir devenir davantage un médiateur, un témoin, intéressé par les enjeux du continent, et en tout cas décidé à y réorienter sa présence dans une optique plus systématiquement multilatérale, aussi bien avec les Nations unies et l’OUA qu’avec l’Union européenne. Cette évolution, qui semble un peu décevoir certains dirigeants francophones des pays de « l’ex-champ », non seulement intéresse les autres, mais encore paraît tout à fait convenir aux responsables de l’Onu et de l’OUA préoccupés par les fortes réticences américaines à voir les Nations unies s’engager davantage en Afrique.
Le thème retenu pour les discussions de ce XXe sommet était celui de la sécurité en Afrique : un thème maintes fois abordé au cours des précédents sommets, mais qui reste aujourd’hui aussi prioritaire que préoccupant quand on constate que pas loin de la moitié des pays africains sont confrontés et impliqués directement ou indirectement dans des conflits ou des crises de différentes natures. Les débats des séances à huis clos avaient été organisés sur plusieurs grands thèmes. Le premier était celui de la gestion des conflits et du maintien de la paix, commencé par un exposé général du président togolais Gnassingbé Eyadéma (1) insistant sur l’importance de la mise en place de modules de force en attente à partir desquels pourront être constituées des forces africaines de maintien de la paix, et sur les succès obtenus récemment dans la gestion des conflits par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et de sa force d’intervention Ecomog.
Un second exposé sur le même thème a été présenté par le Nigerian Okhai Akhigbe, vice-président et chef d’état-major des armées, plus axé sur l’expérience de l’Ecomog et sur les décisions récentes de la Cédéao d’instaurer un mécanisme permanent de gestion des conflits. Le président du Mozambique, Joachim Chissano, a présenté la problématique de la reconstruction des pays ravagés par la guerre.
De son côté, le président du Mali, Alpha Konaré, est intervenu sur le thème du trafic des armes légères en Afrique et de ses conséquences sur le maintien de la paix. « Environ 100 à 200 millions de ces armes sont en circulation dans le monde hors du contrôle des États, a-t-il expliqué. Environ 50 millions seraient en Afrique, dont 8 à 10 millions en Afrique de l’Ouest ». Ce trafic apparaît comme un élément majeur de la prolifération des conflits africains. « La multiplication des centres de pouvoir armés par la création d’organisations privées de sécurité, de milices de partis politiques, d’organisations armées à base ethnique, clanique ou autres, a expliqué Alpha Konaré, constitue un défi au pouvoir des États. On a vu à certaines occasions les forces de sécurité de l’État faire face à des groupes organisés mieux armés. Dans ces conditions, au lieu du règne de l’État de droit, les pays vivent une situation permanente d’État de jungle où la seule force demeure celle des armes ». Évalué à quelque 8 milliards de francs par an, soit un tiers du total des ventes d’armes internationales, ce trafic implique souvent les anciens pays membres du pacte de Varsovie et la Chine, et le plus souvent est dirigé vers les pays du Sud en conflit dont les belligérants ne peuvent s’approvisionner librement par des filières officielles. Il paraît aujourd’hui particulièrement difficile à maîtriser, malgré les initiatives engagées par les Nations unies ou dans la sous-région.
Les débats de fond entre chefs d’État sur les questions de sécurité ont largement confirmé les tendances récentes en faveur du développement des capacités africaines de maintien de la paix et la nécessité, pour que les Africains puissent réussir à prendre mieux en charge leur sécurité, d’un appui extérieur important de la communauté internationale et des Nations unies. Si la nouvelle architecture de sécurité de l’Afrique pour les prochaines décennies commence à se dessiner plus clairement, la réalité actuelle des conflits qui déchirent le continent reste encore difficile à maîtriser. Le conflit en République démocratique du Congo, qui a occupé une bonne partie des énergies des participants à ce XXe sommet Afrique-France, en est une parfaite illustration. Les discussions franches, parfois brutales, entre les chefs d’État directement impliqués dans ce conflit, et pour la plupart présents à Paris, ont été appréciées par tous et ont donné un relief incontestable à cette rencontre. Elles ont aussi permis de dégager un cadre acceptable pour une solution politique. Toutefois, elles n’ont pas suffi pour imposer un accord et rendre crédible son application. ♦
(1) Voir en tête de ce numéro l’article du président Eyadéma : « La force d’interposition africaine ».