Afrique - L'Angola de nouveau au bord de la guerre civile ?
Le 20 novembre 1997, à l’occasion du troisième anniversaire de la signature des accords de Lusaka qui définissaient les conditions d’un règlement politique en Angola (démilitarisation de l’Unita, formation d’une nouvelle armée et nouveau statut politique pour le mouvement de Jonas Savimbi), il y avait encore quelque espoir et un certain optimisme sur les chances de voir ce pays sortir enfin de cette guerre civile qui le déchire depuis 1975. On estimait alors que la situation internationale et régionale avait évolué dans un sens de plus en plus favorable au régime de Luanda. Malgré les difficultés importantes dans l’application de ces accords, il apparaissait que l’Unita, en position défavorable, avait finalement intérêt à chercher à obtenir le plus d’avantages possibles en jouant la carte de la paix. En 1997, des députés de ce mouvement siégeaient au Parlement angolais et 11 ministres participaient au premier gouvernement d’unité nationale, le Gurn. L’Onu transformait son énorme dispositif de l’Unavem (sa plus importante opération de maintien de la paix avec 7 000 casques bleus) en mission d’observation (Monua) de quelques centaines d’hommes. En mars 1998, même l’Unita déclarait officiellement sa démilitarisation totale, était reconnue comme parti politique, et son chef Jonas Savimbi bénéficiait d’un statut spécial de « chef du principal parti d’opposition » avec des droits et des privilèges semblables à ceux d’un vice-président de la République.
Un an après, en novembre 1998, c’est à nouveau le plus grand pessimisme qui règne à propos de la situation politico-militaire interne de l’Angola. Dans les mois qui ont précédé sa mort accidentelle en juin 1998, le représentant spécial de l’Onu, le Malien Alioune Blondin Beye, constatant la nouvelle dégradation de la crise angolaise, affichait son total découragement. L’Unita, sur la défensive, refusait de rendre à l’administration centrale le contrôle de ses fiefs, et ayant conservé clandestinement des capacités militaires notables, revenait à l’offensive pour reconquérir des localités préalablement rendues au régime en place, reprochant à celui-ci de vouloir organiser l’élimination de ses partisans et de son mouvement par l’application des dispositions de Lusaka. En quelques semaines en tout cas, plusieurs centaines de morts ont été provoquées par ces combats. À Luanda, dans cette situation, on joue d’abord sur les pressions de la communauté internationale contre l’Unita et sur l’isolement diplomatique croissant de Jonas Savimbi, retranché dans ses places fortes de Bailundo et d’Andulo. Les pays de la « troïka » (États-Unis, Russie et Portugal) chargés de la surveillance des accords de Lusaka, le Conseil de sécurité des Nations unies, la France, l’Union européenne, l’OUA, les 14 pays membres de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) condamnent l’Unita les uns après les autres et l’accusent d’être le principal obstacle à la paix. Les sanctions de l’Onu et de l’Union européenne se multiplient. Dans la région, depuis la chute de Mobutu en mai 1997, l’Unita a perdu son plus fidèle allié et ses principales bases arrière. La chute de Pascal Lissouba au Congo et le retour de Denis Sassou Nguesso, proche d’Eduardo Dos Santos, réduisent encore sa marge de manœuvre pour ses approvisionnements. Les armées angolaises ont soutenu Laurent-Désiré Kabila. Elles sont intervenues au Congo. Elles vont de nouveau intervenir massivement en République démocratique du Congo en 1998, après avoir fait le constat que l’Unita bénéficiait encore dans ce pays de nombreuses complicités. Luanda fait également fortement pression sur la Zambie pour qu’elle soit moins laxiste à l’égard des réseaux de l’Unita.
À partir d’août 1998, le gouvernement angolais engage une épreuve de force politique interne contre l’Unita. Le 2 septembre, il appuie une scission au sein de ce mouvement. Cinq hauts responsables de celui-ci, dont Eugenio Manuvakola, secrétaire général et signataire des accords de Lusaka (ni Jonas Savimbi ni Eduardo Dos Santos n’avaient voulu apposer leur signature sur ce traité), décident de créer une nouvelle direction de l’Unita et prennent position pour la paix. Ils sont aussitôt reconnus comme interlocuteurs par le gouvernement angolais, qui décide de suspendre les ministres et les députés de l’Unita de leurs fonctions, d’abroger le statut spécial de Savimbi, et qui parvient à faire reconnaître ce mouvement dissident par les dirigeants de la SADC lors du sommet de Port-Louis le 15 septembre.
Les progrès laborieusement obtenus entre 1994 et 1995 dans l’application des accords de Lusaka sont désormais en train de partir en fumée. Les chances d’une solution politico-militaire globale et équilibrée, fragiles depuis le début, sont aujourd’hui redevenues quasi nulles. Jonas Savimbi se retrouve dans ses fiefs, qui représentent encore une part notable du territoire angolais, en situation d’opposition armée. Les efforts coûteux déployés par les Nations unies pour organiser le désarmement des troupes de l’Unita se révèlent illusoires. Selon les observateurs, Savimbi dispose de quelque 35 000 hommes et de moyens militaires importants. Il contrôle encore quelques zones diamantifères qui lui permettent d’obtenir de substantielles ressources financières, quoiqu’en diminution. Les ventes clandestines de diamants par l’Unita avaient été évaluées à 500 millions de dollars en 1997, et selon les mêmes sources officieuses devraient atteindre 100 millions de dollars cette année. L’Angola est de nouveau au bord de la guerre civile.
Le nouveau représentant spécial de l’Onu, le Guinéen Issa Diallo, expérimenté et fin politique, a pu constater depuis septembre 1998 qu’il ne pouvait difficilement y avoir d’issue politique crédible à la crise angolaise sans une vraie négociation avec Jonas Savimbi. Même si les chances d’une reprise d’une telle négociation sont devenues vraiment faibles, elles restent la dernière carte possible à jouer par les Nations unies. En accord avec le secrétaire général Kofi Annan, Issa Diallo a donc cherché à rétablir directement le dialogue avec le chef de l’Unita, mais sans rien d’autre à lui offrir que l’application stricte des accords de Lusaka, c’est-à-dire le désarmement intégral de ses troupes.
Soumis aux sanctions de l’Onu et de l’Union européenne, condamné par l’OUA et par tous les pays de la région, Savimbi vient d’être politiquement blâmé par les États-Unis. Le sous-secrétaire d’État américain pour l’Afrique, Mme Susan Rice, a déclaré, le 29 octobre à Luanda, que Washington n’avait « aucun doute sur le fait que l’Unita était le principal responsable de la paralysie du processus de paix ».
Le gouvernement angolais, fort de ses énormes richesses pétrolières, de ses capacités à jouer un rôle politico-militaire régional, du soutien très largement majoritaire de la communauté internationale qu’il a su conquérir, a devant lui le choix entre deux options. La première consiste à poursuivre la stratégie d’isolement, d’étouffement de l’Unita et à chercher à rallier un nombre croissant de dissidents pour transformer progressivement ses adversaires en simples criminels. La seconde est de profiter d’une situation aussi favorable pour éliminer l’Unita par une offensive armée rapide et brutale. ♦