Afrique - La révision de la politique de coopération militaire française en Afrique
Étant donné la prolifération des conflits et des guerres civiles qui se sont développés dans le continent ces dernières années, la France prend, dans le domaine militaire, de plus en plus nettement ses distances. Le discours politico-militaire français sur l’Afrique affirme très formellement « la fidélité, l’adaptation et l’ouverture ». Cependant, les chiffres et les faits prouvent très clairement le sens de l’évolution de cet engagement militaire dans une partie du continent qui a donné à sa présence globale, depuis la décolonisation, un caractère si particulier.
Accords de défense et interventions armées nombreuses et souvent très controversées jusqu’aux années 90, déploiement de forces permanentes, coopération et assistance militaire technique : cet engagement était constitué d’un dispositif assez complet, concentré dans une vingtaine, puis une trentaine de pays (dits « du champ »), fonctionnant dans un cadre politique et administratif différencié du reste de la politique militaire extérieure de la France.
Sans revenir sur les longs débats et controverses que ce déploiement militaire français en Afrique a toujours suscités, surtout dans la période de sa plus forte montée en puissance entre 1974 et 1994, ni sur le cheminement complexe qui a abouti l’an dernier à la mise en œuvre d’une profonde réforme d’ensemble des structures de la coopération française, et de la nouvelle politique africaine, plus distanciée, qui cherche à se recomposer, on peut désormais confirmer le constat qu’avec la fin du siècle cette page originale de l’action extérieure de la France se tourne, alors que les énergies s’orientent résolument vers la relance de la dynamique européenne de défense.
Les bilans, analyses et statistiques élaborés à l’occasion de la préparation du budget pour l’année 2000 confirment la nouvelle tendance. Comme les années précédentes, on constate que, depuis l’opération Turquoise au Rwanda, la fin de l’interventionnisme militaire français en Afrique semble durablement s’installer, avec un large consensus politique dans le pays, que la cohabitation depuis 1997 a notablement consolidé.
Ainsi en 1999, aucune intervention militaire française proprement dite n’a été opérée dans le continent ; seulement une série d’opérations plus ou moins discrètes, de faible ampleur et dont le coût (une centaine de millions de francs) ne représente que bien peu, comparé aux quelque 4 milliards de francs de la participation française aux opérations internationales au Kosovo et dans l’ex-Yougoslavie au cours de la même année : soutien au Cameroun conformément à l’accord de défense, surveillance des zones pétrolières au large du golfe de Guinée, aide aux populations et protection des installations françaises à Djibouti, garde et protection des ambassades ou de ressortissants français en Centrafrique, au Congo, en Guinée-Bissau… Tel est le bilan modeste de la dernière année, auquel il faut ajouter les participations françaises aux opérations de maintien de la paix des Nations unies : 3 observateurs à la Monua (Angola), 22 observateurs à la Minurso (Sahara occidental) et 9 militaires français à la Minurca (Centrafrique), sur un effectif total de la force de 1 252 hommes.
La politique à l’égard de la zone des grands lacs illustre bien cette évolution. Il paraît bien fini le temps des interventions au Zaïre (1977-1978) ou au Rwanda (de 1990 à 1994). La France s’est pour l’heure placée diplomatiquement en affichant un soutien aux accords de Lusaka. Elle appuie le projet de déploiement d’une force des Nations unies lent à mettre en œuvre, et pour la préparation duquel elle a envoyé quelques observateurs militaires ; mais elle n’a plus, ou pas, de présence, de relation ou de coopération militaire significative avec les principaux pays de la région impliqués dans le conflit : ni la République démocratique du Congo, ni le Rwanda, ni le Burundi (à l’exception de l’envoi de quelques stagiaires dans des écoles africaines pour la gendarmerie et l’aviation légère), ni le Zimbabwe ou l’Ouganda, ni même l’Angola (4 stagiaires dans les écoles africaines en 1999 et 2 postes de coopérant technique militaire prévus pour l’an 2000). La présence militaire en Centrafrique est notablement réduite (plus de forces prépositionnées et 18 coopérants militaires prévus pour l’an 2000 contre 63 en 1996), ainsi qu’au Congo Brazzaville (4 postes de coopérants pour l’an 2000) ; pas non plus enfin de coopération dans ce domaine avec la Tanzanie ou la Zambie. Dans l’ensemble donc, une présence ou un effet militaire pratiquement inexistants dans la principale zone de crise et de conflit du continent, et une action à cet égard totalement recentrée sur l’action diplomatique (soutien aux accords de Lusaka et projet de conférence sur les grands lacs) et sur la machine onusienne pour le maintien de la paix.
Hors l’opération Épervier au Tchad, le coût du maintien de forces prépositionnées en Afrique au sud du Sahara a atteint 3 milliards de francs en 1997, et est évalué à environ 2,3 milliards en 1999. Il reste largement supérieur au coût de la totalité de la coopération militaire et de défense, mais il tend à diminuer. Le volume de ces forces à Djibouti, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Tchad, a été réduit à 6 308 hommes en 1999 et tombera à 5 600 en 2002. Les missions de ces forces ont d’ailleurs été redéfinies pour qu’elles soient directement impliquées dans les programmes de formation et les manœuvres du projet Recamp (renforcement des capacités africaines de maintien de la paix), dont par exemple l’exercice Gabon 2000, en janvier 2000, avec une quinzaine de pays africains et occidentaux. Quant aux forces stationnées à Djibouti, elles contribuent désormais plus largement aux actions de la France dans les pays du Golfe, dans les Émirats arabes unis, à Oman ou au Qatar.
Reste la coopération militaire avec l’Afrique, également réorganisée avec la disparition de la mission militaire de coopération et la création au ministère des Affaires étrangères d’une direction de la coopération militaire et de défense, dont la mission est de redéployer au profit du « hors-champ » au moins 3 % des crédits chaque année, selon la décision du Conseil de défense de 1998. Ainsi l’ensemble des crédits de cette direction passeront de 761,5 millions de francs en 1999 (dont 650,5 pour les pays du « champ » et 110,9 pour le « hors-champ ») à 754,7 millions en l’an 2000, dont 622,4 millions pour les pays de l’ex-« champ » et 132,3 millions pour le Maghreb, le Proche-Orient et l’Europe centrale, orientale et balkanique.
Le nombre de coopérants militaires dans les 24 pays africains qui relevaient de l’ex-mission militaire de coopération sera de 354 en 2000 (plus 12 au Cambodge) contre 700 en 1996 (et 1 000 en 1981), soit une réduction de 50 % au cours des cinq dernières années. L’évolution est aussi nette pour ce qui concerne l’accueil de stagiaires militaires africains dans les écoles françaises : 676 en 1999 (sur un total de 1 717 stagiaires militaires étrangers), contre 1 800 au début des années 80. ♦