Nos embarras de mémoire
Il est au premier abord malaisé de détecter un fil conducteur dans cet ouvrage collectif. La référence affichée à l’« Alsace-Moselle » (terme, on le sait, historiquement et administrativement mieux adapté que celui communément employé d’« Alsace-Lorraine ») ne repose en effet ici en tout et pour tout que sur l’initiative d’une association régionale, sur un lieu de rencontre certes emblématique (Schirmeck) et sur une unique communication parmi la douzaine que comporte le livre. Disons que la présentation initiale des questions débattues, « l’évolution des incriminations, la délitescence de la temporalité et le brouillage des cadres spatiaux des mémoires collectives » ne sont guère de nature à éclairer le lecteur moyen.
Au fur et à mesure toutefois, grâce à la conclusion de Jean-Pierre Rioux qui dirigea les travaux, apparaît plus distinctement le thème sur lequel se rencontrent les différents contributeurs, en majorité historiens : la confrontation entre mémoire et histoire. Ces spécialistes à la recherche de faits authentiques et vérifiés se heurtent à des interprétations discutables et à des exploitations à visée idéologique qui les placent effectivement dans l’« embarras » et les agacent quelque peu : « légèreté dans l’emploi des mots » comme l’abus du terme de génocide ; pratique de l’amalgame conduisant à une sorte de reductio ad hitlerum chargée d’englober la totalité des méfaits enregistrés au cours de la Seconde Guerre mondiale ; « cycle frénétique des repentances » se traduisant par l’inflation des journées commémoratives (six créées entre 1993 et 2006, plus « cinq en stock ! ») et aboutissant, comme dans le cas de l’Algérie ou plus généralement de la colonisation, à la concurrence entre « camps mobilisés » autour de deux sortes d’histoire sainte ; image d’Épinal enfin, d’une population toute héroïque et résistante sous l’occupation, et en particulier « zones d’ombre » dans le comportement de certains Alsaciens…
Fidèles à leur vocation, nos auteurs ne se veulent « ni juges, ni avocats ». Chacun apporte son message, parfois de façon véhémente, n’hésitant pas à aborder des sujets épineux comme celui de l’indemnisation des « enfants de la Shoah ». Devant les « revendications énoncées sous couvert d’histoire » et la « surenchère mémorielle », il arrive à l’historien de « ne plus reconnaître ses petits ». Il souhaite au moins que, dans un climat dépassionné, l’école évite de confondre « devoir de mémoire et travail d’histoire »… Et aussi que nous cessions de « gémir sur le passé » !