Il était une fois des militaires. Chronique d'une mutation en cours
Il était une fois des militaires. Chronique d'une mutation en cours
Dans une société qui évolue, les militaires ne parviennent pas à déterminer ce qui est à l’origine de leur mal-être ni à en préciser les contours. Leur métier se transforme et laisse libre cours à l’exagération, le galvaudage et l’amalgame. Il semble leur échapper. Partant de là, le colonel Mignot nous livre une étude pertinente sur ce qu’est, devient et risque de devenir un métier auquel il est particulièrement attaché.
Grades, uniformes et symboles sont appropriés par des professions qui ne partagent ni les mêmes sujétions, ni les mêmes formations, ni les mêmes renoncements, ni les mêmes valeurs. Le sens de la mort au combat, l’un des fondements majeurs de l’institution, s’efface au profit d’une mise en scène civile qui le ramène au niveau du regrettable accident professionnel. Le chef pompier, baptisé colonel, appelle à la grève au journal de 20 h. L’officier de police peut supplanter l’officier de gendarmerie tout en conservant son droit de retrait et son inscription syndicale. Au total, nous dit l’auteur, la perte d’identité n’est plus supportable.
Nous vivons dans un monde ou le mot « guerre » est devenu politiquement incorrect, mais qui se bande les yeux devant les conflits qui s’éternisent. La place laissée aux opérations militaires communément admises se rétrécit de plus en plus au profit d’une présence active et directement utile auprès de la population. L’armée française s’en serait fait une spécialité. L’homme de guerre est en passe de se transformer définitivement en artisan de paix lointaine et d’ordre public à l’étranger. Bien que le maintien de l’ordre ne soit jamais la guerre, l’idée que l’action du soldat, hier formé au combat se rapproche singulièrement de celle du gendarme, et donc de celle du policier, se renforce régulièrement dans l’opinion publique. La mission de sauvegarde maritime elle-même, faute de moyens adaptés, se fait au détriment du volet puissance maritime. Bref, les deux missions confiées à des forces de combat, le contrôle des foules et la sauvegarde maritime, montrent qu’une mutation a déjà été opérée quant à la vocation et l’emploi des forces armées françaises.
Pourtant, assure l’auteur, la césure entre défense et sécurité n’a pas lieu d’être, surtout au détriment de la première. Il existe en effet des signes forts qui montrent que la vocation des armées de se préparer au combat demeure : tensions étatiques, régimes barbares, arrivée d’autres acteurs sur la scène internationale. Comme le suggère son adresse « À mes ancêtres militaires, à mes enfants qui ne le seront pas », le colonel Mignot désespère d’une fonction qui se transformerait au point de perdre son sens. C’est peut-être aller vite en besogne. L’amalgame des fonctions, reflète à tout le moins la fascination non dite des acteurs civils pour les attributs militaires. Outre que les galons flamboyants du portier d’un grand hôtel n’en font pas pour autant un amiral, force est d’admettre que les armées, à des degrés divers, se sont laissé tailler des croupières dans ce domaine jugé, à tort, accessoire, sans jamais reprendre l’initiative. L’histoire balaye les tièdes tout comme ceux qui n’assument plus avec force l’identité qui les distingue. Le glissement des missions est un fait, autant qu’une constante de l’histoire. Je suis moi et ma circonstance écrivait Ortega y Gasset. Les Légions ont construit le mur d’Hadrien, les Gardes suisses le grand canal de Versailles, l’armée britannique a fait du maintien de l’ordre en Irlande et nous pourrions poursuivre indéfiniment. Les « tâches ménagères ne sont pas sans noblesses » disait le Paul Volfoni des Tontons flingueurs et la pseudo-militarisation d’un certain nombre d’acteurs étatiques n’empêchera jamais la rude sanction des faits. À l’heure du grand chambardement rien ne vaut l’outil militaire. Le vrai. Le Prince qui l’ignore n’entend rien au tragique de l’histoire et aux cultures des peuples.
Quant à la sauvegarde de l’avenir elle constitue le cœur de notre affaire. La reconfiguration du panorama géopolitique, à elle seule, suffit à inciter à la plus grande prudence dans l’évaluation de l’avenir et la place du militaire. Que notre colonel se rassure. Les faits sont têtus. Le soldat revêtu de son uniforme, contraint par un code rigide, et porté par la noble ambition de servir, a encore un avenir bien assuré. Encore faut-il qu’il ne doute pas, et qu’il le fasse savoir. Reconnaissons que la chose n’est pas aisée.