Russie - Les chemins de la puissance
Russie - Les chemins de la puissance
Isabelle Facon, déjà à l’origine de nombreux travaux sur la Russie, revient ici sur la Russie d’après 1991, qui durant une décennie a connu une crise importante et profonde. Spécialiste des questions liées aux politiques de sécurité et de défense russes, elle dresse le portrait d’une Russie fière de son Histoire et dont les ambitions actuelles reposent encore et toujours sur cette croyance d’un destin à part. Pour saisir toute la complexité de la pensée politique de la Russie, il faut comprendre la vision qu’elle a d’elle-même, cela permet d’expliquer ses choix stratégiques et les relations qu’elle entretient avec le reste du monde.
Fardeau ou chance ? Telle est la question que nous devons nous poser concernant la Russie et son histoire… En tant qu’ancienne grande puissance elle estime qu’elle doit revenir sur le devant de la scène internationale et participer aux prises de décisions dont elle a pu être exclue après son rejet de l’URSS. Le chemin pour retrouver son rôle passé de puissance n’est pas aisé, certainement dû à son héritage conquis sous la période impériale et durant l’ère soviétique, la Russie s’enferme dans des représentations tenaces qui viennent dicter ses décisions tant au niveau interne, qu’externe. L’auteur revient sur les caractéristiques de la Russie puis sur ses relations internationales et enfin sur les instruments qu’elle a à sa disposition pour redevenir ce qu’elle fut dans le passé.
Les caractéristiques territoriales ont créé à la fois un sentiment de puissance, mais aussi d’inquiétude du fait de la vulnérabilité de ses frontières. Face à cette question, la Russie a pratiqué une politique de défense basée sur une méfiance persistante envers ses voisins. Ce qui explique les nombreuses conquêtes réalisées durant l’Empire, manière de pallier ses faiblesses, mais aussi la nature des relations qu’elle peut entretenir aujourd’hui avec l’Europe et les États-Unis.
Dans une certaine forme de nostalgie, la Russie semble vouloir perpétuer les oppositions passées, comme si elles pouvaient lui permettre de retrouver sa grandeur d’antan. Dans sa relation avec les États-Unis, le spectre de la guerre froide est toujours là, et la Russie, même si elle ne s’oppose plus directement et constamment à son ancien ennemi, reste distante et pose un regard critique sur les décisions que ce dernier peut prendre. La Russie l’accuse de vouloir la pousser à investir de manière disproportionnée dans le secteur militaire l’empêchant ainsi de prétendre redevenir une puissance moderne.
Concernant sa relation avec l’Europe, elle s’est toujours sentie menacée pensant que ses ressources naturelles attisaient les convoitises. Elle a notamment regardé avec scepticisme l’élargissement de l’Otan vers l’Est, dans la mesure où il s’agissait pour elle de « zones tampons » avec l’Europe. Aujourd’hui encore, nous constatons que les relations entre l’Union européenne et la Russie sont loin d’être exemptes de méfiance et de réticence. Mais paradoxalement, pour retrouver le chemin de la puissance, la Russie sait qu’elle doit suivre « l’idée de grandeur par l’Europe ».
Se détachant de ces alliances ou craintes passées, la Russie se tourne aujourd’hui vers l’Asie et plus particulièrement vers la Chine pour réussir son retour sur la scène internationale. Elle rejoint ainsi les pays émergents dont l’objectif est de trouver une autre solution à la pensée occidentale. La Russie reste néanmoins consciente que la Chine peut être une rivale pouvant affaiblir sa puissance, leurs relations restent donc encore incertaines et ambiguës.
Le rôle de Vladimir Poutine pour favoriser le retour de la Russie sur la scène internationale a été primordial, souhaitant « le retour de la Russie à elle-même » et ainsi renouer avec son passé, après une absence dans les années 90, où elle vivait une crise interne liée en grande partie à la réorganisation du territoire suite à la dislocation de l’URSS. Frustrée de n’avoir pu être présente durant cette décennie, Poutine entendait bien réformer le pays, phase obligatoire pour espérer pouvoir revenir sur la scène internationale. Il a ainsi remis à l’ordre du jour une centralisation forte du pouvoir afin d’acquérir une meilleure gestion du territoire et imposer ses décisions.
Malgré une conjoncture économique favorable, la Russie connaît un retard important au niveau technologique. L’État russe souhaite aujourd’hui intégrer le facteur militaire dans sa quête de puissance et de reconnaissance. Mais ses difficultés économiques freinent considérablement sa volonté de s’engager dans « un nouveau cycle technologique ». Pourtant elle sait que s’intégrer dans l’économie globalisée est une condition nécessaire pour un retour sur la scène internationale ; elle mise ainsi sur la « diversification » et la « modernisation ». La Russie depuis son indépendance s’attache à la notion de multilatéralisme qu’elle considère « comme un multiplicateur de prestige et un protecteur de ses intérêts » venant ainsi réduire son sentiment de vulnérabilité.
L’étude de la Russie sous un angle historique est un choix pertinent, mettant en évidence les idéaux et les ambitions d’une ancienne puissance qui cherche son chemin pour retrouver la gloire passée et s’établir durablement aux premiers rangs de la Planète. ♦