Marine - Marine et nouvelles technologies de l'information
Disposer d’informations est un élément invariant et fondamental de toute stratégie militaire. Aujourd’hui, la fusion des mondes de l’informatique et des télécommunications, alliée aux nouvelles capacités des systèmes d’observation et de surveillance, a créé une réelle rupture dans la conduite des opérations. Pour la première fois, un chef militaire peut envisager une connaissance instantanée du théâtre des opérations et en tirer toutes les conséquences.
L’information circule sur de vastes réseaux à couverture mondiale. Elle se trouve disponible à un même instant, aussi bien à proximité de sa source qu’à des milliers de kilomètres au sein d’un centre de commandement. Véhiculée par ces réseaux, elle peut être largement partagée et faire l’objet de toutes sortes de traitements, d’analyses, mais aussi de déformations, de manipulations ou d’attaques. Ce domaine est devenu en quelques années un nouvel espace de bataille, dont l’objectif est d’obtenir la supériorité par l’information avant toute action sur l’adversaire.
Les réseaux au cœur de la « maîtrise de l’information »
Pour les forces navales, le principal bouleversement va porter sur le passage progressif d’une organisation centrée sur les bâtiments à une organisation orientée « réseau ».
Dans le premier cas, le bâtiment de combat est le lieu où s’effectuent la fusion et l’analyse des informations ; il dispose d’un ensemble cohérent et autonome, partagé entre des capacités d’information, de traitement, et d’action.
Dans le second, l’information pertinente est véhiculée par les réseaux ; ces derniers pénètrent au cœur du bâtiment et remettent en cause son autonomie. Celui-ci dispose toujours de capacités d’action, mais l’information qui circule à grande vitesse sur les réseaux est commune avec des organismes extérieurs. L’analyse peut faire l’objet d’un travail partagé — dit coopératif — entre ces derniers. L’action peut être contrôlée et dirigée très précisément par ces organismes et le bâtiment ne disposera pas obligatoirement de toute l’information nécessaire. Il se trouve alors séparé en différentes entités fonctionnelles plus ou moins pilotées de l’extérieur selon leur vocation.
Les prémices de cette mutation sont patentes, mais leur nature révolutionnaire dans la conception des systèmes d’armes navals est encore aujourd’hui difficile à saisir. La transition s’effectuera progressivement tout au long de la décennie, les premières unités « réseaux » seront les frégates multimissions dotées de missiles « antiterre » et les bâtiments de commandement comme les NTCD (1).
Les échanges d’informations
Concernant l’échange d’informations, de nombreux réseaux et systèmes existent déjà. En fonction de leur vocation, ils peuvent être répartis selon trois niveaux.
Tout d’abord, celui des échanges en « temps utile », via les réseaux mondiaux. Ces réseaux Intranet (2) reposent sur des technologies et moyens issus de l’Internet. Ils permettent les échanges relatifs à la consultation entre autorités, au commandement des forces et à la conduite de l’action.
Celui des échanges en « temps réel », via les LADT (liaisons automatiques de transmission de données tactiques). Ces liaisons sont le support des échanges d’informations tactiques entre les systèmes de combat et permettent de coordonner l’emploi des armes. C’est par leur intermédiaire que s’élabore la situation tactique dans la zone d’opérations. Leur paysage devient particulièrement complexe avec l’arrivée de la liaison 16 (3), et bientôt de la liaison 22 (4).
Enfin, celui de l’engagement coopératif. Les unités y échangent non plus des informations, mais directement les plots issus de leurs différents capteurs ; un système de combat virtuel en réalise la fusion et optimise alors, dans la force, l’emploi des armes. Un tel système est aujourd’hui en service au sein de la marine américaine, mais il est pour le moment limité à la défense contre les missiles. Ce troisième niveau n’est pas aujourd’hui un objectif pour la marine nationale, mais des études sont conduites.
L’enjeu pour la marine
En raison de cet environnement, la marine a choisi de s’engager de façon résolue dans ce concept de « maîtrise de l’information ». Il nécessite de se tourner vers le monde des réseaux globaux et des nouvelles technologies, mais il est clair que son rythme et ses perspectives d’évolution lui échappent.
Les moyens nécessaires à sa maîtrise sont dans une large mesure imposés : d’une part, par l’évolution de technologies en grande partie civiles et transférées au monde militaire par nos alliés américains ; d’autre part, en raison de la nature de plus en plus interarmées des SIC (5), qui pousse à les réaliser en concertation, voire en coopération.
En même temps que cette révolution de l’information, l’organisation du commandement a également évolué. À côté des structures permanentes liées aux zones maritimes, la marine doit se doter de structures modulables et activables en fonction des circonstances, afin d’assurer le commandement d’une composante maritime. Le commandement de la force interarmées déployée (CJTF (6)) s’appuie à présent sur des commandants de composante qui lui sont subordonnés, les MCC, LCC et JFACC (7).
L’enjeu des années à venir est donc à la fois de réussir le passage à la « maîtrise de l’information » et de fournir le soutien SIC indispensable à ces nouvelles structures de commandement.
Perspectives et ligne de conduite
L’entrée dans l’ère de l’information devrait à terme modifier en profondeur de nombreuses structures ainsi que des habitudes de travail. Les défis concernent tout autant les ressources humaines et l’organisation des SIC que les programmes d’armement.
Dans les programmes d’armement pour les cinq années à venir, les grands projets actuellement lancés concernent :
– le domaine des LADT (8), qui vise à maîtriser l’image tactique dans une zone d’opérations. Exploiter ces dernières dans un environnement multiliaisons et multiréseaux est aujourd’hui indispensable, c’est l’objet du programme Prisme LDT (9) qui vient d’être lancé ;
– l’importante augmentation des capacités satellitaires qui conditionnent l’accès aux grands réseaux interarmées et permettent de surmonter la rupture terre-mer, c’est l’objet des améliorations Syracuse II, du programme successeur, mais aussi de systèmes complémentaires, principalement civils, qui sont appelés à prendre une place croissante ;
– le lancement de SIC 21 (10) — successeur d’Acom (11) pour l’aide au commandement — avec comme premier objectif l’équipement du MCC en 2002, puis une généralisation à partir de 2004 ; enfin en liaison avec les autres armées, la définition d’un réseau Intranet naval au sein du réseau interarmées du théâtre d’opérations, avec le projet Rifan (12) à partir de 2002-2004.
Les autres systèmes de télécommunication ne doivent pas pour autant être négligés, car ils ne sont pas remplacés par les nouveaux réseaux et en constituent le socle et l’environnement indispensables à la cohérence d’ensemble, et notamment à l’interopérabilité tactique entre unités.
Concernant l’organisation, il s’agit de développer une structure de commandement et de soutien SIC adaptable aux circonstances et apte à mettre en œuvre l’ensemble des nouveaux équipements et moyens avec des spécialistes des domaines des télécommunications, de l’informatique, du renseignement et de la communication.
Enfin, concernant les ressources humaines, il faut adapter à la fois les métiers, la formation, les cursus de carrière, et les postes du personnel de la marine à cette dimension nouvelle qu’est la « maîtrise de l’information ». Ainsi, dans les années à venir, la structure « management de l’information » de la marine devrait s’en trouver profondément modifiée. ♦
(1) Nouveau transport de chalands de débarquement.
(2) Réseaux globaux de télécommunications dont l’appellation varie selon leur couverture CWAN (Combined Wide Area Network), WAN/MAN/LAN (Wide/Metropolitan/Local Area Network).
(3) L 16 : liaison à haute cadence d’informations qui équipe ou équipera très prochainement le PA Charles-de-Gaulle, les FAA, le Rafale et le Hawkeye.
(4) L 22 : liaison en cours de développement et qui devrait à terme remplacer la L 11 dont le débit en informations est trop limité ; elle devrait être installée à partir de 2005 sur les premières unités.
(5) SIC : système d’information et de communication selon la nouvelle définition interarmée.
(6) CJTF : Commander Joint Task Force ou Comanfor, commandant de niveau opératif.
(7) MCC : Maritime Component Commander ; LCC : Land Component Commander ; JFACC : Joint Force Air Component Commander.
(8) LADT : liaisons automatiques de données tactiques, qui comprennent la L 11 en service depuis de nombreuses années, la L 16 en cours d’installation sur diverses unités et la L 22 à l’horizon 2005.
(9) Prisme LDT : programme d’intégration des systèmes de liaisons de données tactiques pour la marine.
(10) SIC 21 : (système d’information et de commandement pour le XXIe siècle).
(11) Acom : noyau logiciel commun aux systèmes de commandement actuellement en service dans les états-majors et unités de la marine (Sycom 2, Aidcomer, Opsmer).
(12) Rifan : réseau interne de force navale, réseau de type Intranet destiné à être la composante navale du WAN interarmées du théâtre des opérations ; il sera précédé à court terme par un e-mail de force navale en HF.