Les volontaires de l’aube
Philippe Lacarrière, inspecteur général des Finances, fut bien connu au ministère de la Défense, non comme militaire, mais comme administrateur. Jeune homme, il fit partie de la Résistance et le « devoir de mémoire » l’a poussé à retracer les parcours variés de ceux qui ont dit « non » en ralliant celui qui avait montré la voie.
Le pas est franchi le plus souvent individuellement, ou par très petites équipes. Même lorsque le mouvement est collectif, comme dans les cas de la 13e DBLE, des territoires d’AEF ou de l’île de Sein, il est déclenché par quelques fortes personnalités qui entraînent leurs subordonnés (voire leurs supérieurs !) ou leurs voisins. C’est dire que les dizaines de noms cités dans ce livre le sont chacun à la suite de décisions personnelles, sagement mûries ou brusques, suivies d’aventures périlleuses, parfois acrobatiques ou pittoresques (au point de rappeler des épisodes de La grande vadrouille), réussissant le plus souvent à force de courage, d’astuce et d’obstination, débouchant ailleurs sur des échecs navrants dus à l’imprudence, la trahison ou la malchance. Toutes ces entreprises hasardeuses vécues dans des situations extrêmes (allant du vol d’un avion sur une base allemande à une interminable traversée saharienne) font des récits non pas une fastidieuse série d’« états signalétiques et des services », mais une succession de romans captivants.
Il existe pourtant des points communs. En particulier, certes fréquemment marqués par la tradition et approuvés par des familles inquiètes mais faisant passer le patriotisme avant la sécurité, il s’agit de jeunes, parfois d’adolescents, car c’est à cet âge qu’on est le plus audacieux et enclin aux ruptures. A contrario, les responsables plus âgés sont aussi plus sensibles aux conséquences d’un tel geste pour eux-mêmes et pour la collectivité dont ils ont la charge. On suivra à cet égard avec intérêt, à partir d’une position initiale à peu près identique, les itinéraires divergents des gouverneurs Éboué et Boisson. Les héros de Lacarrière sont en majorité, au moment du choix, militaires de carrière ou occasionnels, ce qui oriente l’ouvrage vers l’épopée des Français libres plus que vers celle de la Résistance intérieure, encore que le passage de l’une à l’autre au cours des missions ou au gré des hasards de la guerre ne soit pas rare. En même temps, pèse sur eux le poids de la discipline dont les effets deviennent fratricides, car elle transforme les tenants de Vichy en justiciers (avec tout de même bien des complicités discrètes !) et inhibe en particulier les marins, exaspérés en outre par le coup de Mers el-Kébir.
L’héroïsme dont il est question ici est finalement fort différent par nature de celui des combattants de la Grande Guerre. En 1914, il était en quelque sorte « officiel », applaudi par la nation unanime. Après l’armistice de 1940, il est clandestin, incompris, risque d’être sanctionné au nom du droit commun, ou considéré comme un acte de trahison.
Cet ouvrage fait œuvre pie. Élément d’une collection dédiée à la Résistance, il est forcément manichéen, il ne pouvait en être autrement. Certains des « volontaires de l’aube » ont laissé leur vie dans les combats. D’autres ont fait par la suite de brillantes carrières, facilitées peut-être par un choix téméraire qui, lorsqu’il fut prononcé, les projetait dans l’inconnu et leur promettait plus d’épreuves et d’angoisses que d’avantages. ♦