Afrique - Espoir de paix au Burundi ?
Le médiateur du conflit burundais, Nelson Mandela n’a pas ménagé ses efforts, pressions et mises en garde, pour imposer à toutes les parties l’organisation à Arusha en Tanzanie d’une grande cérémonie de signature des accords de paix le lundi 28 août, en présence du président américain Bill Clinton et d’une dizaine de chefs d’État.
Un tel aboutissement des longues et complexes négociations politiques entamées en juin 1998 et relancées par l’ancien président sud-africain depuis décembre 1999 à la suite du décès du précédent médiateur, l’ancien président tanzanien Julius Nyerere, n’était pourtant pas du tout évident. À la veille de la signature, la plupart des acteurs burundais engagés dans ces négociations manifestaient encore leur désaccord avec nombre de points fondamentaux du texte.
Le Burundi, petit pays d’Afrique centrale de 27 800 kilomètres carrés, peuplé de plus de 6 millions d’habitants, est confronté depuis son indépendance en juillet 1962 au problème de la domination politique des Tutsis, pourtant minoritaires (15 % de la population), sur la majorité hutue (85 % de la population). Le major Pierre Buyoya, qui prend le pouvoir en septembre 1987, tente alors de faire évoluer la situation politique en nommant un Premier ministre hutu ; en faisant adopter par référendum une nouvelle charte de l’Unité nationale, puis, en 1992, une nouvelle Constitution instaurant le multipartisme et interdisant les partis ethniques, régionaux et religieux ; et en formant un gouvernement mieux équilibré, à majorité hutue. Des élections, en 1993, portent au pouvoir un président, Melchior Ndadaye, et une majorité hutus. Cependant, l’assassinat de celui-ci en octobre 1993, les massacres ethniques qui s’ensuivent, la mort de son successeur, Cyprien Ntaryamira, lors de l’attentat contre le président rwandais Habyarimana en avril 1994, puis la dégradation de la situation régionale marquée par la crise rwandaise, la guerre civile au Zaïre et l’extension du conflit dans toute la région des grands lacs, ont plongé le Burundi dans une longue phase d’instabilité, qui finira en 1996 par le retour en force de l’ancien président Pierre Buyoya au pouvoir.
Les pays de la région, qui souhaitent le retour à l’ordre constitutionnel et l’ouverture de négociations avec la rébellion, instaurent alors un embargo contre le Burundi. La communauté internationale prend aussi ses distances avec ce pays tout en poussant aux négociations. Pierre Buyoya se lance alors dans un processus de réconciliation interne baptisé « Partenariat », et finit par accepter le principe de négociations sous l’égide d’un médiateur, en l’occurrence Julius Nyerere. Ces négociations ne sont pas très avancées quand Nelson Mandela reprend cette médiation. Celui-ci parvient à mobiliser davantage la communauté internationale, à restructurer la négociation et à établir un projet d’accord.
Les parties à cette négociation, auxquelles cet accord de paix a été soumis, sont les suivantes : d’abord le gouvernement dirigé par le président tutsi Pierre Buyoya ; ensuite, l’Assemblée nationale à majorité hutue issue du Parlement élu de 1993 ; enfin, les dix partis tutsis d’une part, dont l’ancien parti unique Uprona (Union pour le progrès national) et regroupés au sein du G 10, les sept partis pro-hutu d’autre part, dont le Frodebu (Front pour la démocratie au Burundi), regroupés au sein du « G 7 ».
N’ont pas pris part directement et formellement à la négociation, les mouvements armés (les Forces pour la défense de la démocratie et les Forces nationales de libération, toutes deux pro-hutues) et les partis extrémistes tutsis. Les FDD basées en Tanzanie et en RDC sont évaluées à quelque 15 000 hommes, les FNL déployées dans la région du Bujumbura rural comptent environ 1 500 hommes, alors que l’armée burundaise dominée par les Tutsis compte quelque 50 000 hommes.
En forçant la cadence pour obtenir la signature, fin août, d’un accord de paix encore loin d’être vraiment accepté par les parties, Nelson Mandela, appuyé fortement par le président Clinton qui s’est déplacé lui-même pour la signature, et la majorité de la communauté internationale, a sans doute permis d’accélérer le processus, mais il a pris un certain nombre de risques. En premier lieu, on est loin d’avoir constaté sur le terrain une réduction de la violence qui, de fait, a regagné en intensité au cours des semaines qui ont précédé la signature, ce qui ne laissait pas beaucoup d’optimisme sur un éventuel cessez-le-feu. En second lieu, il est apparu que cette pression a eu pour effet pervers de pousser les mouvements tutsis, d’une part, et les mouvements hutus, d’autre part, à resserrer leurs rangs les uns face aux autres et d’affaiblir les efforts d’alliances transethniques en faveur du processus de paix.
Enfin, sur de nombreux points essentiels, tels que le choix de la personnalité chargée de diriger le pays pendant la période de transition, la restructuration de l’armée dans le sens d’un meilleur équilibre ethnique et incluant des éléments de l’opposition armée, la réforme électorale ou les enquêtes sur les massacres interethniques, il n’y a pas eu de consensus clair et fiable entre les parties.
À la suite de la grande cérémonie d’Arusha du 28 août 2000, il était prévu que Nelson Mandela mît un terme à sa médiation et prît du recul par rapport au conflit burundais. Quels que soient les progrès accomplis grâce à cette médiation, et malgré l’existence d’un texte de référence pour le processus de paix, l’optimisme n’est pas de rigueur pour la suite des événements au Burundi. Un accord de paix accepté par tous et appliqué immédiatement aurait permis à ce pays, qui est pratiquement le seul dans cette zone à avoir tenté une réelle expérience de démocratisation, de surmonter les difficultés liées aux effets du conflit qui déchire l’ensemble de la région, et peut-être même d’accroître les chances de la paix dans le reste de l’Afrique centrale.
Alors que l’accord de Lusaka signé en septembre 1999, et qui avait suscité tant d’espoir concernant le conflit en République démocratique du Congo, n’a pas été appliqué et est même désormais sérieusement remis en question, le cas du Burundi, après celui de la Sierra Leone où un accord de paix controversé a produit des effets catastrophiques, il y a lieu de s’interroger sur l’efficacité et la portée de ces processus de négociation sur la dynamique de paix en Afrique. ♦