La recherche scientifique et la Défense nationale
Les mobiles qui ont poussé et qui poussent, les hommes vers la recherche scientifique, c’est-à-dire qui leur font s’efforcer de connaître et d’utiliser les phénomènes de la nature, sont très divers. Il y a la curiosité qu’ils éprouvent devant les énigmes qui nous entourent et la joie d’en trouver la solution, il y a le désir de se servir de la connaissance des lois naturelles pour améliorer les conditions de leur vie quotidienne, pour la rendre plus aisée, plus agréable ou moins périlleuse. Mais, de tout temps, il y a eu aussi le souci qu’a tout homme de se défendre contre les dangers qui le menacent, contre les attaques dont il peut être l’objet, notamment de la part de ses congénères. Il faut bien dire que souvent le perfectionnement des armes a eu pour but de faciliter l’attaque plutôt que la défense, car les sentiments agressifs sont malheureusement assez spontanés dans le cœur humain. Si, du point de vue moral, le désir de se défendre apparaît comme légitime et celui d’attaquer comme condamnable, on ne peut cependant séparer l’attaque de la défense parce qu’elles utilisent presque toujours les mêmes armes et que le meilleur moyen de se défendre est souvent de contre-attaquer.
Si l’on voulait étudier l’histoire des relations entre les progrès des connaissances scientifiques ou techniques et la fabrication des armements, il faudrait remonter très loin dans le passé puisque l’art de tailler, puis de polir les pierres et les premières méthodes pour travailler les métaux ont dû certainement, en partie, leurs développements au désir de fabriquer des armes offensives ou défensives, mais il s’agissait là plutôt de techniques encore primitives que de science. Les civilisations de l’Antiquité et du Moyen Âge nous offrent, au contraire, quelques exemples de véritables applications des connaissances scientifiques de l’époque à l’art de la guerre : les miroirs ardents d’Archimède, le feu grégeois des Byzantins, la découverte de la poudre attribuée aux Chinois et l’emploi des armes à feu inauguré, dit-on, à la bataille de Crécy, furent des applications de connaissances acquises en physique et en chimie. Depuis la Renaissance, avec l’essor de la science moderne, les exemples de ce genre sont devenus de plus en plus nombreux. Néanmoins, jusqu’au début du XIXe siècle, c’est presque exclusivement dans le domaine du perfectionnement des armes à feu et des explosifs que la liaison entre les résultats de la science et l’art de la guerre s’est manifestée. Mais ensuite, à un rythme de plus en plus accéléré, les résultats de la recherche scientifique ont été chaque jour davantage utilisés pour la mise au point des procédés d’attaque et de défense.
Il est intéressant de remarquer que si la Défense nationale a ainsi très largement profité des progrès de la science, un grand nombre de problèmes scientifiques n’ont été abordés et résolus qu’en liaison avec leurs applications militaires possibles. Pour n’en prendre qu’un exemple, c’est pendant le cours de la guerre de 1914-1918 que le développement de la radioélectricité a franchi en France une de ses étapes les plus décisives. Avant cette guerre, les applications de la radioélectricité aux transmissions se réduisaient à la radiotélégraphie par signaux Morse avec l’emploi exclusif de procédés qui nous paraissent aujourd’hui très archaïques, l’émission sur ondes amorties par postes à étincelle et la réception sur galène. Au cours du grand effort de recherches accompli dans ce domaine pendant la première guerre mondiale auquel reste attaché le grand nom du général Gustave Ferrié, ont été introduits non seulement l’emploi des ondes entretenues, obtenues par divers dispositifs, mais l’usage et les applications des lampes triodes pour la réception, puis pour l’émission. II en est résulté notamment la possibilité de réaliser couramment les transmissions par radiotéléphonie qui, en permettant peu après l’immense développement de la radiodiffusion, allait faire entrer l’écoute de la T. S. F. dans la vie quotidienne de chacun d’entre nous. Sans doute, les progrès de l’électronique auraient permis, en dehors de toute recherche militaire, de faire franchir aux applications de la radioélectricité ces étapes décisives, mais il n’est pas douteux que la pression exercée sur la recherche dans ce domaine par les nécessités de la Défense nationale a singulièrement contribué à en hâter la réalisation.
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