Outre-Mer - Coup d'état manqué au Congo-Brazaville - Le complot Mahadiste au Soudan témoigne de nouvelles tensions politiques - Répercussions au frontières sénégalaises de la rebellion en Guinée-Bissau
Coup d’État manqué au Congo-Brazzaville
Le 23 mars 1970, le Congo-Brazzaville aura connu une nouvelle tentative de coup d’État militaire. L’alerte n’aura duré que quelques heures, le temps nécessaire à la réoccupation de l’immeuble de la radio tombé par surprise aux mains des insurgés.
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Ce n’est pas la première fois que le chef de l’État congolais se trouvait face à un complot visant à renverser son régime. On se souvient en effet de cette matinée du samedi 8 novembre 1969 au cours de laquelle le commandant Ngouabi annonçait au corps diplomatique réuni l’arrestation d’une cinquantaine de conjurés puissamment armés, qui avaient tenté la nuit précédente de s’emparer du pouvoir. Ils espéraient exploiter les divisions internes et les mécontentements nés, selon eux, des orientations politiques du régime, des difficultés économiques ou des projets de réforme des structures étatiques. Présentés au peuple lors d’un meeting au stade Éboué, les accusés devaient ensuite être traduits devant une cour martiale qui prononça 14 condamnations à mort dont dix par contumace, 22 peines de détention criminelle et 32 acquittements. La grâce présidentielle joua néanmoins en faveur des condamnés. Faisant suite à ce complot manqué, les observateurs avaient pu noter la promulgation d’une nouvelle Constitution. Le 31 décembre, la République du Congo devenait une République populaire. Le drapeau de l’État était abandonné pour un drapeau rouge. L’hymne national était remplacé par un autre chant et en attendant sa composition par l’exécution de l’Internationale. La Constitution assurait désormais la prédominance du Parti congolais du Travail, parti unique nouvellement créé et le commandant Ngouabi, à la fois chef d’État et secrétaire du Parti, se trouvait assisté d’un « Conseil d’État », nouvelle appellation d’un gouvernement remanié. Le Bureau politique de son côté était constitué de personnalités en majorité doctrinaires, très engagées dans la voie du socialisme scientifique. Le complot fut d’autre part dénoncé comme le fruit des machinations de l’impérialisme international, et le Congo-Kinshasa mis en cause – les armes étant en majorité des armes d’origine belge – fut violemment pris à partie par la presse et par la radio et toutes communications avec ce pays suspendues. En fait, le chef de l’État paraissait s’être trouvé face à une double opposition de mécontents qui aspiraient pour des raisons diverses – l’une, à l’intérieur du régime, à un durcissement dans la voie du socialisme ou au contraire l’autre, évincée peu à peu depuis 1963, à un changement radical dans l’orientation du régime. Les premiers tirèrent ainsi un bénéfice moral de l’échec des seconds. Ceux-ci n’avaient sans doute pas abandonné la partie pour autant.
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Le 23 mars 1970, en effet, un commando d’une trentaine d’hommes, venant du Congo-Kinshasa, traverse le fleuve en direction de Brazzaville, s’infiltre dans la cité endormie et à quatre heures du matin, après avoir neutralisé les quelques policiers qui gardent l’immeuble, occupe la station d’émission « la voix de la Révolution congolaise ».
Un peu avant six heures les sirènes mugissent et la radio sous le contrôle des insurgés diffuse avec l’ancien hymne national, un appel au peuple annonçant la destitution du commandant Ngouabi, invitant les soldats à arrêter leurs officiers et la population à descendre dans la rue pour manifester contre le régime. Alerté par la proclamation des rebelles, le chef de l’État a le temps de se ressaisir. L’armée d’une manière générale et l’escadron blindé en particulier sont demeurés fidèles au gouvernement en place. Le chef d’État-major, le commandant Yhombi, que certaines informations présenteront à l’origine comme étant à la tête des insurgés, est également fidèle au régime. Il rassemble les moyens disponibles pour quadriller la capitale et fait investir l’immeuble où sont retranchés les rebelles. La population surprise et craintive est demeurée chez elle. Isolé dans les bâtiments de la radio, l’ancien lieutenant parachutiste Kikanga qui commande les rebelles lance en vain depuis la première émission des appels à l’aide aux États voisins et notamment au Congo-Kinshasa. Mais il succombe en fin de matinée avec tout son commando devant l’attaque des troupes gouvernementales qui réoccupent les bâtiments. Les autres dirigeants de l’affaire sont en fuite, le capitaine Poignet ancien ministre de la Défense nationale, l’intendant Kiyindou, qui sera par la suite découvert et abattu sur place.
Des enquêtes effectuées il ressort que quelques cadres de la Gendarmerie sont aussi compromis. Un tribunal militaire prononce plusieurs condamnations à mort. La grâce présidentielle cette fois-ci ne joue pas.
Un congrès extraordinaire du Parti se réunit aussitôt. Il modifie la composition du Bureau politique, que préside toujours le commandant Ngouabi, mais dont les effectifs passent de huit à dix membres et au sein duquel entrent M. Noumanzalay, ancien Premier ministre du gouvernement Massemba-Debat et le capitaine Sassou-Nguesso, commandant la zone autonome de Brazzaville. Le Conseil d’État – gouvernement local – est aussi remanié. Il reste présidé par le chef de l’État et le commandant Raoul, membre du Bureau politique, conserve la vice-présidence. Mais il comporte un secrétaire d’État en moins et l’on note parmi la nouvelle équipe la présence de l’ancien président de la cour révolutionnaire de Justice.
D’autre part, il est décidé la création immédiate de milices populaires et la dissolution du corps de la Gendarmerie nationale.
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Ainsi le pouvoir du commandant Ngouabi sort renforcé de l’épreuve à la satisfaction sans doute des puissances progressistes, mais au détriment bien sûr de l’opposition, qualifiée de réactionnaire, dont la clientèle éventuelle n’a pas bougé et qui parait cette fois-ci éliminée pour longtemps. Les États d’Afrique centrale qui ont des intérêts communs avec le Congo-Brazzaville suivent avec attention l’évolution de ces problèmes qui affectent une fois de plus les relations entre les deux Congo.
Le « complot mahadiste » au Soudan témoigne de nouvelles tensions politiques
Nous avions souligné en leur temps (cf. « chronique d’outre-mer », juillet 1969) les conditions dans lesquelles l’armée intervenant dans la politique soudanaise s’était emparée du pouvoir à Khartoum et avait entrepris, avec l’appui d’un groupe d’intellectuels, de mettre en place depuis le 25 mai 1969, un régime de tendance nationaliste arabe et socialiste. L’équipe nouvelle, sous l’impulsion du général Nimery, avait alors exprimé sa volonté sur le plan intérieur de procéder à des réformes sociales pour assainir les mœurs politiques et administratives et accélérer la modernisation économique et sociale du pays, tout en affirmant sur le plan extérieur, sa solidarité avec le socialisme arabe et son appartenance au monde africain.
La mise en œuvre d’une pareille politique ne pouvait se faire sans qu’une certaine opposition de nature traditionaliste ne tente d’y faire obstacle. Sans doute le coup d’État avait été bien accueilli dans la population. Mais il avait surpris les partis politiques, et les nouveaux dirigeants, soucieux d’asseoir leur autorité et de réaliser leur programme se sont employés aussitôt à éliminer les traces de l’ancien régime. Un Tribunal populaire a été créé et la peine de mort promise à tous ceux qui commettraient des actes hostiles envers le Gouvernement, y compris les éventuels grévistes. Aussi la Police et l’Armée se sont-elles montrées particulièrement vigilantes. Diverses personnalités ont eu à répondre de leurs activités passées, certaines ont été condamnées parmi les hommes politiques, les journalistes, les militaires. Ces condamnations ont provoqué un mouvement d’inquiétude qui a gagné l’Université et s’est étendu aux organisations d’inspiration religieuse, Frères musulmans, Khatmiya, Mahadistes lesquelles redoutaient en outre les perspectives d’une laïcisation de l’État. Un certain malaise paraît ainsi s’être instauré progressivement dans l’opinion, avivé par la propagande « réactionnaire » d’une opposition qui s’est efforcée de se reconstituer en exploitant les difficultés économiques du régime, l’accentuation de sa politique socialiste, les avances aux pays de l’Est, son rapprochement avec la République arabe unie (RAU [NDLR : l’Égypte]) et la Libye, son impuissance à régler le problème de la rébellion dans le Sud.
Pour faire face à cette menace le Gouvernement a dû entreprendre une action répressive comme en témoigne depuis le début de l’année l’agitation dans l’Université, la découverte de « complots » successifs et les arrestations qui ont suivi. Dans une déclaration radiodiffusée, le ministre de l’Intérieur s’est employé à justifier ces mesures répressives, soulignant que les milieux réactionnaires entretenaient des rumeurs malveillantes à l’égard du Gouvernement révolutionnaire, allant même, a-t-il dit, jusqu’à faire état de divergences au sein de l’équipe au pouvoir. Il a dénoncé de même la propagande faite à l’extérieur, celle en particulier des Frères musulmans, menée auprès des pèlerins se rendant à La Mecque, et destinée, soulignait-il, à jeter le doute sur les intentions gouvernementales à l’égard des musulmans nationalistes ou de la religion. En fait, il semble bien que le régime se soit finalement trouvé face à une opposition encore timide mais conjuguée avec celle de certains éléments politiques et militaires associés aux confréries religieuses traditionnelles, et aux critiques de plus en plus vives de ceux qui dans l’armée, chez certains intellectuels ou dans les syndicats, voudraient voir le pays s’engager plus à fond dans la voie socialiste.
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C’est dans ce contexte qu’est survenue, à la fin du mois de mars, l’affaire du complot mahadiste, imputée au chef de la secte des Ansars, l’Iman El Hadi, descendant du Mahdi. Le prestige de ce dernier est encore très vivace et l’on se souvient en effet des conditions dans lesquelles il apparût à la fin du siècle dernier, luttant contre l’autorité du Khédive [vice-roi] d’Égypte, alors vassal du sultan ottoman et contre la pénétration britannique, symbolisant en quelque sorte la naissance de la nation soudanaise moderne. Depuis l’indépendance acquise le 1er janvier 1956, la secte, qui rassemble environ un million d’adeptes, avait été mêlée de très près, par le biais du parti Oumma, à la politique du pays. Le Parti, divisé au moment du dernier coup d’État en deux tendances rivales – celle plutôt démocratique de Sayed Sadik, arrière-petit-fils du Mahdi, et celle plutôt conservatrice de l’Iman El Mahdi, son oncle – s’efforçait de se réunifier sous l’autorité de l’Iman. Mais le parti fut interdit comme les autres formations politiques, Sayed Sadik étant emprisonné tandis que l’Iman, isolé dans son fief de l’île d’Aba, sur le Nil, à quelque 300 km au sud de Khartoum, restait surveillé par l’Armée. « L’affaire » devait éclater à la fin du mois de mars, à l’occasion d’un voyage mouvementé entrepris par le chef de l’État dans les provinces orientales du Soudan. Le général Nimery en effet, au cours de ce déplacement, paraît avoir eu à affronter – selon la radio officielle – des manifestations hostiles de Mahadistes armés, dans la région du Nil Blanc, notamment à Koshy, à Iouwa, à Chouanvar où des bâtiments administratifs auraient été saccagés. Le chef de l’État aurait même échappé, dans des circonstances encore mal connues, à une tentative d’assassinat de la part d’un jeune fanatique, partisan de l’Iman. Interrompant brusquement sa tournée, il regagnait alors la capitale où d’autres échauffourées devaient opposer les Mahadistes aux troupes gouvernementales qui éprouvèrent des pertes – 36 tués a-t-on dit – dans la banlieue même de Khartoum. Invité à se soumettre au régime, l’Iman, retranché dans l’île d’Aba, a refusé de s’incliner et les forces gouvernementales ont dû, le 31 mars, après une vigoureuse action s’emparer de l’île, citadelle des Mahadistes. Il y aurait eu de nombreux tués et blessés, l’Iman lui-même, selon la radio d’Omdourman, ayant été abattu le lendemain alors qu’il tentait, dit-on, de franchir la frontière éthiopienne.
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Si l’on prétend au Caire et à Tripoli – comme du moins le soulignent les agences de presse – que le gouvernement du général Nimery sort renforcé de cette affaire, il n’en reste pas moins qu’un nouveau problème est venu s’ajouter aux problèmes déjà difficiles qui se posent au Soudan. Le « complot » mahadiste témoigne, quoi qu’on en dise, de l’aggravation des tensions politiques internes, dans un pays immense qui est encore loin d’avoir trouvé son équilibre.
Répercussions aux frontières sénégalaises de la rébellion en Guinée-Bissau
Située sur la côte occidentale de l’Afrique entre le Sénégal et la Guinée-Conakry, la Guinée portugaise compte environ 600 000 habitants pour une superficie de 31 800 km2. La population se compose d’une quinzaine de groupes ethniques, quelque 3 000 Portugais et 5 000 métis et sa capitale, Bissau, groupe à peine 20 000 habitants.
Les activités économiques sont réduites : l’agriculture suffit à peine à satisfaire la consommation intérieure. Il n’y a pas de grandes entreprises industrielles et le sous-sol n’est pas exploité. Depuis plusieurs années, les Portugais ont cependant développé considérablement l’infrastructure routière, sanitaire et scolaire, ce qui n’a pas empêché l’échec de leur politique d’intégration raciale et la naissance de deux mouvements nationalistes rivaux d’importance inégale mais engagés tous deux dans la lutte pour la libération du pays.
Le Parti africain de l’indépendance pour la Guinée et les Îles du Cap Vert (PAIGC) fondé dès 1961 sous l’impulsion d’Amilcal Cabrai est de tendance marxiste. Il dispose aujourd’hui d’environ 10 000 combattants équipés de matériels tchèques et soviétiques et entraînés par des conseillers cubains. Certains de ses cadres ont été formés en URSS, à Cuba, en Algérie ou en Guinée-Conakry. Il reçoit une aide importante des pays de l’Est et de certains États africains progressistes et est reconnu par l’OUA. Il agit seulement en Guinée continentale où il mène de nombreuses actions de guérilla contre les forces portugaises.
Le Front de lutte pour l’indépendance de la Guinée (FLING) de M. Pinto Bull est de tendance modérée. Il ne participe pratiquement pas à la lutte armée. Mouvement essentiellement politique, il est déchiré par des luttes intestines et s’efforce de rechercher un accord négocié avec les Portugais sur la base d’une autonomie interne. Mais son audience est relativement limitée.
Actuellement chacun des deux camps paraît contrôler environ la moitié du pays. Les Portugais, qui entretiennent un corps expéditionnaire d’environ 25 000 hommes, sont solidement implantés dans la plaine côtière au Nord de Bissau, dans le Gabu et le Boe et bénéficient de l’attachement des Peuhls. Le PAIGC entretient de nombreux maquis dans l’Oio parmi les tribus Balantes et Mandingues et dans la plaine côtière au Sud de Bissau jusqu’à la frontière de la Guinée-Conakry.
Les opérations militaires se poursuivent à un rythme soutenu mais il semble qu’aucun des adversaires ne soit en mesure à l’heure actuelle d’emporter la décision sur le terrain.
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Compte tenu de la forte implantation portugaise dans le Gabu et le Boe et de l’hostilité des Peuhls, le PAIGC, pour soutenir ses maquis du Nord dans l’Oio, est dans l’obligation de les ravitailler à partir de la Guinée-Conakry à travers le territoire du Sénégal. Aussi le Mouvement a-t-il sollicité du Gouvernement sénégalais des facilités de transit en Casamance, facilités qui lui ont été accordées dans l’esprit des principes de l’OUA, sous la réserve expresse que les activités ainsi autorisées en territoire sénégalais soient étroitement contrôlées.
Cette situation devait être à l’origine de nombreux incidents de frontière. D’une part, les Portugais, bien renseignés sur les activités du PAIGC dans ces régions, ont lancé à plusieurs reprises des actions de représailles sous forme de raids terrestres ou aériens ou de bombardement qui font périodiquement des victimes parmi les populations sénégalaises frontalières. D’autre part, les militants du PAIGC n’hésitent pas à s’imposer à ces populations qui se heurtent également quelquefois aux quelque 50 000 réfugiés venus chercher abri au Sénégal. Ces incidents qui se répètent fréquemment inquiètent naturellement les autorités de Dakar qui ont été amenées déjà plusieurs fois à saisir le Conseil de Sécurité de l’ONU et à faire condamner le Portugal.
Le dernier incident de ce genre date de novembre et décembre 1969 avec le bombardement répété de plusieurs villages sénégalais dans la région de Samine, bombardements qui firent parmi les populations civiles six morts et de nombreux blessés. À cette occasion le gouvernement sénégalais s’est résolu à renforcer temporairement sa frontière afin de préserver sa souveraineté nationale dans des régions qui malgré tout demeurent sous-administrées et, de ce fait, perméables à des propagandes nocives.
Il n’empêche qu’aujourd’hui le problème n’est pas réglé au fond et que de nouveaux incidents ne sont peut-être pas à exclure. ♦