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Éthiopie : voyage de l’Empereur Hailé Sélassié à Pékin
Dix mois seulement après la reconnaissance par l’Éthiopie de la République populaire de Chine, l’empereur Hailé Sélassié, répondant à l’invitation du président Mao Tsé-toung, s’est rendu en visite officielle à Pékin. Selon le communiqué publié par le gouvernement éthiopien, cette visite, qui s’est déroulée du 6 au 10 octobre 1971, « devait permettre de renforcer les relations amicales existant entre les deux pays ». Par-là elle revêt une importance exceptionnelle, tant sur le plan mondial que sur les plans particuliers de l’Éthiopie et de la Chine.
Pour Pékin, le voyage de l’empereur Hailé Sélassié signifie la consécration du succès d’une révolution réussie. En effet, la Chine populaire, pays que l’on rangeait encore dans la catégorie des « sous-développés » il y a moins d’un quart de siècle, doit éprouver quelque satisfaction à recevoir ses lettres de noblesse des mains du doyen des chefs d’État africains, vénérable descendant de la Reine de Saba.
Avant même le vote des Nations unies sur l’admission de la Chine, succès que M. Chou En-Laï a qualifié « d’inattendu », avant même que l’Amérique vienne, en la personne de son Président, reconnaître solennellement à Pékin l’accession de la Chine à la dignité de « Supergrand », le « Roi des Rois » a proclamé que « la Chine joue dans les affaires mondiales un rôle spécial qui correspond à son statut de grand pays, parlant et agissant au nom d’un quart de l’humanité ».
Certes le Négus a pu retirer de cette visite en Chine des avantages, mais ils ne sont certainement pas à rechercher dans le même sens. Sans prétention à l’échelle du globe, chargé d’ans et d’honneurs, il jouit d’un prestige aussi considérable dans le Tiers-Monde que dans sa propre capitale et n’a donc plus rien à attendre en matière de considération internationale. En revanche, « les résultats positifs » enregistrés lors des conversations de Pékin et se rapportant davantage au domaine politique ou économique ont été pour lui, et selon sa propre expression, « une grande satisfaction ».
Sur le plan mondial, on peut considérer la rencontre entre le géant de l’Asie et l’un des grands Africains comme un événement historique. D’une part, un monarque légendaire, gardien symbolique d’un vieux continent qui se régénère, pratiquement maître absolu d’une haute terre dominant la route fabuleuse des Indes à la frontière du monde blanc et du monde noir, véritable môle de résistance de l’Afrique dressé face à l’encerclement musulman ou à la domination occidentale, à la pression soviétique ou à la pénétration asiatique… D’autre part, le mystérieux Mao, personnage tout aussi extraordinaire, leader idéologique incontesté d’une révolution en marche vers l’Europe et l’Afrique, représentant vénéré d’un immense pays en pleine mutation, également ancien par l’histoire et les civilisations mais jeune par l’ambition et la détermination de ses dirigeants soutenus par le dynamisme de son innombrable population.
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Les avances de M. Chou En-Laï à son hôte illustre s’expliquent mieux quand on sait le prix que la diplomatie chinoise attache à l’Afrique noire où, sans renoncer à être le porte-parole de la révolution mondiale et le tuteur des mouvements de libération, elle a l’ambition de prendre la place qui lui revient autour d’un échiquier réservé pendant l’époque de la colonisation aux puissances européennes, relayées quelque peu, et notamment depuis la fin de la dernière guerre, par le condominium russo-américain.
Désireuse de s’installer en Afrique où elle est arrivée la dernière, la Chine sait qu’elle se heurtera à ce qu’elle appelle le « néo-colonialisme européen » ou le « chauvinisme grand-russe » ; elle se battra, avec une égale ardeur, contre le capitalisme et l’impérialisme d’où qu’ils viennent.
Addis-Abéba, siège de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) constitue actuellement le meilleur tremplin pour accéder rapidement à une position privilégiée en Afrique. Soucieuse de conquérir pacifiquement cette tribune qui lui permettra, selon les besoins, de préparer, d’organiser ou de soutenir son infiltration, la Chine est prête à estomper momentanément le caractère subversif de son action. Son récent succès à l’ONU n’a pu que la confirmer dans l’idée qu’en « diplomatie plus fait douceur que violence ».
L’empereur Hailé Sélassié est conscient des risques que comporte un dialogue avec Pékin mais il doit préserver l’unité de son pays et le prémunir contre les ingérences étrangères, en particulier dans le règlement de l’affaire d’Érythrée ; il doit enfin en assurer le développement économique et, sur ce plan, on ne saurait minimiser l’importance de la signature d’un accord sino-éthiopien et l’octroi par Pékin d’un prêt de 35 millions de livres sterling. Il s’agit là d’un succès d’autant plus séduisant que le prêt à long terme et à très faible intérêt est, selon l’agence de presse d’Addis-Abéba, le « plus favorable jamais signé par l’Éthiopie ».
La Chine joue la carte africaine à longue échéance, tandis que les préoccupations du Négus sont plus pressantes. S’il veut éviter un éclatement de son pays lorsque se posera le problème de sa succession, il importe qu’il puisse, dans un avenir rapproché, consolider un édifice national viable dans l’ensemble mais dont une partie, rattachée récemment, n’a pas encore trouvé son assise définitive.
Gageons qu’il a obtenu à Pékin des garanties rassurantes quant à la non-immixtion du « communisme du pauvre » dans son royaume.
Haute-Volta : voyage du président Lamizana en France
Venant de Ouagadougou, via Nice, le général Sangoulé Lamizana, président de la République de Haute-Volta [NDLR 2021 : futur Burkina Faso] est arrivé le 4 octobre 1971 à Paris où il a été accueilli par M. Pompidou, président de la République française et les membres du gouvernement. Son séjour, qui a commencé par des entretiens au plus haut niveau à l’Élysée, s’est poursuivi par diverses manifestations dans la capitale et en province.
Certains chefs d’État africains sont des familiers de la capitale où ils ont déjà séjourné à plusieurs reprises, soit à titre officiel, soit à titre privé, mais peu de Français avaient vu le général Lamizana. En effet, depuis son accession au pouvoir en 1966, c’était la première fois qu’il venait en France.
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Porté à la magistrature suprême, après l’élimination de M. Yaméogo chassé de la scène politique par une émeute populaire, le général Lamizana est resté aussi modeste et discret que par le passé ; d’une simplicité remarquable, il ne nourrit aucune ambition politique, uniquement soucieux de garder son pays dans la paix et de rétablir une économie saine : « Nous sommes essentiellement un pays d’agriculteurs, puisque, du président de la République au dernier des fonctionnaires, chacun a son champ » ; ancien officier de l’armée française, il a conservé des habitudes de rigueur, d’ordre et de discipline acquises durant 26 années de vie militaire ; en toutes circonstances, il a su faire preuve d’une grande fermeté comme l’indique une récente déclaration : « Nous avons réussi à rembourser ce que nous devions et à équilibrer le budget. Mais il y a cinq ans nous étions au bord de la faillite. Il fallait donc prendre le taureau par les cornes, nous ne pouvions être timides. Les fonctionnaires ont vu leur pouvoir d’achat diminuer. Tout le monde a accepté […] que l’impôt soit augmenté et que soit instituée une contribution exceptionnelle patriotique ». À noter que cette politique d’austérité, « dure mais nécessaire », conduite énergiquement par le ministre des Finances, l’intendant Garango, était aux dires des techniciens, la seule qui puisse préserver le pays de la banqueroute.
Libéral et démocratique, le général Lamizana a accepté le multipartisme et son gouvernement, dirigé depuis le 14 juin 1971 par un Premier ministre, M. Gérard Ouédraogo, comprend aussi bien des civils que des militaires ; nationaliste sans excès, il préconise la collaboration avec les pays africains ne reniant pas les bienfaits de l’Occident, car, dit-il : « Il appartient à chaque pays d’assumer avec courage son indépendance et de rechercher les bases de coopération. Nous nous sentons indépendants et nous voulons aussi une ouverture, car aucun pays ne peut vivre seul. »
C’est dans cet esprit que la Haute-Volta, membre du Conseil de l’Entente, souhaite d’autres regroupements régionaux qui sont, selon le président Lamizana, « la meilleure solution […] pour travailler efficacement ».
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Avec une superficie égale à la moitié de celle de la France, une population de 5,5 M d’habitants répartie en une mosaïque d’ethnies, la Haute-Volta a été souvent identifiée, à tort, au groupe Mossi, le plus nombreux et le plus actif et à son chef le Moro-Naba, souverain politique et religieux, dont la dynastie a régné plus de sept siècles, contrôlant un vaste ensemble de structures administratives, levant des années, régissant d’immenses domaines et « mossifiant » des peuples entiers par la force. Jusqu’à une époque récente, l’influence des Mossi a été déterminante du fait qu’après l’accession du pays à l’indépendance, ils ont longtemps monopolisé les hautes fonctions dans le gouvernement et l’administration. Aujourd’hui la chefferie Mossi, considérablement affaiblie, se cantonne dans une position honorifique et la tribu s’effrite par l’émigration incessante de ses sujets vers des terres limitrophes plus fertiles et réclamant de la main-d’œuvre.
En effet, la Haute-Volta, pays valeureux en bonne voie de développement, réussit à nourrir sa population, encore que son agriculture souffre de conditions précaires. Les terres cultivables sont rares et manquent souvent d’eau. Le cheptel est abondant et pourrait constituer une source de revenu mais l’exportation de la viande se heurte à des difficultés de conservation et de transport. Le sous-sol est riche, notamment en manganèse, mais les gisements restent inexploités. Enfin les « possibilités » touristiques du pays sont réelles, la faune sauvage est dense et variée, les parcs nationaux constituent de belles réserves faciles d’accès et les circuits à travers des sites pittoresques sont fort agréables, toutes choses susceptibles de satisfaire les chasseurs de fauves ou les amateurs de belles images, mais l’infrastructure hôtelière est encore rudimentaire.
Le Gouvernement voltaïque soucieux d’augmenter et de diversifier sa production agricole cherche à intensifier la culture des céréales et du coton tout en s’efforçant de mener à bien le projet de culture de canne à sucre près de Banfora. Mais la bataille du développement qu’il a engagée ne peut se faire sans l’aide des capitaux étrangers. Or, la France intervient pour plus de 50 % dans l’aide extérieure et fournit une grande partie de l’assistance technique et culturelle.
À ce propos, le chef d’État voltaïque a dit au cours de sa visite à Paris combien l’aide de la France était nécessaire à son pays. Abordant le problème des investissements étrangers, il a demandé notre participation à l’exécution des grands projets dont les dossiers ont été présentés par ses ministres au Gouvernement français, à savoir : le problème de l’eau, nécessaire à la mise en valeur des trois Volta ; la création d’un centre d’enseignement supérieur spécialisé, à Ouagadougou ; la construction d’un chemin de fer de 350 km, qui permette l’exploitation d’un important gisement de manganèse ; enfin le relèvement des pensions des anciens combattants, qui, on le sait, combattirent nombreux dans les rangs de notre armée.
Faisant le bilan du voyage du président Lamizana, M. Gérard Ouédraogo, s’est félicité récemment en ces termes du succès remporté : « D’ores et déjà, nous pouvons affirmer que les projets, touchant au développement économique, à l’enseignement supérieur, au réajustement progressif des pensions des anciens combattants et aux questions d’équipements administratifs et sociaux, vont entrer dans une phase active de réalisation. » Parlant des entretiens que le président Lamizana a eus avec le patronat français il a ajouté : « Cette rencontre a été l’occasion d’une nouvelle marque de confiance et d’intérêt à l’égard de la Haute-Volta et nous remercions les hommes d’affaires pour leur volonté d’œuvrer en faveur de notre pays. »
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La visite du président Lamizana en France n’a pu que resserrer encore davantage les liens amicaux qui unissaient la France et la Haute-Volta. Elle a également attiré l’attention internationale sur un pays mal connu et qui, sans être classé parmi les grands du continent, a cependant un rôle à jouer dans la politique africaine. On peut faire confiance à ce jeune État qui, sous la clairvoyante et ferme autorité de son chef, saura assumer son destin avec le même courage que celui manifesté par ses « tirailleurs » lorsqu’ils luttaient, sur les champs de bataille des deux dernières guerres mondiales aux côtés de leurs camarades métropolitains, pour la défense de la liberté et de l’indépendance de la France. ♦