Défense en France - Les commandes pluriannuelles
Le ministère de la Défense a été autorisé à expérimenter en 1998 un système de commandes groupées pluriannuelles qui consiste à commander, de façon ferme, le besoin de plusieurs années.
Le gouvernement espère de cette procédure, qui est nouvelle en France mais que pratiquent déjà notamment les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Suède et l’Italie, une réduction sensible du coût des matériels. L’État est fondé, en signant une commande globale d’un seul coup, à obtenir du fournisseur un prix calculé sur l’ensemble de la série et non sur quelques unités. Les industriels chargés des programmes attendent en effet de l’État des engagements à long terme, en lieu et place de commandes annuelles ponctuelles qui ne les aident pas à organiser et à rentabiliser la production en série. Ils comptent pouvoir ainsi optimiser leurs moyens de production, sur la base de quantités qui leur sont garanties, et procéder à des approvisionnements groupés auprès de leurs fournisseurs. Ils ne seront plus enclins, par ailleurs, à prendre des marges pour couvrir le risque de rupture dans l’enchaînement de leurs productions. Ils pourront enfin avoir de meilleures perspectives sur le long terme.
Un tel mécanisme se heurte cependant à l’annualité, principe fondamental du droit budgétaire français. Le vote annuel du budget par le Parlement vise à éviter que l’État ne soit lié par une multiplication d’engagements de dépenses à long terme qui entraverait la marge d’initiative financière des gouvernements. Certes, il existe bien, en ce qui concerne la défense, des lois de programmation pluriannuelles, mais elles n’ont finalement qu’une valeur indicative, car elles sont pratiquement remises en cause à chaque budget annuel. Au cours de la préparation de la loi de programmation militaire 1997-2002, M. Charles Millon avait envisagé de recourir à des commandes pluriannuelles pour un contrat portant sur 48 avions de combat Rafale. En échange, Dassault Aviation devait s’engager à diminuer ses prix de 10 % environ. Les négociations ont été interrompues par les élections législatives. La direction du budget avait cependant fait valoir, à l’époque, que le choix de ce programme lui semblait inadapté pour tester la validité de cette procédure. Le coût, avoisinant les 17 milliards de francs, risquait, à ses yeux, d’ôter toute souplesse à la gestion des crédits alloués chaque année aux deux « clients » de l’avion, à savoir l’armée de l’air et la marine.
M. Alain Richard a repris le dossier. Avec l’accord du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, l’expérimentation va porter sur quatre programmes de moindre importance, afin d’éviter la « rigidification » des budgets.
Les commandes concernant le programme Apache antipiste et le statoréacteur Vesta ont été notifiées en 1997. Celles relatives au missile air-air Mica, conçu par Matra, et à la torpille légère MU 90 (associant des industriels français et italiens sous le contrôle de l’arsenal de Saint-Tropez) sont en préparation (1).
L’emploi des forces, résultant du nouveau contexte géostratégique, correspond notamment à la multiplication et à l’éloignement des théâtres d’opérations potentiels ainsi qu’à des formes d’interventions très diverses. Les armées sont donc conduites à se doter de systèmes d’armes capables de contribuer à la prévention des crises par la menace qu’ils représentent. Ceux-ci doivent permettre, si nécessaire, de prolonger cette action par la neutralisation, dans la profondeur du théâtre, d’objectifs bien défendus, ayant une grande valeur politique ou militaire. C’est dans cette perspective que trois programmes de missile de croisière, constitutifs d’une même famille ont été inscrits dans la loi de programmation 1997-2002 : l’Apache antipiste (AP), l’Apache interdiction de zone (IZ) et le Scalp/EG.
Le besoin de disposer d’armements antipiste, pouvant être tirés à distance de sécurité par rapport à l’objectif, et susceptibles, le cas échéant, de s’affranchir du survol du territoire ennemi, se fait de plus en plus pressant. L’Apache antipiste, premier élément de la famille des missiles de croisière Apache, répond à ce besoin. Il devrait permettre, en outre, l’attaque d’infrastructures importantes à caractère industriel. Il sera complété, ultérieurement, par le Scalp/EG (2) et l’Apache IZ.
L’Apache antipiste peut être emporté par la plupart des avions d’armes actuels. Il a fait l’objet de travaux d’intégration au Mirage 2000 D et au Rafale français, ainsi qu’au Tornado allemand. Propulsé par un turboréacteur simple flux, sa portée est supérieure à 100 kilomètres. La furtivité de ses formes et des matériaux employés pour son revêtement, ainsi que ses capacités de vol à très basse altitude, le rendent très difficile à détecter par les moyens de défense adverses. Une fois largué par l’avion tireur, le missile est entièrement autonome : il assure lui-même sa navigation et la reconnaissance de l’objectif, en utilisant sa référence inertielle, son radioaltimètre et son radar. Parvenu à proximité de l’objectif, il éjecte dix sous-munitions antipiste, chacune munie d’un propulseur à poudre, qui viennent se ficher profondément dans la piste à neutraliser avant d’exploser. Ce missile est une arme très efficace, dont la mise en œuvre opérationnelle est simple. Il peut être employé en toutes conditions (jour et nuit, mauvais temps). Le marché a été notifié à Matra Bae Dynamics France, pour un montant d’environ 1,5 milliard de francs. Il porte sur l’industrialisation, la production de cent missiles et la fourniture de la première tranche de rechanges. Il emploiera en moyenne 650 personnes pendant six ans, notamment en région Centre. Les livraisons de missiles sont prévues entre 2000 et 2002.
L’opération Vesta a pour objectif de prédévelopper l’aérodynamique, la propulsion par statoréacteur et les équipements de vol communs d’une autre famille de missiles, qui se situe dans la filiation de l’ASMP (air-sol moyenne portée) actuellement en service dans l’armée de l’air. La première application prévue est l’ANF (missile antinavire futur), destiné à prendre la succession de l’Exocet, et dont l’entrée en service est prévue au cours de la deuxième moitié de la prochaine décennie. Ce marché a été notifié à Aerospatiale Missiles pour un montant d’environ 750 millions de francs. La commande pluriannuelle couvre la conception, la réalisation et les essais en vol du missile Vesta. Elle emploiera à plein temps, pendant cinq ans, environ 70 ingénieurs et 35 agents de fabrication, notamment en Île-de-France, en région Centre et en Aquitaine. Lancée en juin 1996, la conception de Vesta s’étalera jusqu’à fin 1999. Elle sera suivie de l’étude de l’aptitude au vol, puis de la réalisation et des essais en vol des trois missiles prévus au CEL entre 2000 et 2002 (3). L’opération Vesta faisait initialement l’objet d’un marché de six tranches pour un montant d’environ 950 MF, dont la première avait été notifiée en juin 1996. La confirmation simultanée des cinq dernières tranches, qui fait l’objet de la présente commande, permet de réaliser une économie de 9 % sur leur montant.
Le recours aux commandes pluriannuelles n’implique pas d’accélération des livraisons et ne nécessite aucun besoin de crédits de paiement supplémentaires. Un certain nombre de conditions doivent cependant être réunies. Il faut, en premier lieu, disposer des autorisations de programme nécessaires, ce qui est actuellement le cas. Ces commandes doivent, en deuxième lieu, être en conformité financière avec la loi de programmation militaire et en cohérence avec les crédits de paiement prévisibles de la défense après 2002. Elles doivent, en troisième lieu, entraîner « une rigidification » propre limitée des crédits de paiement annuels du Titre V de la défense (4).
Ces premières commandes pluriannuelles ne dépasseront pas 1,5 % du montant total du budget d’équipement des armées. Les économies attendues dans un premier temps devraient atteindre 5 %, l’objectif recherché par le ministère de la Défense étant de l’ordre de 10 %.
Il convient enfin de souligner que l’un des avantages de cette procédure est de favoriser l’exportation. Pour reprendre la remarque formulée par un responsable de Matra et citée dans un article récent de M. Jacques Isnard (5), « ces commandes globales apportent aux programmes une crédibilité qui a fait défaut par le passé, dans la mesure où seule une assurance verbale pouvait être donnée au client, quant à la mise en service effective d’un matériel dans les armées françaises ». Suivant les résultats obtenus, cette procédure expérimentale pourrait être étendue à d’autres programmes en 1998 : l’hélicoptère Tigre, le dépanneur du char Leclerc, l’avion de combat Rafale. ♦
(1) NDLR. La DGA a notifié le 22 décembre 1997 un contrat pour l’industrialisation et la production d’un 1er lot de 225 missiles Mica à Matra Bae Dynamics France. Elle vient également de notifier au GIE Eurotorp un contrat pour l’industrialisation et la production de 600 torpilles MU 90 franco-italiennes (300 pour chaque pays).
(2) Le 5 janvier 1998, la DGA a notifié une commande pluriannuelle de 500 missiles Scalp/EG pour un montant de 4,5 milliards de francs environ.
(3) L’opération Vesta permet de réduire notablement le nombre d’essais en vol à prévoir pour les développements des missiles dérivés, ce type d’essais pesant toujours lourdement sur le coût d’un programme.
(4) La défense considère qu’une « rigidification » maximale de 10 % est acceptable.
(5) Le Monde du 15 octobre 1997.