Afrique - La politique africaine des États-Unis
Le secrétaire d’État américain Madeleine Albright a effectué en décembre 1997 sa première tournée en Afrique au cours de laquelle elle a visité pas moins de sept pays. À cette occasion, un voyage du président Bill Clinton a été annoncé pour 1998, alors qu’aucun président américain n’avait mis les pieds sur le continent depuis Jimmy Carter il y a une vingtaine d’années, sauf dans le cas de George Bush, pendant la crise somalienne, pour une visite de quelques heures aux troupes américaines. De fait, depuis les années de sortie de la guerre froide, on a pu constater un indéniable désengagement américain vis-à-vis de l’Afrique, qui n’était plus considérée comme un enjeu politique et stratégique essentiel du fait du départ massif et précipité des Soviétiques et de leurs alliés. Paradoxalement, au début des années 90, l’engagement américain en Somalie, qui devait marquer l’intérêt de Washington pour la stabilité de l’Afrique dans l’après-guerre froide, s’est révélé catastrophique et a abouti à amplifier le désengagement américain. Au cours de cette période, l’aide américaine, civile et militaire, a chuté spectaculairement et les échanges commerciaux sont restés à un niveau assez bas.
Depuis, les États-Unis sont incontestablement à la recherche d’une nouvelle politique africaine. Première puissance mondiale, ils fonctionnent globalement conformément à une stratégie d’omniprésence et ne peuvent en aucun cas faire l’impasse sur une zone qui regroupe plus de 50 pays et près de 800 millions d’habitants. Plus pragmatiquement, ils ne peuvent négliger l’existence d’un marché potentiel à l’heure où on constate une progression notable des économies africaines, ni les richesses naturelles du continent, ni non plus dans un domaine plus sécuritaire le rôle croissant de l’Afrique dans le trafic international des drogues, ou l’importance notable de mouvements islamistes extrémistes et les réseaux de soutien au terrorisme international.
Même si la bataille budgétaire et la très forte résistance du Congrès sont un obstacle majeur à la relance d’une politique africaine ambitieuse, l’Administration américaine multiplie depuis peu les signes d’un regain d’intérêt pour ce continent et s’efforce d’élaborer les conditions d’une présence nouvelle. Ainsi, on a vu se multiplier depuis 1995 les visites importantes de hauts responsables : Ronald Brown, l’ancien secrétaire au Commerce, qui non sans une certaine agressivité avait jeté les bases d’une offensive commerciale, considérée dans la doctrine économique libérale américaine comme un axe majeur du développement de l’Afrique et des relations américano-africaines, selon le célèbre mot d’ordre trade not aid (le commerce, pas l’aide). Autres visites qui méritent d’être signalées avant la récente tournée de Madeleine Albright : celle à la fin de 1996, juste avant la réélection de Bill Clinton, de l’ancien secrétaire d’État Warren Christopher, ou celle, en mars 1997, de l’épouse du président américain Hillary Clinton, dans six pays africains. Il faut ajouter à cela quelques initiatives spectaculaires comme celle présentée lors du sommet du G7 à Denver en juin 1997 en faveur d’un nouveau partenariat économique et commercial avec l’Afrique.
En réalité, la démarche américaine est caractérisée par un effort pour déployer une présence plus grande en Afrique, mais en évitant soigneusement tout nouvel engagement en profondeur. Politiquement par exemple, on constate des choix beaucoup plus tranchés en faveur de ce qu’il est désormais convenu d’appeler à Washington « une nouvelle génération de dirigeants ». Il s’agit de se rapprocher et d’appuyer un groupe de chefs d’État dirigeant certains pays clés et capables d’avoir une influence régionale certaine. C’est le cas de Yoweri Museveni en Ouganda (d’autant plus qu’il est actif contre le régime islamiste soudanais), du régime minoritaire tutsi au Rwanda ou même, en définitive, de Laurent-Désiré Kabila en République démocratique du Congo, même si c’est avec quelques précautions oratoires ou diplomatiques formelles pour masquer une certaine indulgence sur ses pratiques politiques ou son attitude envers la commission d’enquête des Nations unies sur les violations des droits de l’homme. C’est le cas aussi du régime d’Eduardo Dos Santos en Angola, nouvel enjeu pétrolier et nouvel acteur politico-militaire régional important, après des années de soutien à l’Unita de Jonas Savimbi. Cette ouverture vers cette nouvelle génération de dirigeants montre bien que la démarche américaine est avant tout pragmatique. Même si dans les ambassades américaines en Afrique on reçoit largement et ouvertement les opposants pour bien montrer un soutien à la démocratisation, on ne s’interdit pas à Washington de chercher à nouer des relations privilégiées avec des dirigeants ou des régimes qui ne brillent pas par leurs pratiques démocratiques.
Pour ce qui concerne l’aide militaire, comme pour l’aide civile, l’Administration Clinton continue en tout cas de préconiser une politique de retrait, largement justifiée par l’absence d’enjeux stratégiques, et rendue inévitable par les forts blocages instaurés par le Congrès. Les États-Unis ont néanmoins redéployé leur petit volume d’aide militaire de manière significative, notamment au profit de l’Érythrée, de l’Éthiopie et de l’Ouganda. Ces dernières années, ils ont consenti une aide militaire notable au profit du Rwanda, qui est restée secrète jusqu’à ces derniers mois.
Le grand axe nouveau est celui de l’appui au développement des capacités africaines de maintien de la paix. Après avoir, en 1996, proposé un plan américain dans ce domaine, et lancé une série d’actions bilatérales ponctuelles pour l’entraînement de certaines unités des armées d’Ouganda et du Sénégal (les autres pays choisis pour ces opérations sont le Malawi, le Mali, le Ghana et l’Éthiopie), Washington cherche désormais à coordonner et harmoniser davantage ces efforts avec ceux déployés pour les mêmes objectifs par Londres et Paris, en liaison avec l’Organisation de l’unité africaine et les Nations unies. Encore tâtonnante, avec des moyens qui restent limités, l’aide bilatérale américaine aux pays d’Afrique au sud du Sahara se situe à un niveau de 650 millions de dollars par an (contre 2 milliards de dollars pour la seule Égypte) ; par des choix politiques pragmatiques, mais souvent ambigus, la politique africaine des États-Unis cherche de manière plus marquée et plus insistante un nouveau style. Elle n’en devient pas pour autant une véritable priorité nouvelle de la diplomatie américaine. ♦