Économique - L'économie de guerre allemande en janvier 1940
Pour limiter les quantités de denrées disponibles pour chaque consommateur civil, on peut employer deux systèmes. Le premier qui a fonctionné avant la guerre est celui du fournisseur unique pour les aliments rares, tels que le beurre, le fromage, le saindoux, etc. ; l’Allemand ne pouvait s’adresser qu’à un seul magasin dont le titulaire répartissait les quantités au prorata.
Dès le mois d’août, on a institué le système des cartes pour les principales denrées et les produits textiles. Les rations attribuées à chaque Allemand sont révisées périodiquement. Pendant la semaine de Noël, les rations de beurre, de viande ont été augmentées. Dès le début de l’année 1940, on a dû revenir aux rations primitives ou même les diminuer.
Pratiquement c’est par la combinaison du système du fournisseur unique et du régime des cartes qu’on arrive à imposer aux Allemands une discipline de consommation. Au cours des dernières semaines, le rationnement a été étendu à la consommation domestique.
Lorsqu’il abat un porc, le paysan doit rendre un nombre de cartes de viande correspondant au poids de l’animal abattu. Le chasseur qui rapporte du gibier doit remettre un nombre de tickets équivalent à la moitié du poids du gibier rapporté.
Voici la situation du rationnement pour la période du 15 janvier au 15 février :
• Pain.
– Consommateur ordinaire : 2 400 grammes par semaine ou 1 900 g de pain et 375 g de farine.
– Travailleur manuel : 3 800 g par semaine ou 2 800 g de pain et 750 g de farine.
• Viande (les rations comprennent la viande avec os)
– Consommateur ordinaire : 500 g par semaine.
– Travailleur manuel : 1 000 g
– Enfants de moins de 6 ans : 250 g
• Corps gras.
Consommateur ordinaire : 143,75 g de beurre, 78,12 g de margarine ou graisse végétale ou graisse artificielle, 46,88 g de graisse de porc, suif. En tout : 268,75 g de graisse par semaine.
• Fromage.
Les rations de fromages ont été jusqu’à présent de 62,5 g par semaine, mais sont abaissées maintenant à 46,88 g de fromage ou 93,75 g de déchets de fromage par semaine.
• Lait.
Les cartes donnent droit aux achats suivants :
– Enfants jusqu’à 3 ans : 0,75 litre par jour.
– Enfants de 3 à 6 ans : 0,50 l
– Enfants de 6 à 14 ans : 0,25 l
– Femmes enceintes et allaitant : 0,50 l
– Spéciale : 0,50 l
Les consommateurs ordinaires n’ont pas le droit d’acheter du lait, mais le lait écrémé et le petit-lait sont libres.
• Sucre, confitures, œufs.
Les cartes donnent droit à : 250 gr de sucre, 100 g de confiture et 40 g de sucre par semaine. On peut éventuellement acheter des œufs sur tickets spéciaux attachés à ces cartes. Du 1er au 15 février, toute personne adulte aura droit à un œuf par semaine.
Volailles et poissons ne se vendent qu’à ceux qui figurent sur les listes de clients d’un magasin et les approvisionnements en sont si faibles qu’on compte une volaille par famille de 5 personnes toutes les cinq ou huit semaines.
Le poisson frais se trouve difficilement et, pour le poisson de conserve, la situation est à peu près la même que pour les volailles.
Dans la saison actuelle, les légumes sont rares, exception faite pour les choux ; les fruits se trouvent encore, librement mais ils sont de qualité inférieure et à des prix élevés.
2° Production industrielle
Au cours de la deuxième quinzaine de janvier, le grand froid a jeté une perturbation dans la distribution des matières premières.
Étant donné la défectuosité du matériel de transport ferroviaire, le Reich avait reporté sur les voies navigables une grande partie du trafic intérieur des marchandises. Le gel des rivières et des canaux a, en particulier, paralysé la répartition du charbon que les chemins de fer n’ont pas pu assumer.
D’ailleurs, le rendement des mineurs diminue. Dans le district de Mahrisch Ontrau (Silésie) l’extraction par mineur travaillant à la main est tombé de 14 à 8 quintaux pour huit heures.
La production métallurgique n’a pas atteint la moyenne mensuelle antérieure. Elle était tombée pour la fonte à 1,5 million de tonnes en décembre (moyenne 2 millions), elle est restée à ce niveau en janvier. Le minerai suédois arrive plus difficilement pendant que la Baltique septentrionale est gelée. D’autre part, les hauts fourneaux Hermann Goering ont du mal à démarrer. En effet, le minerai de Salzgitter est très siliceux, il faut ajouter beaucoup de calcaire dans le lit de fusion, or il est presque impossible d’effectuer le transport (à longue distance) de cette matière.
Les Allemands se sont assuré l’exploitation des mines de pétrole en Galicie polonaise. L’extraction de 1938 a atteint environ 400 000 tonnes de pétrole, elle passera à 500 000 tonnes par an. Le rendement en essence n’est que de 60 %.
Par suite de la diminution de la production, et la rigueur du rationnement, beaucoup de détaillants de la lingerie, bonneterie, soierie ont été obligés de fermer leurs magasins.
3° Transports
La crise du matériel persiste.
L’Allemagne s’adresse à des constructeurs étrangers et leur commande des wagons-marchandises, et en particulier des wagons-citernes (Belgique).
En raison du gel, l’Allemagne n’a pas pu assurer normalement les exportations de charbon. La Belgique et l’Italie ont dû fournir des wagons supplémentaires pour enlever une partie du charbon qui leur est destiné.
Plus de la moitié des trains de voyageurs ont été supprimés pour intensifier la circulation des trains de marchandises et suppléer à la déficience des canaux et rivières.
Les liaisons ferroviaires entre la Russie et l’Allemagne d’une part, la Roumanie et l’Allemagne d’autre part, s’améliorent très lentement. La ligne de Cernauti à Lwow a été mise en service au début de janvier. Elle est sous la surveillance de militaires et de fonctionnaires allemands. Cependant le trafic sur cette ligne est entravé jusqu’à ce jour par les redevances en devises, très élevées, que demandent les Russes pour le passage à travers le territoire polonais occupé par eux.
Depuis le début de décembre, le Danube est gelé. Étant donné que la capacité de transport ferroviaire est limitée, l’Allemagne n’a pu se procurer, en tout et pour tout que 70 095 tonnes de pétrole en décembre et 22 771 tonnes du 1er au 23 janvier.
4° Monnaie et finances
Financement intérieur
Le Reich continue à diminuer la consommation de sa population afin d’affecter une fraction du revenu national aussi grande que possible au financement de la guerre.
En janvier, les dépenses quotidiennes (militaires et civiles) ont atteint 100 millions de marks, ce qui ferait 36 milliards pour une année. Or, si on réfléchit, d’une part, que le revenu national s’élève à 75 Mds et que d’autre part, le seul budget ordinaire de 1939 (alimenté par l’impôt) a atteint 24 Mds, contre environ 12 Mds pour le budget extraordinaire (emprunts), il apparaît que les dépenses publiques allemandes ne sont pas actuellement bien supérieures à celles d’une année normale de paix. Seule, l’intensification des opérations militaires pourrait augmenter rapidement le volume des dépenses.
Aussi pour le moment, n’est-il pas question d’inflation en Allemagne.
Après l’augmentation saisonnière de fin d’année, la circulation fiduciaire est redescendue, au 15 janvier, à 11 Mds de reichsmark. Il faut y ajouter 1 Md de marks-billets (rentenmark) et environ 2 Mds de marks de circulation métallique. Or les pièces d’aluminium, de nickel et de cuivre sont progressivement retirées de la circulation et remplacées par du papier.
Financement extérieur
Jusqu’en décembre, l’Allemagne a pu disposer d’un volume de devises assez important. En effet, les exportations dans les pays à devises libres, au cours du premier semestre 1939, avaient été faites avec paiements à terme. C’est donc de ce fait que les devises sont rentrées au cours du second semestre. Or, comme l’importation de la part des pays à devises libres a été pratiquement arrêtée, le Reich peut disposer temporairement d’une certaine réserve de devises. D’ailleurs, les Russes complètent les moyens de paiement à l’extérieur de l’Allemagne.
Fin janvier, le Reich a pu rembourser aux États-Unis la moitié de la dette moratoriée (standstill).
Par ailleurs, le Reich pousse les exportations vers les Balkans afin de se créer partout un solde créditeur dans le clearing. Aussitôt qu’il l’aura réalisé, il pourra exercer, sur les pays neutres, une pression afin d’être ravitaillé aussi complètement que possible en denrées et matières premières.
La dévaluation systématique des monnaies balkaniques par rapport au mark facilitera les achats supplémentaires de l’Allemagne dans le Sud-Est. En janvier, après la dépréciation du leu de 20 %, la valeur du mark a été pratiquement relevée par rapport au pengo. En effet, les devises libres ont été dépréciées de 10 % par rapport à la monnaie hongroise, ce qui signifie une appréciation de fait du mark par rapport au pengo.
5° Commerce extérieur
Nous disposons maintenant des statistiques des pays neutres voisins de l’Allemagne, établies depuis le début de la guerre.
Ces statistiques qui s’étendent à une période assez longue permettent d’aboutir à quelques conclusions.
1° Quatre pays ont poussé leurs exportations vers le Reich. Il s’agit du Danemark, de la Hongrie, de la Yougoslavie et de la Roumanie.
2° Par contre, pour les autres pays, les exportations sont stationnaires ou en recul. Mais la totalisation des excédents d’exportation de ces pays vers l’Allemagne est encore très loin de correspondre au volume des achats que l’Allemagne a pu effectuer, avant la guerre, dans les pays d’outre-mer.