Coloniale - Le Trusteeship (régime de tutelle) à l'ONU - La position française - Un amendement américain - Trois réformes françaises - La grève du Sénégal
Ce n’est pas sans doute empiéter sur la chronique diplomatique que de rendre compte des travaux que l’Assemblée générale des Nations unies a consacrés aux questions de tutelle internationale, ou de « trusteeship ». Cette première assemblée, véritable assemblée constitutive, est, comme on sait, chargée de mettre en œuvre l’organisation internationale que la Conférence de San Francisco (avril-juin 1945) a définie. Il s’agit de constituer ces organes essentiels de l’ONU que sont le Conseil de sécurité, le Conseil économique et social, le Conseil de tutelle, etc. Conseil de sécurité et conseil économique et social ont été créés, comme on sait, dès les premières séances de l’Assemblée. Mais il est évident qu’il ne peut être question de créer le Conseil de tutelle avant qu’il n’existe des « trusteeships », puisqu’aux termes de l’article 86 de la Charte, le nombre total des membres de ce conseil se partage également « entre les membres des Nations unies qui administrent des territoires sous tutelle et ceux qui n’en administrent pas ». Rappelons qu’aux termes de l’Accord de Yalta, confirmé par l’article 77 de la Charte de San Francisco, le régime de tutelle doit s’appliquer : aux territoires actuellement sous mandat, – puis conformément à un accord de tutelle – aux territoires qui peuvent être détachés d’États ennemis par suite de la Seconde Guerre mondiale ; enfin, aux territoires qui seraient placés volontairement sous ce régime par les États responsables de leur administration. Pour ce qui est des territoires détachés d’États ennemis, la Conférence de Moscou (décembre 1945) a décidé de placer la Corée sous une tutelle sino-russo-américaine. Mais il ne semble pas que les termes de l’accord de tutelle aient encore été arrêtés entre Tchoung King [NDLR 2024 : capitale provisoire de la Chine nationaliste], Moscou et Washington. Quant aux colonies italiennes, qui n’éviteront pas, toutes, le « trusteeship », il est probable que leur sort ne sera définitivement réglé qu’à la Conférence de la Paix. Restent donc les mandats de la Société des Nations (SDN). Ceux-ci pourraient être mis rapidement sous le régime de la Charte de San Francisco, ce qui permettrait de mettre aussitôt sur pied le Conseil de tutelle.
À l’issue de sa deuxième session tenue à Londres en novembre-décembre 1945, la Commission préparatoire des Nations unies avait adopté une « Recommandation à l’Assemblée générale » pour inviter toutes les puissances mandataires à déclarer si elles entendaient transformer leurs mandats en trustees. Ces déclarations ont été attendues et reçues avec un intérêt marqué par l’Assemblée générale, ce qui prouve, une fois de plus, à quel point l’opinion mondiale s’attache aux problèmes de caractère colonial – avec des intentions, il est vrai, qui ne sont peut-être pas toujours pures chez tous. Le premier, M. Bevin a annoncé l’intention de la Grande-Bretagne de mettre sous tutelle le Tanganyika [NDLR 2024 : en 1964, fusionné avec Zanzibar, devient la Tanzanie], le Togo et le Cameroun. Puis la Belgique, l’Australie et la Nouvelle-Zélande en ont fait autant pour leurs mandats respectifs. Seule, l’Afrique du Sud, ce qui n’a été une surprise pour personne étant donné la position non équivoque qu’elle avait prise à San Francisco, a réservé sa position. M. Nichols a déclaré que le Gouvernement de l’Union sud-africaine ne pouvait engager l’avenir de son mandat sur le Sud-Ouest africain, tant qu’il n’aurait pas consulté les populations de ce territoire.
Quant à la déclaration de M. Bidault, ministre des Affaires étrangères, sur le Togo et le Cameroun français, il faut avouer qu’elle a reçu un accueil pour le moins réservé. Les commentaires qui l’ont accompagnée ont donné l’impression que la France ne s’engageait pas sans réticences dans le système du trusteeship. Et cependant à quoi se ramenaient, en définitive, ces commentaires ? À ceci simplement que la France compte bien que le régime de tutelle internationale, auquel elle est disposée à soumettre ses mandats africains, ne doit pas se traduire, pour les habitants du Togo et du Cameroun, par une diminution des libertés qu’elle leur a déjà accordées et qui sont les libertés qu’elle a reconnues à tous les membres de l’Union française. Il n’est pas prouvé, en effet, que le régime du trusteeship, qui peut être un progrès dans la voie de la liberté pour certains pays sous mandat, n’est pas quelque peu en retard sur la politique française actuelle, qui tend à liquider le régime colonial. Car, pour être international, le trusteeship n’en reste pas moins une tutelle et même une tutelle coloniale, ne serait-ce, si paradoxal que cela paraisse, qu’à cause de ce principe de l’égalité économique dont il reste à démontrer qu’il sert, dans tous les cas, les intérêts du pays à qui on l’impose. Mais, pour en revenir à la déclaration de M. Bidault, elle avait été dénaturée d’avance parce que, quelques jours auparavant, et la veille encore, la presse française, sur la foi d’on ne sait au juste quel extraordinaire communiqué, avait annoncé que la France ne mettrait pas ses mandats sous tutelle. Cependant, le Gouvernement français a arrêté les termes de l’accord de tutelle qu’il se propose de soumettre prochainement à l’approbation de l’Assemblée générale. On peut donc penser que le malaise que cette sorte de malentendu a suscité, sera vite dissipé.
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