La situation crispée en Catalogne ne remet pas en cause la loyauté de l’institution militaire espagnole à l’autorité de l’État. Les armées, dans un contexte difficile sur le plan budgétaire, s’efforcent de conserver un spectre complet de capacités militaires pour répondre aux objectifs politiques décidés par le gouvernement.
La Catalogne, l’Espagne et sa défense (T 936)
Catalonia, Spain and its defense
The tense situation in Catalonia does not call into question the Spanish military institution's loyalty to the authority of the State. Armed forces, in a difficult fiscal environment, strive to maintain a full spectrum of military capabilities to meet the government's policy objectives.
La déclaration alambiquée et ambiguë de Carles Puigdemont, le président de la Généralité de Catalogne depuis janvier 2016, devant le Parlement catalan ce mardi 10 octobre n’a pas réellement apporté de solution à la crise actuelle outre-Pyrénées et a même accru le sentiment de chaos. Dans le projet indépendantiste, la question de la défense est plus que secondaire avec une forme à peine évoquée de statu quo au sein de l’Otan et de l’UE, sachant que la culture anti-capitaliste, antimilitariste et pacifiste domine largement dans la coalition conduite par Carles Puigdemont. La seule force de sécurité dont dispose la Generalitat est la police régionale, les Mossos d’Esquadra, dont l’attitude évasive lors du référendum du 1er octobre a traduit un alignement idéologique sur les autorités de la Generalitat. Et, conformément à la Constitution de 1978, la défense est de la responsabilité de l’État et donc de Madrid. Par ailleurs, depuis la professionnalisation des armées espagnoles décidée au début des années 2000 et la suppression du service national, l’empreinte militaire sur la société espagnole – et quelle que soit l’autonomie – est quasi nulle. Il n’y a plus ainsi d’unités militaires où l’on retrouverait des appelés du contingent issus de Catalogne. Par ailleurs, le recrutement de militaires professionnels pour les trois armées a toujours été réduit dans cette région.
Ce phénomène – résultante de l’histoire contemporaine complexe de l’Espagne – s’appuie également sur la perception de l’absence d’ennemis et de menaces réelles par l’opinion publique. L’ennemi extérieur durant le franquisme était assimilé à l’ennemi intérieur : le communisme et ses déclinaisons internes, dont les identités catalanes et basques. Avec la Transition, le projet espagnol – entièrement tourné vers le projet européen – a cependant vécu dans l’angoisse du terrorisme d’extrême gauche et surtout de celui de l’ETA, fondée en 1959 et qui a tué 829 personnes durant la lutte armée, entre 1965 et 2010. Quant à l’ennemi extérieur, il n’existe pas tout simplement aux yeux des opinions, malgré les attentats islamistes du 11 mars 2004 à Madrid et ceux du 17 août de cette année à Barcelone. L’Espagne se veut une « soft power » fidèle à ses alliances militaires, contribuant aux opérations sous mandat de l’ONU, mais évitant de projeter des troupes dans un contexte offensif, l’Irak restant le mauvais exemple. À ce jour, 3 000 personnels sont déployés en Opex dont plus de 600 au Liban au sein de la Finul et plus de 250 en Afrique subsaharienne.
L’outil militaire espagnol a de ce fait subi de plein fouet les rigueurs budgétaires imposées par la crise de 2008. En 2000, le budget de la Défense atteignait à peine 0,92 % du PIB. En 2008, cette part était à 0,76 % pour descendre ensuite à 0,51 % en 2016, pour remonter depuis cette année avec 0,76 %. L’Espagne fait ainsi partie des pays de l’Otan qui dépensent le moins pour leur défense et ce, dans l’indifférence la plus complète de l’opinion publique.
Malgré tout, Madrid arrive à conserver une capacité militaire solide qui repose en très grande partie sur la qualité de l’encadrement pour le volet RH et par des financements de programmes d’armement par le ministère de l’Industrie, permettant d’étaler les paiements. Ainsi, les forces armées sont engagées dans des projets coûteux comme l’A400M dont l’Espagne voulait acquérir 27 exemplaires réduits depuis à 14. Il y a aussi l’épineux dossier des sous-marins S80 – dérivés des Scorpène –, construits par Navantia et dont les difficultés techniques retardent à 2021 la livraison de la première unité, soit dix ans de plus que prévus. La volonté justifiée de Madrid de disposer du spectre complet – hormis la dissuasion nucléaire – dans le domaine de la Défense pour ses forces, oblige à conduire et effectuer des non-choix avec des capacités résiduelles à maintenir. Il faut ainsi penser désormais au remplacement des avions F/A-18 Hornet de l’armée de l’air et les AV-8B Harrier II pour l’aéronavale, le F-35 Lightning II semblant être le seul choix possible, maintenir les chantiers navals Navantia en arrachant des commandes à perte – avec l’appui indirect de l’industrie de défense américaine – et persuader sans cesse la classe politique et l’opinion publique qu’il faut investir dans la défense.
Sur le terrain, en ce qui concerne la Catalogne, les armées ne jouent qu’un rôle très secondaire de soutien aux forces de sécurité, c’est-à-dire la Guardia Civil et la Policia Nacional. Si l’opération Cotte de maille est déclenchée par le gouvernement, l’Ejercito fournira un appui essentiellement logistique. De plus, les implantations militaires sont très réduites dans la Generalitat avec seulement deux bataillons à 350 hommes chacun et un commandement maritime à Barcelone. Récemment, le bataillon Extremadura, stationné dans la province de Gérone a reçu ses nouveaux VCI ASCOD Pizarro de conception austro-espagnole. Certains réseaux sociaux y ont alors vu le prélude à une intervention des blindés, signe d’une paranoïa de certains jusqu’au-boutistes indépendantistes, alors qu’il ne s’agissait que de la mise en place de la nouvelle dotation, conformément aux plans d’équipements, eux-mêmes validés par les Cortes (Parlement espagnol).
S’il y a bien une certitude en cet automne 2017, c’est que les forces armées espagnoles ne sont plus celles du 23-F 1981 et des velléités de putsch ne sont que des fantasmes de militants d’extrême-gauche rêvant d’un grand soir et recherchant l’affrontement à tout prix. Quant à une armée catalane, elle ne serait de peu de valeur opérationnelle, tant le sujet est hors du champ de réflexion des indépendantistes. Indirectement, la confrontation actuelle entre Barcelone et Madrid fragilise la Défense, dans la mesure où les priorités gouvernementales sont autres.
Ce jeudi 12 octobre est le jour de fête des armées avec un traditionnel défilé militaire à Madrid. Il faut souligner qu’une compagnie de 120 élèves gendarmes français – actuellement en formation en Espagne – participera à cette prise d’armes, démontrant le lien étroit qui existe entre les armées de nos deux pays. ♦