Charles Cogan nous a quitté récemment. Expert des relations internationales, il avait une connaissance intime de la France et ses travaux ont constitué une mine d’informations et de réflexions indispensables pour comprendre un monde en pleine transformation et à la recherche d’équilibres impossibles.
In memoriam Charles G. Cogan
In memoriam Charles G. Cogan
Charles Cogan has left us recently. Expert in international relations, he had an intimate knowledge of France and his work was a wealth of information and reflections essential to understand a world in full transformation and the search for impossible balances.
Charles G. Cogan nous a quitté le 14 décembre 2017. Il avait suivi un parcours exceptionnel. D’abord une carrière au sein de la CIA, pendant 37 ans, en particulier en Afrique et au Moyen-Orient. Il avait été chef de station à Paris de 1984 à 1989. Puis il avait entamé une seconde carrière comme historien et politiste à la John F. Kennedy School of Government, de 1997 jusqu’à la fin.
Il s’en expliquait avec une désarmante simplicité. Il était un représentant de la vieille école de la CIA, y compris dans son allure, sa tenue et son humour, qui évoquaient le look Nouvelle-Angleterre, longtemps de rigueur dans sa « Maison » (il était en fait d’origine irlandaise). Au fond, pour lui, le renseignement et l’histoire étaient des disciplines intellectuelles fort comparables, et, d’un point de vue épistémologique en tout cas, on ne pouvait que lui donner raison.
Je suis évidemment peu qualifié pour évoquer son rôle à la CIA, mais on sait qu’une bonne partie de son activité, avant son séjour à Paris, concernait le Moyen-Orient. Il dirigea d’ailleurs le service correspondant à Langley. Son livre, La République de Dieu (1), paru en 2008 à Paris (Éditions Jacob-Duvernet), est à la fois une réflexion sur les réactions de l’Amérique face à l’Islam (réflexion assez pessimiste d’ailleurs) et ce qui ressemble à une autobiographie.
Par ailleurs, j’ai des raisons de penser qu’il avait parfaitement tenu son rôle de « chef de station » à Paris, qui consistait d’abord à cultiver les meilleures relations possibles avec ses correspondants français. La guerre froide n’était en effet pas encore finie, et même si les relations franco-américaines étaient loin d’être aussi bonnes qu’on a tendance à le penser aujourd’hui, où la vision d’un François Mitterrand « atlantiste » l’emporte (à mon avis à tort), la solidarité occidentale face à l’URSS avait un sens.
Comprendre les ressorts profonds et complexes des relations franco-américaines et aussi expliquer les Français aux responsables à Washington : c’était sans doute ses tâches primordiales. Et on constate que ce furent celles qu’il poursuivit dans sa seconde carrière. Très connu et très apprécié, y compris dans un milieu universitaire parisien qui n’était pas spontanément porté à sympathiser avec un ancien membre de la CIA, il participa en effet à un nombre considérable de colloques et rédigea une masse d’articles ainsi que des ouvrages reconnus, qui approfondissaient ces deux thèmes. Il est clair que cette activité n’était pas une couverture ou encore une sorte de hobby de retraité, mais ce chercheur associé au plus important centre de recherche sur l’histoire des Relations internationales qui existe en France (l’UMR SIRICE CNRS-Paris I-Paris IV) trouvait là, de toute évidence, son épanouissement.
Son premier livre, Oldest Allies, Guarded Friends: the United States and France since 1940 (1994), fut traduit en 1999 : Alliés éternels, amis ombrageux : les États-Unis et la France depuis 1940 (2). Le thème des relations franco-américaines fut repris dans des ouvrages plus techniques, tournant autour des questions de défense, comme Forced to Choose: France, the Atlantic Alliance and NATO—Then and Now (3) (1997) et The Third Option: the Emancipation of European Defense, 1989-2000 (4) (2001). Tous ces ouvrages étant fort appréciés des spécialistes.
On rappellera également un ouvrage collectif important, qui est toujours une référence : L’Europe et la crise de Cuba (5), codirigé en 1993 avec le Professeur Maurice Vaïsse qui, à l’époque, dirigeait le Centre d’études d’histoire de la défense (CEDH).
Mais un livre en particulier suscita de l’intérêt et des réactions, bien au-delà des milieux universitaires : French Negotiating Behavior: Dealing with ‘la Grande Nation’ (Washington, 2003) traduit en 2005 sous le titre de Diplomatie à la française (6). C’était une analyse culturelle des méthodes françaises de négociation, destinée
évidemment avant tout aux décideurs américains juste après la grave crise franco-américaine de l’hiver 2002-2003 à propos de l’Irak. Mais que tout le monde aurait intérêt à lire cette étude, qui analyse l’attitude et les pratiques des diplomates, des hommes politiques, des militaires, des milieux d’affaires, à partir de trois cas : l’Uruguay Round entre 1986 et 1994 (négociations internationales visant à un accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), la négociation de 1995-1996 sur les rapports Otan-UE et enfin, la crise irakienne au Conseil de sécurité de l’ONU en 2003. Le livre a certes été parfois critiqué sur tel ou tel point mais il me paraît dans l’ensemble fondé et bien vu (il repose sur une considérable bibliographie et des entretiens nombreux avec des décideurs de haut niveau). De toute façon, il est fort utile de voir comment un Américain, cultivé, libéral, qui nous connaissait bien, nous voyait à la table de négociation !
Le dernier ouvrage de Charles G. Cogan, diffusé en 2014, était un recueil d’articles parus sur les sites de différents organes de presse : Digital is the New Third Age. Adventures in the Blogosphere (7). Environ 160 articles y développaient des questions d’actualité, avec une finesse, une sûreté d’information et de jugement qui en font un recueil remarquable. On y voit tous les problèmes et les dilemmes que rencontre la politique américaine depuis la fin de la guerre froide, analysés par un Américain à la fois patriote et libéral.
Avec Charles G. Cogan, nous perdons un ami. ♦
(1) 229 pages
(2) Bruylant, 418 pages
(3) Praeger, 176 pages
(4) Praeger, 200 pages
(5) Armand Colin, 255 pages
(6) Jacob-Duvernet, 375 pages
(7) 244 pages