Si les relations personnelles entre les princes héritiers du Royaume d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unies sont fortes, l’alliance stratégique entre ces deux ensembles reste solide mais il existe cependant des divergences d’appréciation sur des sujets sensibles comme la relation avec la Turquie, le rôle politique à donner ou non aux Frères musulmans et bien sûr la rivalité géopolitique avec l’Iran chiite.
Pérennité de l’alliance saoudo-émirienne ? (T 974)
Durability of the Saudi-Emirati alliance?
While the personal relations between the Crown Prince of the Kingdom of Saudi Arabia and the United Arab Emirates are strong, the strategic alliance between these two groups remains strong, but there are differences of opinion on sensitive issues such as the relationship with Turkey, the political role to give or not to give to the Muslim Brotherhood and of course the geopolitical rivalry with Shiite Iran.
La bonne entente entre les princes héritiers d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis – Mohamed ben Salman et Mohamed ben Zayed – est aujourd’hui un fait reconnu qui reflète l’alliance stratégique entre ces deux pays et leur leadership sur les États du Golfe. Cette prédominance inquiète d’ailleurs en privé leurs partenaires du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCEAG ou CCG) qui craignent pour la préservation de leur autonomie de décision. La crise avec le Qatar a précisément pour principal motif le souhait de Doha de poursuivre une politique originale – donnant la parole à travers la chaîne satellitaire Al Jazeera aux Frères musulmans en particulier – alors que MBZ et, dans une moindre mesure, MBS sont partis en guerre contre l’Islam politique.
Toutefois les positions de l’Arabie et des Émirats ne sont pas totalement convergentes et leurs relations sont plus complexes qu’il n’y paraît. Il subsiste en effet un contentieux territorial bilatéral et pendant longtemps les dirigeants émiriens critiquaient le conservatisme de leur grand voisin qu’ils comparaient à leur propre « success story » dans la région.
Ces derniers temps, un certain nombre de divergences sont apparues entre les deux partenaires :
• Les relations avec la Turquie montrent une vraie différence d’approche : Abou Dabi est très critique de l’évolution « islamiste » d’Erdogan alors que les relations politiques et économiques entre Riyad et Ankara sont bonnes malgré le soutien turc au Qatar.
• Au Yémen, les deux pays coopèrent étroitement au sein de la coalition contre les Houthis, mais Abou Dabi dissimule de moins en moins son soutien aux sécessionnistes du Sud alors que Riyad s’en tient pour l’instant à l’unité du Yémen.
• S’agissant des relations avec les Frères musulmans, Abou Dabi reste intransigeant dans sa volonté de les combattre alors que Riyad coopère avec eux au Yémen et en Syrie. Cela explique d’ailleurs la fermeté des Émirats envers le Qatar tandis que l’Arabie semble plus ouverte à un arrangement avec Doha.
Naturellement ces divergences ne mettent pas en péril l’entente saoudo-émirienne qui repose sur des bases solides :
– Riyad et Abou Dabi misent fortement sur le président Trump et le réengagement américain dans la région.
– Les deux capitales veulent faire refluer l’influence iranienne au Moyen-Orient. C’est même la priorité de la politique saoudienne. Cela explique aussi leur rapprochement avec Israël.
– Riyad et Abou Dabi sont les principaux soutiens du président Sissi en Égypte, notamment les Émiriens.
– Les deux pays tentent, à travers un dialogue nourri avec le président Poutine, de dissocier l’axe irano-russe.
– MBZ comme MBS sont les promoteurs d’un même modèle libéral en économie et autoritaire en politique.
– Les deux pays développent leurs relations avec la Corne de l’Afrique, jugée désormais stratégique pour leur sécurité.
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Ces différents éléments montrent que l’attelage saoudo-émirien demeure solide, mais il sera intéressant de vérifier son évolution à la lumière des développements dans les trois secteurs où des différences existent : au Yémen, dans le Croissant fertile (rôle de la Turquie) et au Qatar. La relation entre les deux alliés stratégiques est en effet marquée par le déséquilibre structurel entre les deux partenaires ; et le « tutorat » actuel de MBZ sur MBS ne sera peut-être pas éternel étant donné les ambitions du prince héritier saoudien qui, bien que redevable envers son homologue émirien de l’avoir promu au sein de l’équipe Trump, pourrait se libérer de son « parrainage », la gratitude ayant – comme on le sait – des limites en politique. ♦