La revendication par Daech à l’été 2014 de l’instauration du califat sur un territoire conquis par les armes entre Syrie et Irak semblait correspondre à la volonté des terroristes de créer un État avec ses structures propres en ignorant le droit international et en se conférant une légitimité religieuse. La défaite de Daech remet en cause cette volonté politique même si les capacités de nuisance de l’organisation terroriste restent attractives pour des militants assoiffés de violence.
Revendication étatique par une organisation terroriste : chimère ou menace ? (T 989)
State claim by a terrorist organization: chimera or threat?
Daesh's claim in the summer of 2014 of the establishment of the caliphate on a territory conquered by arms between Syria and Iraq seemed to correspond to the will of terrorists to create a state with its own structures by ignoring international law and conferring religious legitimacy. The defeat of Daesh calls into question this political will, even if the terrorist organization's capacities of nuisance remain attractive to militants thirsting for violence.
La question étatique est au cœur de nombreuses préoccupations. Parmi elles, celle de l’État défaillant * semble être préjudiciable à la paix et à la sécurité internationale. Dans ses Mémoires de paix pour temps de guerre, Dominique de Villepin s’exprime ainsi : « Le djihadisme est une maladie opportuniste qui se nourrit de la faillite des États, à tel point qu’il faut regarder la réalité en face : dans certaines régions, les organisations terroristes se présentent comme des alternatives crédibles à l’État. Elles offrent des subsides, des débouchés d’emplois et des ressources à travers nombre de trafics. » (p. 75). Cette remarque met en exergue l’idée que la fragilisation de l’État s’accompagne souvent de nouvelles revendications étatiques, parfois légitimes à certains égards (Kurdistan), parfois absolument néfastes (Daech). La crainte de voir surgir un « État terroriste » – hier en Irak et au Levant, aujourd’hui en Libye – est d’autant plus redoutée que jusque dans la communication les démocraties occidentales préféraient parler de Daech ou d’« Organisation État islamique » (OEI) plutôt que d’« État islamique en Irak et au Levant » (EIIL) comme pour occulter la revendication étatique de l’organisation terroriste (cf. Wassim Nasr, p. 21-25).
Pourtant au regard du droit international, l’OEI ne pouvait prétendre au statut d’État. Ce même droit assurait également qu’il ne pouvait être reconnu comme tel. Ces instruments juridiques assurent ainsi que ni le temps, ni les intérêts des puissances, ni encore l’absence de réaction internationale, ne pourraient donner une dimension étatique à une quelconque organisation terroriste. Ils sont cependant loin d’être exhaustifs. Le renforcement de l’État, notamment lorsqu’il est défaillant, est une bien meilleure garantie contre les velléités étatiques d’une organisation terroriste.
La formation étatique d’une organisation terroriste : le cas de l’OEI
Il est communément admis en droit international que plusieurs critères constitutifs conditionnent l’existence de l’État : un territoire déterminé, une population permanente, un gouvernement et, toujours selon la Convention de Montevideo de 1933, la capacité d’entrer en relation avec les autres États. Une lecture rapide aurait pu considérer l’OEI comme tel. Certes, l’organisation terroriste disposait d’un territoire en Irak et en Syrie avec pour capitale désignée Raqqa. Toutefois, ce territoire n’était pas clairement déterminé. S’appuyant au départ sur une stratégie d’expansion progressive du territoire, l’OEI s’est peu à peu enlisée avant de se retirer de plusieurs régions et de consolider ses positions autour de ses bases principales (cf. « Comprendre l’après Daech », p. 35-39). Ce territoire n’était pas non plus contrôlé : il était certes divisé en « 19 wilayas (provinces) en Irak et en Syrie, et 16 dans d’autres pays », mais ce découpage relevait davantage d’un schéma administratif que d’un contrôle terrestre effectif. L’occupation territoriale de l’OEI s’apparentait plus à une dromostratégie, selon les propos d’Olivier Zajec, c’est-à-dire à un contrôle des axes de communications et de certains bastions (Mossoul, Raqqa) mais ne saurait répondre aux exigences fondées par le droit international. Cette idée renvoie à l’expression du géopoliticien Jacques Ancel qui « parlait de ‘‘dromocratie’’ (de dromos, vitesse en grec) concernant les pays structurés autour de routes commerciales ou militaires » (Olivier, Zajec, p. 66).
Il reste 75 % de l'article à lire