La question du Soldat augmenté est désormais très présente à l’heure où des progrès sont notables permettant d’améliorer les performances humaines et de pallier certaines limitations. Cependant il convient de rester lucide et de ne pas céder à une certaine forme d’hubris guidée par des considérations financières ou trop techno-centrées qui mettraient en péril notre éthique et notre perception de ce que doit être le combattant du futur.
Billet - À propos du soldat augmenté (T 1016)
Billet—About the augmented soldier
The issue of the augmented soldier is now very present at a time when significant progress is being made to improve human performance and to overcome certain limitations. However, we must remain lucid and not yield to some form of hubris guided by financial or too techno-centered considerations that would endanger our ethics and perception of what must be the fighter of the future.
Dans son article « L’avenir du soldat est-il celui de l’homme augmenté ? » (RDN nos 810 et 811, mai et juin 2018), Éric Pourcel expose une problématique bien documentée sur la base des publications sérieuses actuelles. In fine, le « progrès » que permet la science est présenté comme inexorable et d’ailleurs sans limite. Les Américains comme les Chinois sont déjà plus ou moins engagés dans la voie du « soldat augmenté ». La position des Européens pourrait être moins exclusivement fonctionnelle, si l’on en référait aux valeurs immatérielles de la culture occidentale, mais rien n’est moins sûr compte tenu des enjeux financiers et stratégiques.
Ce constat recoupe les craintes exprimées, ici et là, à propos du futur possible de l’homo sapiens qui fonce tête baissée vers une dramatique évolution aux enjeux et perspectives peu questionnées, comme si la loi d’airain du « progrès » porté par la science était inéluctable et au-delà de toute amorce de réflexion (cf. nos articles « À propos d’intelligence artificielle », RDN nos 805 et 807, décembre 2017 et février 2018).
Je crois en effet avec l’auteur que si une application plus ou moins sécurisée des « avancées » dans les domaines de la génomique, de la bio-robotique et/ou de l’hybridation des deux se retrouve sur le sacro-saint marché, il sera toujours tentant de l’expérimenter dans le monde militaire ne serait-ce que pour faire comme les Américains ou les Chinois. Le lobby scientifico-industriel sera sans aucun doute à la manœuvre pour l’imposer au scepticisme initial éventuel du combattant de base.
Certes, cela a peu de chances de se réaliser avant une bonne vingtaine d’années voire beaucoup plus pour certaines perspectives comme l’armée de zombies sur étagère. Par ailleurs, ce seront surtout de petits contingents comme ceux des Forces spéciales qui seront concernés, auxquelles l’auteur fait d’ailleurs logiquement allusion.
Mais l’hubris de l’espèce la rendra toujours avide d’explorer des mutations toujours plus vertigineuses, comme pour éprouver toutes les sensations du divin démiurge aux ineffables desseins ; en attendant une Chute cataclysmique toujours possible. À moins que, par miracle, les possibilités technologiques ne soient utilisées que pour la quête d’une plus grande Sagesse ? On peut rêver !
Une remarque pour finir : le thème plus actuel de la cyberguerre n’est pas abordé, alors qu’il est au cœur des évolutions technologiques et sociétales, outre son emploi récent, tous azimuts, par de grandes puissances pour se déstabiliser mutuellement. Les soldats baroques de cette guerre sournoise perverse et peu coûteuse, sont à coup sûr bien différents de ceux que nous avons connus jusqu’alors.
Ne va-t-on pas justement leur proposer d’affriolantes mutations en tous genres qu’ils s’empresseront d’accepter en tant que premiers prosélytes de ce Futur tout « techno » qu’ils servent déjà et espèrent amplifier indéfiniment (voir les investissements de Google, Apple, etc.) ? Quelles idées, toujours plus malignes, pourraient germer dans des cerveaux hybridés pour des buts hors de tout référentiel, éthique ou autre ?
Au rebours, dans l’idée de tenter un contrôle de l’effrayant processus, le niveau de déshumanisation de ces geek souvent asociaux pourrait constituer un bon terrain d’étude pour mettre en évidence ce que l’avenir réservera aux futures générations augmentées.
Souhaitons comme l’auteur que les valeurs immatérielles de la civilisation occidentale « qui raisonne en termes d’homo (humanisme), de philo (sagesse), d’ethos (cadre normatif de réflexion culturel et moral) et de pathos (compassion à la souffrance) », servent effectivement de fil directeur à la position des Européens « ce qui conduira à réglementer l’articulation entre homme et progrès technique en limitant les applications possibles, voire en contingentant le domaine même de la recherche exploratoire ».
Vaste sujet. ♦
À lire également, le Cahier de la RDN du CREC Saint-Cyr sur le Soldat augmenté.