Il est de bon ton de ne considérer que la recherche stratégique « made in USA ». Or, il existe également une pensée stratégique russe très intéressante et qui s’inscrit dans une très longue histoire militaire allant des Tsars jusqu’à Poutine en passant par l’époque soviétique.
La pensée stratégique russe : résurgence de la tradition militaire soviétique ? (T 1030)
Russian strategic thinking: resurgence of the Soviet military tradition?
It is good form to consider only "Made in USA" as strategic research. However, there is also a very interesting Russian strategic thinking that is part of a very long military history ranging from the Tsars to Putin through the Soviet era.
Historiquement, lorsqu’il faut en venir aux moyens militaires, la Russie ne prend pas de demi-mesure. Sur le plan stratégique, les Soviétiques ont toujours adhéré à l’adage de Alexandre V. Souvorov (1730-1800) : « Une forêt qui n’a pas été entièrement abattue repoussera » (cité par V.E. Savkin). En 1987, Jacques Sapir commentait déjà dans la revue Hérodote n° 47 en citant A.A. Strokov : « La surprise est, pour les Soviétiques l’un des points principaux de l’art militaire ». La surprise stratégique russe prend sa pleine dimension avec l’apparition des armements modernes et la mobilité nouvelle des troupes et du champ de bataille qui en découle. Aujourd’hui, elle s’exprime pleinement au travers de l’ensemble de la palette des moyens projetés en Syrie.
Les origines de la pensée stratégique
Le principe de « maskirovka », élément constitutif de la surprise stratégique, repose sur la capacité à masquer ses préparatifs. Cacher la mise en place de moyens de la future intervention s’avère ardu. On peut cependant contrer cela en suggérant à l’adversaire de fausses interprétations. À ce titre, la diplomatie et l’usage précis du couple surprise/routine peuvent être efficaces. La multiplication et la diversité des exercices militaires concourent à l’accoutumance de la mobilisation des forces (cf. Jacques Sapir). Au travers du conflit tchétchène, Arnaud Kalika énonçait les principes suivis d’abord par l’administration Eltsine puis Poutine, déroulant de ce que Guennadi Guérassimov, alors porte-parole de Mikhaïl Gorbatchev, qualifiait de « Doctrine Sinatra » : « I dit it my way » (La Russie en guer?re, p. 134). Bien que la Russie ait réussi à s’imposer en définitive dans la crise tché-tchène, le choix de l’emploi de la force, « à la Russe », n’a pas été optimal dans le cadre des conflits de 1996. Le second volet de 1999 se révéla peu probant aussi avec des résultats contrastés. La doctrine russe concernant les frappes de précision s’apparenterait à l’extension de la doctrine russe d’opération en profondeur ou « teoria glubokoï operatsii » qui émergea en 1920-1930 à l’instigation du chef d’état-major des armées Mikhaïl Toukhatchevski (cf. Richard Simpkin). Elle prône
l’intégration des nouvelles technologies au sein des vues stratégiques, opératiques et tactiques. La bataille ou opération profonde met l’accent sur la fin, l’écrasement ou la dislocation des forces ennemies, non seulement sur la ligne de contact, mais dans toute la profondeur du champ de bataille. Initialement, ce concept a contribué à l’amélioration des forces terrestres et aériennes et a influé dans les opérations soviétiques de la Seconde Guerre mondiale à partir de 1943. De 1970 à 1980, le chef de l’état-major Nikolay Ogarkov a mis à jour le concept de bataille profonde pour développer une approche plus aérospatiale afin d’intégrer dans la traditionnelle doctrine russe les avancées induites par les technologies de précision.
Ogarkov a théorisé tout au long de son mandat en tant que chef de l’état-major général soviétique que les munitions à guidage de précision classique représentent une révolution dans les affaires militaires. Dans un article de Krasnaya Zvezda de 1983 (p. 2), Ogarkov relève de l’impact de ces nouveaux types d’armes sur le développement des capacités conventionnelles. Pour Ogarkov, le développement de nouvelles formes conventionnelles d’armes non nucléaires permettrait les opérations à front multiples envisagées dans le concept de bataille en profondeur. Selon lui, la frappe de précision prédispose et conditionne le sort de la guerre à venir (cf. Mary Fitzgerald).
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