Le statut de puissance thermonucléaire était pour le général de Gaulle un impératif tout autant politique que militaire. Alors que le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) était parvenu en peu d’années à concevoir sa première bombe à fission (13 février 1960), la conception de la bombe H exige quant à elle plus de huit années d’efforts. L’enjeu pour la France, 50 ans après, reste le même. Il s’agit de garantir la crédibilité d’une stratégie de défense fondée sur la dissuasion nucléaire sur la base d’un constat : à l’initiative des grandes puissances mondiales et régionales, le XXIe siècle se caractérise par l’expression violente des rapports de force et la relance de la course aux armements. Retour sur une séquence marquante de notre ambition nucléaire, un épisode de notre récit national.
Il y a 50 ans, le 24 août 1968, la France passe au thermonucléaire (T 1031)
50 years ago, on August 24, 1968, France goes thermonuclear
The status of thermonuclear power was an imperative, just as much political as it was military, for General de Gaulle. While the CEA had managed design its first fission bomb in a few years (February 13, 1960), the design of the H bomb requires more than eight years of effort. The challenge for France, 50 years later, remains the same. It is a question of guaranteeing the credibility of a defense strategy based on nuclear deterrence on the basis of an observation: at the initiative of the world and regional powers, the 21st century is characterized by the violent expression of force and the revival of the arms race. Back on a milestone sequence of our nuclear ambition, an episode of our national narrative.
En cette fin août 1968, les vacances d’été sont bientôt finies. Le calme est revenu boulevard Saint-Germain. La répression soviétique a mis fin aux espoirs du printemps de Prague. À 20 000 kilomètres de là, l’atoll de Fangataufa est en effervescence, les personnels du Centre d’expérimentations du pacifique et du Commissariat à l’énergie atomique sont mobilisés pour l’essai Canopus. Pour cette expérimentation, une charge nucléaire nouvelle a été fixée sous un ballon captif maintenu à 550 mètres de hauteur. Objectif de l’opération : faire entrer la France dans le club thermonucléaire. En outre, il convient de prendre en compte les risques liés à la puissance d’un essai mégatonnique. À ce titre, les habitants de l’atoll de Tureia, pourtant situé à 100 km, sont évacués sur Papeete. Des abris pour les populations sont aménagés sur les îles Gambier, Reao et Pukarua. Un bimoteur Vautour de l’Escadron de Marche 85 Loire se tient prêt au décollage pour effectuer les prélèvements de particules à proximité du nuage radioactif attendu lors du test.
Une bombe thermonucléaire : comment ça marche ?
Désignée aussi bombe à hydrogène, ou « bombe H », l’arme thermonucléaire repose sur le principe physique de fusion de deux atomes d’hydrogène lourd : le deutérium 2H, et le tritium 3H. Il s’agit de reproduire sur Terre la machinerie solaire. L’opération est complexe. La fusion ne peut se produire qu’à une température de plusieurs millions de degrés. Une bombe thermonucléaire comprend donc deux éléments : une bombe à fission (plutôt miniaturisée) qui va servir à produire une très forte chaleur et qui fera office de détonateur au mécanisme de fusion et un second étage composé de deutérium et de tritium. C’est entre les deux étapes que se situe la difficulté. Comme l’explique la Direction des applications militaires (Dam) du CEA, « l’énergie de fission est transmise à la partie, dite thermonucléaire, pour induire des réactions de fusion entre du deutérium et du tritium, deux isotopes de l’hydrogène. Les températures atteignent alors quelque 100 millions de degrés ». L’explosion se produit en 600 nanosecondes : la fission demande 550 ns, 50 étant nécessaires pour la fusion. Voilà pour le principe. Derrière le défi technologique, il y a la politique et la stratégie. Une charge thermonucléaire parvient donc à produire une puissance très supérieure à une bombe A, dans un volume réduit, tout en épargnant le plutonium, ressource rare et chère issue des réacteurs nucléaires à uranium.
Cette arme d’apocalypse avait été imaginée durant la Seconde Guerre mondiale par le jeune Edward Teller. Le physicien d’origine hongroise est alors affecté au laboratoire secret de Los Alamos où il débute sa carrière sous la direction de Robert Oppenheimer. Le directeur du programme scientifique Manhattan juge toutefois son projet plus aléatoire, compte tenu des impératifs de la guerre qui imposent d’aller vite. Il lui préfère une étape plus immédiatement accessible : l’arme à fission d’atomes d’uranium ou de plutonium. Après la guerre, Edward Teller n’a pas abandonné son idée. Associé au mathématicien polonais Stanislas Ulam, Edward Teller obtient la construction d’un nouveau laboratoire pour y parvenir : ce sera celui de Livermore. La première expérience est conduite le 1er novembre 1952 à Enewetak (Mike est le nom de code de l’expérience). La machine expérimentale de 82 tonnes délivre 10,4 mégatonnes. L’ensemble est posé à même le sol. En Union soviétique, c’est Andreï Sakharov qui s’y consacre, le premier essai étant réalisé dès 1953, soit quatre années après la première bombe à fission de Staline. Le Royaume-Uni développe sa formule en trois ans et parvient à ce niveau technologique en 1957.
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