Pour la 4e année consécutive, l'auteur analyse les différents annuaires stratégiques et autres atlas ou synthèses géopolitiques, soit 28 ouvrages ! Cela permet un tour d'horizon des évènements qui ont secoué le monde en 2018 et des enjeux à venir en 2019. Cette première partie est consacrée aux démocraties en péril face aux populismes et à l'imprévisibilité de Donald Trump.
Parmi les livres - Horizon 2019 (1/4) Les démocraties en péril (T 1054)
Among the Books—Horizon 2019(1/4) The democracies in peril (T 1054)
For the fourth consecutive year, the author analyzes the different strategic directories and other atlases or geopolitical syntheses, that is 28 books! This allows an overview of the events that shook the world in 2018 and issues to come in 2019. This first part is devoted to the democracies at risk in the face of populism and the unpredictability of Donald Trump.
En cet automne 2018, l’actualité s’emballe. Onze mois après l’entrée de Donald Trump à la Maison-Blanche, les États-Unis se sont retirés d’une douzaine d’accords internationaux, ou d’institutions internationales, sapant ainsi les bases de l’ordre international libéral qu’ils avaient édifié en 1945. À la veille de décisions majeures concernant le Brexit, l’Europe resserre les rangs. Le monde est entré dans une guerre commerciale d’ampleur, ce qui freine la croissance mondiale. Les tensions géopolitiques pèsent sur les marchés. Il apparaît donc plus que jamais nécessaire de disposer d’instruments d’analyses, comme le sont annuaires stratégiques, atlas ou autres ouvrages décryptant, au plus près, les enjeux internationaux du moment.
De la stupeur aux tremblements
Ramses 2019 : Les chocs du futur (1) de l’Ifri (Institut français des relations internationales) met l’accent cette année sur les problèmes démographiques et migratoires qui lui sont liés, analyse le dessein de la Chine d’occuper les premières places à l’horizon 2035-2049 et s’interroge sur le duel Arabie saoudite/Iran.
L’Année stratégique 2019 (2) de l’Iris (Institut de recherches internationales et stratégiques), se demande si le multilatéralisme est révolu, si Trump est l’ennemi de l’Union européenne. Il examine également l’état des négociations climatiques et fait le point de la situation en Ukraine, qui reste le principal obstacle sur la voie du rapprochement entre l’Europe et la Russie.
L’état du monde 2019 (3) se livre à une vaste analyse historique, politique, culturelle, idéologique d’un problème clef de notre temps : celui des populismes, cette vaste constellation de mouvements à géométrie variable dont l’audience, l’influence et la diffusion sont allées croissantes. Ils se sont nourris, non seulement des vagues migratoires, de la montée des inégalités, des revendications souverainistes, mais aussi du rejet des élites, dont les performances et l’efficacité sont jugées décevantes.
Dans ce panorama général, au moment où l’Europe se prépare à l’importante échéance électorale de mai 2019, certainement la plus importante de son histoire, on ne peut que déplorer « un cruel manque de vision européen » comme l’analyse Thierry de Montbrial à la fin de ses « Perspectives ». Il lui faut en effet réussir le Brexit, ce qui n’était pas encore certain, en octobre, mettre en place une politique d’immigration et pour les réfugiés qui ne risque pas de faire le jeu des populismes, parachever l’union monétaire, avancer dans le domaine d’une défense européenne, en donnant son sens à la notion d’« autonomie stratégique » tout en étant plus efficace, condition de sa légitimité. Vaste programme, qui requiert des hommes d’État.
Avant de décrypter ces utiles synthèses, signalons une série d’autres instruments d’analyse, d’information et de repérage que sont les atlas. Le Grand Atlas 2019 (4), intitulé Le monde qui bascule, sous la direction de Franck Tétart, offre un panorama du monde en 200 cartes aux échelles et proportions variées. Parmi la série des thèmes d’actualité traités, citons : « Fin de la gouvernance mondiale ? », « Le monde selon Trump », « Le 31 mars 2019, le Royaume-Uni quitte l’Union européenne », « L’Amérique latine aux urnes, au Venezuela, en Colombie et au Brésil » – où l’on s’attend à un nouveau tremblement de terre dans ce pays qui a perdu 7 % de croissance ces trois dernières années –, « Vers la fin de Daech ? » – thème abondamment traité ailleurs. On trouve deux intéressantes cartes dans le Grand Atlas 2019 : la première sur l’Europe gagnée par le populisme où tous les pays sont marqués par des phénomènes, l’autre sur les Amérique ne comporteraient que quatre cas (Donald Trump, Nicolas Maduro au Venezuela, Rafael Correa en Equateur et Evo Morales en Bolivie). En Asie, sont cités le BJP (Bharatiya Janata Party) de Modi et surtout Rodrigo Duterte aux Philippines. « Les Nouvelles routes de la Soie et investissements chinois dans le monde » : en dix ans, les entreprises chinoises ont investi 835 milliards de dollars à l’étranger, dans 110 États. « L’Europe face à la crise migratoire », « L’Arabie saoudite, le tournant », « La Turquie : le retour au Moyen-Orient ».
L’Atlas géopolitique mondial édition 2019 (5), sous la direction d’Alexis Bautzmann, recoupe largement et amplifie les préoccupations et les thèmes abordés par le précédent. Il passe en revue la plupart des questions européennes : de la Catalogne au Brexit, de la Baltique – porte d’entrée d’une nouvelle route eurasiatique – au Haut-Karabagh. Il aborde la question des frontières du Kosovo, traite abondamment de la question migratoire – avec, entre autres, une carte détaillée de la zone Menton-Vintimille où les migrants se trouvent face au verrou de la frontière franco-italienne –, de l’islam, des russophones dans les pays Baltes. « La péninsule arabique : un espace sous tension » fait l’objet d’un mini-dossier agrémenté de cartes précises où, outre les îles Abou Moussa, Grand et Petit Tomb – saisies par le Shah en 1971 –, figure l’île de Qeshm à l’entrée du détroit d’Ormuz. Le projet de pont Bahreïn-Qatar a peu de chance de se réaliser. Si l’Arabie saoudite déploie, sous la conduite du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), une politique offensive, les Émirats arabes unis (EAU), pour leur part, déploient leur présence en Libye, en Égypte, au Yémen – État failli, pays en guerre où l’état de crise alimentaire touche 17,8 millions de personnes, l’état d’urgence alimentaire, 8,4 M, alors que certaines régions sont frappées par le choléra avec des taux de 1 à 40 pour mille !
L’Afrique est d’abord touchée par la famine, susceptible de créer l’une des plus graves crises alimentaires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. 6,1 M de personnes touchées au Soudan, 5,1 M au Nigeria et 2,9 M en Somalie, tous pays touchés par les conflits civils, les violences et, comme ailleurs, le dérèglement climatique. Pourtant, l’Afrique est aussi la terre des nouvelles technologies : avec sa population croissante, elle fait figure d’eldorado pour les grands groupes de téléphone mobile et de communication. L’Union africaine (UA) ne manque pas d’ambition parce qu’elle envisage un « Schengen africain », un passeport unique et l’abandon des visas de courte durée. Le Nigeria a beau être secoué par les crises, le cinéma ne s’y est jamais aussi bien porté : « Nollywood », le géant du cinéma africain, produit 1 000 films par an. Quant au tourisme, il pourrait devenir un nouveau levier du développement, le continent n’accueillant que 4,7 % des flux touristiques mondiaux.
L’Asie fait l’objet de nombreuses entrées, à commencer par la Chine qui fait l’objet d’un copieux dossier (8 articles) dans Ramses 2019, le nouvel Empire du milieu réalise 17,3 % du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat contre 15,8 % aux États-Unis. Bien des contentieux ou conflits potentiels persistent : Inde/Pakistan où l’on attend la concrétisation de l’apaisement mémoriel, frontière Inde/Bangladesh, différend russo-japonais portant sur les îles Kouriles, expulsion des Rohingyas de Birmanie, paix introuvable au Mindanao (la 2e île des Philippines par sa superficie et sa population) où la forte minorité musulmane est en rébellion. Ces conflits, déjà anciens, contrastent avec l’image d’une Asie, championne mondiale de la croissance
L’Espace mondial : L’Atlas 2018 (6), fournit une approche à la fois théorique et thématique, ancrée dans les territoires et les régions du monde, qui analyse et décrit un éventail très large de questions à l’aide d’éclairages complémentaires. Le premier coup d’œil porte sur les contrastes et inégalités. Sont ainsi traités, riches et pauvres (avec le lien entre pauvreté et dégradation environnementale), la question de la malédiction des ressources, celle de la démocratie, du genre, des maladies mondiales, des fractures numériques et des diversités culturelles. Ce qu’il importe de retenir, c’est dans quelle mesure ces différents aspects sont producteurs de rupture, de conflits, de mouvements de population. Qu’en est-il par ailleurs de la question des ressources ? L’eau, bien précieux, provoquera-t-elle des guerres ? La biodiversité est-elle réellement menacée ? L’alimentation est-elle garantie ? Comment se pose l’équation de la transition énergétique ?
Ces diverses questions passées au crible, les autres se penchent sur deux questions fondamentales. Tout d’abord, la stratégie des acteurs transnationaux avec les tentatives de régulation. Pour gérer les interdépendances des acteurs transnationaux et la multiplication des problèmes transfrontières dans l’espace mondial, les tentatives de régulation portent sur un nombre croissant de domaines : commerce et finance (OMC, FMI, BRI – Belt and Road Initiative), questions sociales à l’Organisation internationale du travail (OIT), humanitaires et environnementales. La communauté internationale est sur le point de s’engager vers la négociation d’un Pacte mondial sur l’environnement qui servirait de chapeau et de lien entre la multitude d’accords ou d’engagements internationaux adoptés en ce domaine depuis près d’un demi-siècle. Il ne s’agit pas ici que des outils classiques du multilatéralisme international et régional, mais d’un recours croissant au droit privé où la Soft Law anglo-américain prédomine largement.
La seconde question porte sur l’intensification des rencontres internationales, et des textes de plus en plus épais et techniques auxquelles elles donnent lieu. Tout ceci crée une multitude de textes, donne lieu à des sommets de plus en plus fréquents, ce qui conduit, selon les auteurs, à surinvestir certains enjeux, tandis que l’absence de leadership fait défaut. On verra si, en 2019, Emmanuel Macron en viendra à proposer une réforme du G7, du G20, comme d’ailleurs de la Francophonie désormais forte de plus de 80 membres et qu’il s’agit d’orienter vers les techniques nouvelles, l’ouverture aux autres langues, à l’économie et aux échanges. À cet égard, les cartes détaillées montrant les zones de compétence ou de chevauchement des 40 plus importantes organisations régionales ou continentales, sont éloquente de la densité de la coopération multilatérale : si la Ligue arabe se dirige vers ses 75 ans d’existence, bien d’instances (Alliance pour la Pacifique, UNASUR – Union des Nations sud-américaines –, ALBA – Alliance bolivarienne pour les Amérique, enfant chéri de Hugo Chavez) ont moins d’une décennie. Mais a-t-on déjà vu la dissolution d’organismes internationaux, comme cela le fut de l’UEO (dont les compétences ont été reprises par l’UE), de l’Otase ou du CENTO (alliances conçues au temps de la guerre froide et qui ont disparu avec elle) ?
Les divers auteurs explorent en particulier les théâtres de confrontation, la terre, la mer et l’air, mais aussi le cyberespace, l’espace extra-atmosphérique, le monde de l’information, ou Gaïa – la Déesse terre – et les zones critiques (déserts, deltas, confins montagneux…) où prolifèrent souvent les sociétés guerrières. La technologie des drones a contribué à l’extension du champ de bataille, telle que l’armée américaine l’a théorisée depuis la fin de la guerre froide sous l’appellation de Full Spectrum Dominance. Les problèmes d’infrastructures et d’attributions font du cyberespace un domaine particulier de conflictualité : le président Trump n’a-t-il pas créé une 6e Armée cet été, celle de l’Espace ?
Le monde de l’information et du renseignement peut apparaître comme un autre domaine de conflictualité. Toute une partie est consacrée aux modalités pour contenir la violence, en l’occurrence terroriste, et la conflictualité. Les guerres de l’avenir seront longues, interminables, décentrées et dénuées de base nationale. Elles impliqueront l’ensemble de la population mondiale. Les combattants eux-mêmes n’appartiendront plus à des appareils militaires mais à des groupes éphémères, dotés de hiérarchies variables. Mais bien d’autres variantes sont possibles et coexisteront. En définitive, estiment les auteurs, la combinaison d’une macro-crise environnementale avec les effets de la violence terroriste apparaît comme les deux visages contemporains de la montée aux extrêmes, théorisée par Clausewitz.
Les divers annuaires stratégiques traitent également des conflits et guerres mais n’en font qu’un thème mineur. Ramses 2019 analyse les situations conflictuelles en Libye et en Ukraine, ce qui est aussi le cas de L’Année stratégique 2019. L’espace moyen-oriental est abondamment traité dans le Grand Atlas 2019 : « villes libérées en Syrie », « Quel territoire pour les Kurdes dans le conflit syrien ? », « La Palestine : à quoi ressemblera un État viable demain ? ». La Bande de Gaza (1,8 million d’habitants sur 360 km2), qui fait face, depuis le printemps 2017 à une pénurie de ses approvisionnements énergétiques, poursuit sa longue plongée dans le noir.
Donald Trump et le retour des populismes
Donald Trump et l’imprévisibilté
L’année 2019 sera placée sous l’égide des mêmes leaders mondiaux que ceux de l’année passée : choc de Donald Trump on l’a vu, sur lequel tout le monde continue de s’interroger, ne tenant pour prévisible que son imprévisibilité ; confirmation de Vladimir Poutine, brillamment réélu, pour un 4e (et dernier ?) mandat le 18 mars 2018 avec un score de 76,69 % des voix contre 63,6 % en 2012 ; ascension de Xi Jinping, confirmé comme leader national, qui incarne le « grand renouveau de la Nation chinoise » ; engagement européen d’Emmanuel Macron, fervent apôtre du multilatéralisme, se présentant comme l’ardent pourfendeur de la montée des inégalités qui se « trouve au cœur du problème ». N’oublions pas Recep Tayyip Erdogan, qui, le 27 mars 2018 a battu le record de longévité au pouvoir détenu en Turquie par Mustafa Kemal Atatürk, dont il s’attache à détricoter l’héritage.
En dehors de ces cinq personnalités clefs, aucun leader mondial ne s’est particulièrement distingué : ni l’Allemande Angela Merkel, jadis la « femme la plus puissante du monde » qui, depuis les élections législatives fédérales de septembre 2017, a semblé emprunter son chemin de croix ; ni l’Indien Narendra Modi, dont le parti (BJP) ou ses alliés contrôle 18 des 29 États indiens, ne laissant le contrôle au parti du Congrès que le contrôle d’un seul État d’importance ; ou encore le Japonais Shinz? Abe. Ces personnalités, ou les pays qu’ils dirigent, font l’objet d’un article dans le Ramses. Certes, le descendant de l’unique dynastie communiste de la Planète, Kim Jong-un, jadis pourfendu de « Little Rocket Man », a acquis des galons d’habile stratège et de négociateur avisé, mais il est encore prématuré de dire quand interviendra « un accord global, irréversible, transparent, portant sur la dénucléarisation totale de la péninsule coréenne » et dans quels délais.
L’élection de Donald Trump, rappelle Pascal Boniface dans L’Année stratégique 2019, avait provoqué une sorte de stupeur mondiale. L’angoisse fut telle, poursuit-il, que les premiers mois se sont presque avérés rassurants. On verra si une telle opinion paraît vérifiée, car actuellement on dénombre pas moins d’une dizaine de dénonciations d’accords internationaux (TPP ou Accord transpacifique, Accord de Paris sur le climat, Accord sur le nucléaire iranien – JCPOA –, Pacte de l’ONU sur l’immigration), de retrait d’organisations internationales (UNESCO, Conseil des droits de l’homme), ou de leur remise en cause (OMC), auquel aura procédé le 45e Président américain, suscitant « une crise profonde de l’ordre international libéral westphalien » comme l’a déclaré Emmanuel Macron dans son discours du 26 septembre 2018 devant l’Assemblée générale des Nations unies. Aussi n’est-il pas surprenant que Thierry de Montbrial dans ses « Perspectives » commence à s’interroger sur la démocratie. Celle-ci est-elle amenée sinon à disparaître mais à devenir sous sa forme classique, un phénomène de plus en plus minoritaire. En effet, la montée des régimes autoritaires (Chine, Russie, Turquie, Arabie saoudite – liste non limitative), comme le recul des démocraties libérales face aux démocraties dites illibérales, a de quoi inquiéter.
Le « populisme », thème central de L’état du monde 2019, se développe dans le monde occidental, lequel n’est pas à l’abri d’autres poussées du souverainisme ou de repli national. Si Donald Trump s’en prend aussi vigoureusement au multilatéralisme, c’est qu’il prétend remédier aux difficultés auxquelles sont confrontés les États-Unis par la voie bilatérale sans égard pour les institutions mises en place depuis la Seconde Guerre mondiale, lesquelles constituent l’armature de l’ordre mondial qui a bien fonctionné durant la guerre froide. De fait, le titulaire de la Maison-Blanche est plus à l’aise dans le bilatéral qu’au sein des instances multilatérales, qu’il considère comme une perte de temps. Le G7, tenu au Québec en juin 2018, et le Sommet de Bruxelles de l’Alliance atlantique en juillet, l’ont amplement démontré.
Pourtant, le combien sensationnel Sommet de Singapour du 12 juin avec Kim Jong-un, qui est ainsi entré dans la cour des « grands » après avoir été traité de paria, comme la rencontre tant attendue d’Helsinki avec Vladimir Poutine, le 16 juillet, n’ont pas apporté, au-delà de leurs affichages médiatiques, les résultats attendus ou espérés. Ce que remet plus profondément en cause Donald Trump, c’est la toile savamment tissée, depuis bientôt trois quarts de siècles, des rapports entre les États-Unis et leurs alliés, n’opérant plus de différence entre ceux-ci et ses adversaires. Certes, le Président américain a en visée la Chine qu’il considère, à juste titre, comme le seul concurrent de l’Amérique à la place de n° 1 mondial. Mais s’y prend-il bien pour la contrer en se mettant à dos un nombre croissant d’amis, d’alliés, de partenaires, car d’ennemis, il n’en a jamais manqué… À quelques semaines des « midterm » (élection de mi-mandat pour le Congrès américain), qui mesureront le niveau de soutien à sa personne et à sa politique, les interrogations n’ont pas manqué. Pascal Boniface lui trouve, cependant, une grande cohérence car Donald Trump s’adresse surtout, sinon exclusivement à son électorat, « le mâle blanc » : celui-ci est lassé de voir l’Amérique jouer le gendarme du monde, d’intervenir en tout temps et en tout lieu, d’accorder soutien et généreuses subsides à ses clients et obligés. S’agit-il du retrait des États-Unis dans leur rôle impérial ? « L’Amérique n’est pas isolationniste. Elle est introvertie » estime Thierry de Montbrial. Comme Margaret Thatcher « wanted her money back », Donald Trump veut faire payer les autres.
« Donald Trump et le monde », s’interroge Thierry de Montbrial, dans les « Perspectives » du Ramses 2019, intitulé qui ne déplairait pas au magnat de l’immobilier, à l’égocentrisme si marqué et dont il voudrait faire de son imprévisibilité un avantage stratégique. En tout cas et pour le moment, l’image du 45e Président américain a dégradé le Soft Power des États-Unis et sapé la confiance qu’avaient bon nombre des partenaires à l’égard de l’Oncle Sam. Certes, les débuts auraient pu être pires car le Président n’a pas tenu toutes les promesses du candidat mais ses gestes « négatifs » pèsent déjà lourds. En jetant aux orties l’Accord de libre-échange transpacifique (TPP) liant les États-Unis à douze partenaires commerciaux de poids, il a ouvert un boulevard à la Chine pour façonner son propre accord commercial régional. En quittant l’Accord de Paris sur le climat, il prive les États-Unis de leur leadership dans le domaine des énergies renouvelables. En mettant en question l’accord nucléaire iranien, il démolit un pilier de la stabilité régionale, remet en cause la crédibilité de la signature américaine et endommage sereinement le système international de non-prolifération. Le cas nord-coréen est typique : Donald Trump, fidèle à son image, a cru qu’il parviendrait à convaincre la Chine de régler le problème nucléaire nord-coréen toute seule, mais celle-ci s’est bien dérobée à sa responsabilité qu’elle estimait ne pas devoir assumer.
Dans Les États-Unis de Trump en 100 questions (7) de Laurence Nardon, qui dirige le programme Amérique du Nord de l’Ifri, on trouvera tout un chapitre intitulé « L’impact de Donald Trump », fort de neuf entrées. On y trouve d’utiles précisions sur le parcours de ce soi-disant self-made-man (alors que son père lui a largement mis le pied à l’étrier) ou sur les activités de la Trump Organization qui a des intérêts ou des ambitions en Russie (ce qui expliquerait, pour certains, son attitude conciliante vis-à-vis de Vladimir Poutine). Bien des éléments concernant l’élection de Trump et l’avenir du parti Républicain sont examinés par ailleurs dans la partie consacrée au système politique. Au-delà des résultats des midterm, il semble que Donald Trump, dont le taux d’approbation oscille entre 38 et 43 % et qui ne fait face à aucune contestation de poids au sein du Great Old Party depuis la disparition de John McCain en août 2018, conserve toutes ses chances pour un second mandat.
En dehors des chapitres consacrés à l’histoire, les régions, la vie politique, l’économie – un des chapitres les plus fournis –, la culture et la société, un autre est consacré à la politique étrangère. Il passe en revue les grandes questions de l’heure : en dehors de sa dénonciation de maints accords internationaux, dont le dernier exemple est l’Accord Gorbatchev-Reagan de 1987 sur la suppression des missiles de portée intermédiaire (de 500 à 5 500 km) ou FNI, peu de réelles certitudes apparaissent tant il est vrai que la ligne Trump, à défaut de doctrine, est évolutive et imprévisible ! Certes, il semble que « la relation spéciale » avec la Grande-Bretagne paraît pour le moment bien enterrée, que le lien transatlantique a été ébranlé, mais non détruit et que l’Amérique latine a réveillé son antiaméricanisme traditionnel mais ne se concentre plus sur ses relations avec Washington. Mais nul ne sait comment vont évoluer en définitive les relations avec la Russie : un Sommet Trump-Poutine était envisagé le 11 novembre 2018 à Paris en marge de la célébration de la fin de la Première Guerre mondiale. On ne peut guère prévoir aussi jusqu’où ira l’affrontement avec la Chine qui, du domaine purement commercial, glisse sur le plan stratégique voire militaire. Un « deal » interviendra-t-il comme les affectionne tant l’ancien magnat de l’immobilier ? Certes, pour le moment, la Chine n’est pas en mesure de remettre en cause la prépondérance américaine mais sa trajectoire, on le verra, s’inscrit dans une perspective plus lointaine.
Cinq entrées sont consacrées aux relations franco-américaines. On y apprend que « seuls » 8,3 millions d’Américains se déclarent avoir une origine française, ce qui est bien sûr inférieur à ceux d’origine allemande (45 M) mexicaine et irlandaise (36 M), ou italienne (17 M), mais correspond à la faible émigration française au cours des siècles. Entre l’antiaméricanisme d’une bonne partie des intellectuels français et le french bashing en Amérique qui a battu son plein lors de la guerre d’Irak en 2003, les relations franco-américaines auraient pu être au beau fixe du fait du bon rapport personnel établi entre les Présidents des deux pays, mais force est de constater que celui-ci n’a rien produit de concret. N’a-t-on pas dit qu’Emmanuel Macron se faisait aussi l’interprète de Donald Trump lors de la rencontre quadripartite d’Ankara (Russie, Turquie, Allemagne et France) du 26 octobre 2018 sur la Syrie ?
S’agissant de l’Union européenne, le pessimisme tempéré, un moment amoindri avec l’élection d’Emmanuel Macron, semble être de retour avec l’affaire de la Catalogne. Si les premiers pas du nouveau Président français sur la scène internationale furent brillants, il lui faut désormais aboutir à des résultats tangibles sur tous les tableaux, au risque de décevoir non seulement les Français mais aussi le monde. Sur ce point, les événements qui se sont produits depuis l’été 2017 incitent à la prudence (enlisement du Brexit, élections allemandes, velléité d’indépendance en Catalogne, montée en puissance des démocraties illibérales), même les signaux économiques se sont affaiblis, comme nous le verrons.
Quant au Moyen-Orient, il reste tout aussi compliqué. Plus d’un an après le putsch mal embranché contre Recep Tayyip Erdogan, celui-ci est loin d’avoir pardonné aux Occidentaux leur manque de soutien et il se tourne de plus en plus vers la Russie, s’accorde de l’Iran et regarde vers la Chine. Parmi les pays s’estimant satisfaits de l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, en dehors d’Israël figure l’Arabie saoudite qui fut sa première destination à l’étranger en mai 2017 à l’issue de laquelle des accords de livraison d’armes de plus de 100 Mds $ ont été signés… sur le papier : la somme a été réduite à 25 Mds de réalisation effective !
Le retour des populismes
Avant d’être un mode de gouvernement, écrit Bertrand Badie, dans la préface de L’état du monde 2019, le populisme est d’abord un mode de mobilisation et de protestation contre une souffrance sociale, politique et économique d’autant moins identifiable que l’acuité de la crise éloigne les vieilles idéologies. Certes, le populisme n’est pas toujours aisé à identifier, mais bien de ses traits sont plus facilement repérables : appel au peuple, nationalisme, culte du chef, fibre sociale, souverainisme. On peut y ajouter d’autres traits mis en valeur chez Rodrigo Duterte : faire éclater l’opposition, faire usage des ressources politiques, contrôler les moyens d’information et être issu du peuple – c’est-à-dire s’opposer aux élites apatrides, technocratiques et mondialistes (le portrait craché de la Commission européenne…).
C’est donc un vaste éventail que recouvre le (ou les) populisme(s), dont les premières manifestations remontent aux narodniki – qui parcouraient les campagnes russes dès 1874 et que l’on trouve dans les romans de Tourgueniev ou de Dostoïevski –, aux partisans américains du Parti du peuple fondé en 1890, à ceux du « brave général Boulanger » qui ébranlèrent la IIIe République et, plus tard, aux aficionados du général Perón et de son épouse Evita, à ceux qui acclamèrent Gamal Nasser – pourtant plus nationaliste arabe que populiste –, et aujourd’hui ceux qui s’abreuvent des mâles propos du Philippin Duterte où s’égayent des tweets de l’Américain Trump et des philippiques xénophobes du Hongrois Orban ou des dirigeants de l’Alternative für Deutschland.
Cette liste n’est nullement limitative puisque L’état du monde 2019 passe en revue bien d’autres figures ou mouvements, en se demandant, en particulier, si l’islamisme est également une forme de populisme : question certes légitime mais à laquelle il paraît bien difficile de répondre. En effet, font également partie du vaste groupe des dirigeants populistes identitaire : Narendra Modi dont les valeurs – hindouïté, nationalisme, communautarisme, attitude anti-élites et culte du chef – sont d’essence populiste ; Recip Tayipp Erdogan, se campant en hyper-président, le raïs remet en cause la laïcité, la séparation des pouvoirs et met l’accent sur les fractures ethniques, confessionnelles, culturelles ; Vladimir Poutine également, avec sa croisade nationaliste et sa volonté de rendre à la Russie sa grandeur – ce qui le rapproche sur ce point, comme bien d’autres, de Donald Trump.
Il existe également un populisme israélien qui est un des éléments rapprochant parmi tant d’autres beaucoup plus visibles, Benyamin Netanyahou et Donald Trump. Ce populisme israélien – qui puise ses racines idéologiques dans la pensée de la droite extrême de Vladimir Zeev Jabotinsky dont le père de l’actuel Premier ministre, Ben-Zion, fut le disciple – s’est nourri de la colère des Juifs orientaux – les Séfarades –, victimes de discrimination des Juifs occidentaux – les Ashkénazes –, qui ont fourni la quasi-totalité de l’establishment travailliste. Ce populisme israélien met en avant le patriotisme de la terre et du ciel mais comment peut-il en être autrement dans les conditions où se trouve l’État hébreu.
Bien d’autres entrées scrutent ce caméléon qu’est le populisme, comme les affinités et divergence entre péronisme et chavisme, Mao et ses successeurs et la « ligne de masse ». Sur le plan international, le populisme, avancent les divers auteurs, se nourrit du sentiment d’humiliation du peuple, attribué aux acteurs dominants la scène internationale et éventuellement leurs complices au sein de l’élite nationale. L’antiaméricanisme rassemble ainsi les populismes latino-américains, arabes, africains ou asiatiques, et se double parfois de postures hostiles à l’ancienne puissance coloniale. S’il est assez aisé de percevoir une politique sociale populiste, en revanche il est plus difficile de définir une politique économique populiste, car il en existe de droite et de gauche, et les cas nationaux sont fort dissemblables et évolutifs. Par exemple, parmi tous les dirigeantes et dirigeants populistes analysés, un seul est ouvertement protectionniste : Donald Trump. Le cas de Viktor Orban est intéressant : tout en se livrant à une rhétorique franchement nationaliste, antieuropéenne et xénophobe, il pratique une politique ouvertement mercantiliste fondée sur un excédent commercial massif et une politique visant à attirer les investissements étrangers.
De fait, il convient d’être attentif et d’éviter les formules chocs, du type « Erdogan, un Poutine, islamo-conservateur ». On le voit, les auteurs hésitent parfois dans leurs catégorisations car s’il semble que tous les populismes tendent naturellement vers l’autoritarisme, le contraire est-il automatique ? Souverainisme, populisme, nationalisme, autoritarisme forment un arc-en-ciel ou une guirlande qui s’allonge et se démultiplie, ce qui renvoie à la question de la démocratie qu’avait posée Thierry de Montbrial.
La Russie de Poutine
Signalons le peu d’articles ou d’analyses nouvelles sur la Russie, au lendemain de la victoire déjà signalée de Vladimir Poutine en mars 2018. Est-ce à dire que tout a déjà été dit sur la Russie de Poutine et que celui-ci ne recèle plus d’inconnus, en dehors du problème, de sa succession en 2024 – il aura alors 72 ans – et de la pérennité du pouvoir qu’il a installé ? Dans Ramses, Tatiana Kastuéva-Jean sonde la popularité du « leader national » : plus populaire que jamais alors qu’en raison de l’allongement de l’âge de la retraite (60 ans pour les femmes, 65 pour les hommes), son taux de popularité est descendu aux alentours de 45 % contre 80 % au lendemain du retour de la Crimée dans le giron russe. Les perspectives de croissance restent limitées, 1,7 à 1,9 % jusqu’en 2020, à moins que la hausse du pétrole n’agisse mécaniquement sur les investissements. Quant à sa politique étrangère, elle paraît sans changement. Un constant, largement partagé par Arnaud Dubien, dans L’Année stratégique de l’Iris, qui titre « Un changement dans la continuité », en se demandant en particulier si la confrontation Russie-Occident est appelée à durer. Pourtant les chantiers progressent, Nord Stream II a levé les obstacles, le chantier du gazoduc Force de Sibérie s’achève, l’Arabie saoudite investit en Russie et les deux pays s’en tiennent à leur accord de stabilisation du marché pétrolier.
Dans Géopolitique de la Russie, 40 fiches illustrées (8), l’ancien ambassadeur de France en Russie Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Iris et enseignant à Sciences Po, présente un panorama complet de la Russie, brosse son histoire, décrit sa géographie physique humaine, mentale, culturelle et religieuse, décrit les grands secteurs de son économie. Il reprend les questions que tout le monde se pose en leur apportant des réponses précises mais jamais tranchées.
La normalisation de ses rapports avec l’Occident lui paraît un objectif raisonnable, mais inaccessible dans un avenir proche. La démographie reste un de ses points faibles, malgré un redressement récent entre 2010 et 2014, la lutte contre la corruption se poursuit sans faire la Une, comme en Chine. Bien des chantiers d’avenir apparaissent prometteurs, à commencer par le développement de l’Arctique et de la Sibérie, mais les investissements nécessaires ne sont pas au rendez-vous. Jean de Gliniasty pense que les dépenses de défense grèvent le développement économique, mais signale qu’elles sont en baisse : 69,2 Mds $ en 2016, au 3e rang mondial, contre 55 Mds en 2017 et 46 Mds prévus en 2018 ; l’Arabie saoudite l’a largement dépassé. On apprend également que les exportations de pétrole russe, avec 5,1 M de barils/jour, sont les deuxièmes du monde.
Par ailleurs, il cite un sondage de 2016 selon lequel un quart des Russes souhaiteraient émigrer, ce qui apparaît à la fois stupéfiant et peu réalisable. Que nous réserve Vladimir Poutine dans les années à venir ? ♦
(À suivre…)
(1) Dunod, 366 pages
(2) Armand Colin, 380 pages
(3) La Découverte, 252 pages
(4) Courrier international-Autrement, 2017, 126 pages
(5) Éditions du Rocher, 190 pages
(6) Presses de Sciences Po, 272 pages
(7) Tallandier, 2018, 252 pages
(8) Eyrolles, 2018, 184 pages