Jusqu’à présent, le calibre des chars du type Leclerc ou Leopard est de 120 mm. Dans le cadre du projet de futur char franco-allemand (MGCS), la Section technique de l’Armée de terre et Nexter ont développé un canon de 140 mm dont les performances sont très prometteuses. Ce calibre offrirait de très nombreux avantages pour le futur MGCS et constitue un atout de taille pour ce programme à venir.
Quel calibre pour le futur char franco-allemand (MGCS) ? (T 1075)
Which caliber for the future Franco-German tank (MGCS)?
So far, the Leclerc or Leopard type caliber tanks are 120 mm. As a part of the Franco-German tank (MGCS) future projecy, the technical section of the Army and Nexter have developpes a 140 mm canon whose perfromances are very promising. This caliber woud offer numerous benefits for the future MGCS at would constitute a great asset for this upcoming program.
Alors que démarrent les premières études technologiques destinées à préparer le développement du MGCS, l’annonce du Français Nexter à l’automne 2018 sur une campagne de tirs du canon de 140 mm relance le débat sur les choix d’armement. On se souvient que l’Allemand Rheinmetall avait présenté un canon de 130 au salon Eurosatory 2016, ce qui alimenta bien des conversations sur l’avenir du canon en tant qu’armement principal d’un char futur. Les concepts issus des études amont réalisées sous l’égide de l’ISL (Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis) en France et de l’IABG (Industrieanlagen-Betriebsgesellschaft mbH) en Allemagne ont exploré diverses formules de fonction feu combinant des canons de calibres divers, des missiles classiques ou hyper-soniques ainsi que des lasers. On rappelle que les principaux avantages du canon sur le missile sont qu’il tire des munitions relativement bon marché, que les munitions flèches sont insensibles aux contre-mesures hardkill ou softkill (1), que la gamme de munitions disponibles aux effets variés est très large (anti-blindage, explosif programmable, fumigènes, anti-personnels) et qu’un char peut embarquer un grand nombre de coups. En face, le missile est léger et ne requiert pas une plateforme lourde pour pouvoir être tiré.
Le canon de 140 mm que soutient Nexter vient d’un programme de l’Otan des années 1990, appelé FTMA (Future Tank Main Armament). Les initiateurs du FTMA furent les Américains dont les analyses sur la future génération de chars soviétiques concluaient sur la nécessité de percer l’équivalent d’un mètre d’acier à blindage, une estimation basée sur l’empilement de briques réactives lourdes, d’acier et de sandwichs de matériaux divers supposés entrer dans la composition des blindages frontaux du FST (Future Soviet Tank). Cette performance était très au-delà des capacités des canons de 120 mm qui atteignaient leur asymptote. On ne pouvait en effet pas allonger les tubes de canon et les barreaux de flèches indéfiniment, ni augmenter les pressions et les températures de chambre. Or, il fallait doubler l’énergie à la bouche. Changer de calibre dans des technologies maîtrisées était la seule option car rien d’autre n’était prêt, comme l’allumage ETC (2) pour poudres compactes.
Quand les Américains font part à leurs alliés de leur intention, ces derniers impliquent leurs bureaux d’études et un groupe de travail se constitue au niveau industriel. Rheinmetall, Giat Industries (France, futur Nexter) et les Royal Ordnance Factories (Royaume-Uni) rejoignent le Watervliet Arsenal (États-Unis). Bientôt chacun propose sa solution qui doit impérativement tenir compte d’une contrainte essentielle, pouvoir substituer les canons des chars en service car il est hors de question de remplacer des flottes complètes de chars dont l’état est quasi neuf puisque le M1 Abrams, le Leopard 2 ou Leclerc viennent de rentrer en service. Or, cette intégration a la double contrainte du canon lui-même mais aussi des munitions. Il devient rapidement évident que les futures munitions devront être coupées en deux pour pouvoir se loger dans les augets (3) de 120 mm. Les quatre alliés se présentent avec des solutions allant de 135 à 150 mm pour finalement converger vers la proposition française d’un 140 mm. Chacun repart chez soi avec un projet de Stanag (accord de normalisation) Otan et chacun est libre d’en décliner une solution technique.
Les Français se mettent au travail et étudient le canon et prioritairement la munition flèche puisque c’est l’alpha et l’oméga du système. Les ingénieurs de Giat Industries optent d’emblée pour l’uranium appauvri afin d’atteindre immédiatement les performances de pénétration attendues. Le sabot est en aluminium et la composition propulsive est très proche de celle du 120 mm. En somme, le 140 mm est un gros 120 mm dont toutes les technologies sont maîtrisées. Giat Industries ira même jusqu’à construire une tourelle spéciale T4 intégrant ce canon ainsi qu’un chargement automatique rudimentaire pour mesurer les impacts architecturaux du nouveau système d’arme. Le bureau d’études munitions de Bourges dessinera aussi quelques avant-projets de munitions complémentaires, le très confortable calibre de 140 mm autorisant toutes les fantaisies, charges creuses doubles voire triples (!), électronique de guidage pour munitions intelligentes à effet variable, munitions marsupiales multiprojectiles ou munition explosive longue portée.
En 2016, le général de brigade Charles Beaudouin, patron de la Section technique de l’Armée de terre (Stat), entreprend de sauver la tourelle T4 du ferraillage à Bourges et récupère un châssis de Leclerc MARS (Moyen adapté de remorquage spécifique) déclassé pour reconstituer un engin complet qu’il fait d’ailleurs repeindre dans un nouveau schéma de camouflage. Il le baptise Terminateur. À l’été 2018, Nexter Systems et la Direction générale de l’armement (DGA) effectuèrent une campagne d’essais au Portugal avec le char Terminateur. L’évolution technique notable par rapport à la configuration testée en 1994 est que la munition est en un seul fardeau, ce qui simplifie la fabrication et améliore potentiellement les performances de pénétration puisque le barreau de flèche peut être plus long. Ces essais concluants permettent aux Français de disposer d’un atout face aux Allemands qui promeuvent le 130 mm conçu par Rheinmetall. Le 140 FTMA que l’on croyait congelé va peut-être ressusciter pour les besoins du MGCS. Compte tenu des dimensions et des masses des obus de 130 ou de 140 mm, le recours à un chargement automatique est obligatoire, ce qui est une donnée majeure d’entrée pour l’architecture mécanique du MGCS.
L’enjeu industriel est considérable car il s’agit ni plus ni moins de fixer le futur calibre standard de canon de char de l’Otan et donc du monde entier puisque depuis 70 ans le reste de la Planète s’aligne sur les décisions occidentales en matière d’armement principal (90, 105, 120 et bientôt 140, croisons les doigts !). Sachant qu’un standard vit au moins 70 ans… ♦
(1) Les contremesures hardkill détruisent en vol le projectile assaillant tandis que les softkill contrarient ou trompent les conduite de tir
(2) ETC : Électrothermique chimique, procédé d’allumage des poudres compactes par arc électrique.
(3) Augets : Logements de stockage des obus.