La montée en puissance de la coopération régionale avec le G5 Sahel constitue toujours un objectif à atteindre pour pouvoir lutter plus efficacement contre les menaces sécuritaires qui affectent la région. La France poursuit ses efforts en vue de mieux impliquer sur le terrain tous les acteurs concernés face au terrorisme djihadiste.
État des lieux des difficultés de la coopération régionale du G5 Sahel (T 1083)
State of Affairs of the G5 Sahel Regional Cooperation Difficulties
The rise of power in regional cooperation with the G5 Sahel is still a goal to be achieved in order to be able to more efficiently fight the security threats affecting the region. France continues its efforts to better involve all of the actors on land concerned in the face of jihadist terrorism.
Alors que s’est tenu, le 5 février 2019, le 5e Sommet ordinaire de la conférence des chefs d’État du G5 Sahel, 5 ans après la création de la coopération régionale créée pour lutter contre le terrorisme et promouvoir le développement économique et social au profit des populations du Sahel, certaines difficultés persistent voire s’amplifient, notamment sur le plan sécuritaire.
L’approche adoptée par le G5 Sahel est pourtant la bonne pour résoudre la question de la violence islamiste aux multiples racines avec une réponse globale en termes sécuritaires, juridiques et politiques. Si le G5 Sahel constitue bien une initiative remarquable de prise en charge commune de sûreté régionale, la coordination avec des efforts internationaux en matière de sécurité et de développement paraît essentielle pour soutenir une entité regroupant parmi les pays les plus pauvres au monde et ne pouvant faire face seule à des défis immenses dépassant ses capacités. Alors que la situation sécuritaire se dégrade au Sahel, l’année 2019 sera décisive pour ces pays. Face à des solutions qui demandent du temps pour être mises en place, une action cohérente de la communauté internationale reste essentielle pour pérenniser les actions de la seule organisation qui permettra dans la durée la stabilité de la région.
2019, année charnière
Alors que les enjeux de sécurité au Sahel se multiplient, avec une recrudescence des actes terroristes mais aussi des conflits intercommunautaires, l’opérationnalisation de la Force conjointe G5 Sahel (FC-G5 Sahel) ainsi que la mise en œuvre efficace des programmes de développement dans les zones les plus délaissées sont une urgence.
Si la FC-G5 Sahel a pu mener trois opérations militaires depuis le début de l’année 2019 (cf. ONU Info, 27 mars 2019), l’opérationnalisation de cette force reste incomplète et pourrait être mise à mal du fait de financements tardant à se concrétiser en plus de l’extrême volatilité de l’environnement sécuritaire dans lequel évoluent les pays du G5 Sahel.
Ainsi, le Niger et le Tchad, qui subissent directement la balkanisation de la Libye, doivent faire face à des menaces qui se développent sur leur flanc Nord – le 3 février 2019, la France a effectué des frappes pour arrêter une colonne de 40 pick-up armés en provenance de Libye – et auxquelles s’ajoutent celles posées par la résurgence de Boko Haram dans la région du lac Tchad.
Au Mali, les engagements prioritaires de l’Accord de paix d’Alger signé en 2015 ne sont que partiellement achevés. Surtout, le centre de gravité du djihadisme s’est déplacé du Nord vers le centre du pays, les groupes terroristes profitant des failles de l’État dans cette zone où se côtoient de nombreuses communautés. Ces dernières, pour faire face à ce vide et assurer leur protection, ont développé des milices qui ont pu être instrumentalisées par les groupes terroristes et des massacres en ont découlé comme le 23 mars 2019 dans le village d’Ogossagou (région de Mopti) avec au moins 160 victimes peules. Aujourd’hui, il est à craindre un nettoyage ethnique dans le centre du Mali.
L’instabilité s’est également propagée au Burkina Faso, pourtant parmi les pays les plus « paisibles » à la création du G5 Sahel en 2014 mais qui a subi depuis 400 attaques (cf. Morgane Le Cam et Sophie Douce). L’extension territoriale du phénomène terroriste au « pays des hommes intègres » pourrait en faire un nouveau maillon faible d’un ensemble G5 Sahel bien fragile, en particulier sur son fuseau Centre. La zone dite des trois frontières (Mali, Burkina Faso et Niger) devient en effet le lieu où la porosité entre trafic (en particulier contrebande de cigarettes, drogues ou armes) et terrorisme se développe profitant des vides étatiques.
L’opérationnalisation de la FC-G5 Sahel devient donc une urgence afin d’apporter une réponse sécuritaire dans une région centrale à même de déstabiliser encore davantage le Sahel. En particulier, l’aide financière promise à la Force conjointe doit être débloquée dans sa totalité (cf. Annexe I), surtout à un moment où un pays comme le Tchad – fournissant parmi les troupes les plus aguerries de la force –, doit faire face à sa frontière libyenne à des risques sécuritaires qui l’ont contraint à créer une force de sécurité mixte dans la province du Tibesti et qui pourraient l’amener à remettre en cause sa participation à la Force conjointe. Déjà en 2017, le président Idriss Déby avait menacé de ne pas participer à la FC-G5 Sahel pour des raisons financières (cf. Aurélie Bazarra). Or, la présence tchadienne (avec celle de la Mauritanie) est indispensable tant les armées du Niger, du Burkina Faso et du Mali sont beaucoup moins performantes.
S’il est essentiel d’apporter une solution sécuritaire, celle-ci ne suffira pas à répondre aux défis de développement dans une zone de fractures et de fragilités où 50 % de la population sahélienne vit sous le seuil de pauvreté (cf. Alain Boinet). Or, ces individus en situation de pauvreté, voire d’extrême pauvreté, sont des proies idéales pour les groupes terroristes, proies qu’ils ne seraient probablement pas avec un accès à des services de base. Par ailleurs, la constitution des milices communautaires s’explique aussi par la concurrence féroce pour l’accès aux ressources (terres agricoles et eau en particulier) dans ce qui prend aujourd’hui des allures de conflit climatique. Les défis sont également éducatifs, même dans les zones épargnées par les conflits, comme au Niger où l’accès à la scolarité est très difficile.
C’est pourquoi, dès 2016, les pays du G5 Sahel ont développé une stratégie articulée autour de quatre axes : défense & sécurité, gouvernance, infrastructures, résilience & développement humain. Ce dernier volet montre d’ailleurs des résultats encourageants comme en témoignent les succès de la conférence des donateurs de Bruxelles du 23 février 2018 ou de la Conférence de coordination des fonds du G5 Sahel du 6 décembre 2018 à Nouakchott : celle-ci a permis de mobiliser 2,4 milliards d’euros (cf. 360 Afrique.com). Ces fonds, qui permettront de financer un Programme d’investissement prioritaires (PIP) sur la période 2019-2021, doivent maintenant être utilisés rapidement et de façon efficace afin d’offrir une alternative aux populations locales.
L’enjeu de la pérennité face à celui de la rapidité
Si les besoins sur le terrain se font pressants pour le G5 Sahel, les pays membres doivent réussir à mettre en balance l’urgence à agir avec la nécessité de construire une Force conjointe crédible : l’enjeu de la pérennité est en effet aussi crucial que celui de la rapidité.
L’opérationnalisation de la FC-G5 Sahel est souvent mise en cause, à juste titre, puisque cette force manque encore de moyens, de matériels et de formations et les financements promis pour cette force n’ont été que partiellement versés (cf. Annexe I). Mais plusieurs éléments sont à prendre en compte pour expliquer cette lenteur qui ne peut être imputable qu’à un seul manque de moyens financiers :
• Si la force conjointe a déjà pu mener quelques opérations, celle-ci n’a encore jamais été au contact (cf. Slate Afrique) des djihadistes et ne pourra le faire avant de disposer des équipements lourds nécessaires (dont des équipements blindés). Sans cela, le risque est grand de voir les troupes se décourager et encaisser des échecs tel que celui subit à Sévaré le 29 juin 2018 lorsque le QG de la force du G5 Sahel a été frappé par un attentat-suicide.
• La passation de marchés, la production d’équipements adaptés au théâtre sahélien et leur livraison sont des processus qui prennent du temps. La mise en place du fonds fiduciaire du G5 Sahel (cf. RFI Afrique) doit permettre d’assurer la transparence et la bonne gestion des fonds versés pour l’acquisition des matériels.
• Les exactions qui pourraient être commises par la Force conjointe (les troupes maliennes ont déjà commis des violations des droits de l’homme, cf. ONU Info, 12 février 2019) le seront au nom du G5 Sahel. De fait, dans un contexte de conflits intercommunautaires croissants, il est important de mettre en place des bataillons multicommunautaires.
Constituer une telle force régionale intégrée et faire travailler ensemble des armées de pays qui ont peu l’habitude de coopérer nécessitent donc beaucoup d’efforts et de temps. C’est la dégradation rapide de la situation sécuritaire qui met en perspective la relative lenteur de la Force conjointe à se mettre en place. Le lancement de la FC-G5 Sahel a été décidé en février 2017, les fonds nécessaires à son fonctionnement ont été promis un an plus tard et l’apport logistique et financier nécessaire devrait être en place d’ici fin 2019 (cf. Alain Boinet).
Une autre difficulté qui s’annonce pour le G5 Sahel, et pour laquelle la France aura un rôle à jouer, concerne la pérennité des financements de la Force conjointe pour 2020 et au-delà. La multiplicité des bailleurs de fonds (cf. Annexe I) et les difficultés déjà rencontrées pour le décaissement des fonds pour l’exercice 2019 peuvent en effet faire douter de la reconduction d’une année à l’autre des engagements pris par les uns et les autres. Pour assurer cette pérennité des financements, les pays du G5 Sahel plaident pour une coopération plus étroite avec les Nations unies et demandent que la FC-G5 Sahel soit placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies. Cette possibilité se heurte toutefois pour le moment au refus des États-Unis – probablement échaudés par leurs échecs avec l’armée irakienne ou la police afghane – qui ne souhaitent pas s’engager dans la voie de contributions financières obligatoires et préfèrent privilégier des aides bilatérales vers les États-membres.
Recommandations
L’opérationnalisation de la FC-G5 Sahel intéresse particulièrement la France impliquée au Sahel avec Barkhane depuis 2014 et avant cela avec Serval au Mali pour ne citer que ces opérations. Dès que la Force conjointe prouvera par ses actions sa capacité à affronter efficacement les groupes terroristes, elle aura une légitimité qui devrait lui permettre de bénéficier d’un mandat au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies. L’article 50 prévoit, en effet, que si un « État se trouve en présence de difficultés économiques particulières » pour exécuter les mesures décidées par le Conseil de sécurité, alors cet État « a le droit de consulter le Conseil de sécurité au sujet de la solution [à] ces difficultés ». De fait, la France doit continuer à plaider en ce sens auprès du Conseil de sécurité des Nations unies.
Il faut par ailleurs continuer à travailler à une meilleure articulation des dispositifs en place dans les pays du G5 Sahel dans le respect du mandat de chacun : Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), forces européennes EUTM Mali, EUCAP Sahel Mali et Niger, force Barkhane, armées nationales du G5 Sahel et Force conjointe. En particulier, l’accord technique qui permet à la Minusma de fournir un soutien logistique à la FC-G5 Sahel ne permet, du fait des contraintes territoriales, que de soutenir deux des septs bataillons de la Force conjointe (cf. ONU Info, 27 mars 2019). La France pourra plaider en ce sens lors de la reconduction du mandat de la Minusma en juin 2019.
Bon nombre des enjeux sécuritaires auxquels doivent faire face la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad dépassent le cadre géographique du G5 Sahel. Au Nord, le no man’s land formé par le sud algérien et le territoire libyen constitue une base de repli propice pour les terroristes en tout genre, en particulier ceux qui refluent de Syrie et qui continueront d’arriver après la perte par l’État islamique de sa dernière emprise territoriale à Baghouz le 23 mars 2019. Étant donné les interdépendances entre les pays de la région sahélo-saharienne, la question pourrait se poser d’une approche élargie par exemple via l’Union africaine. Compte tenu du nombre trop grand d’acteurs que cela impliquerait (pays et organisations), il reste préférable pour la France de soutenir la coopération G5 Sahel tout en renforçant la coopération avec l’Algérie et en ne négligeant pas les actions à mener en Libye.
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Le succès de la Conférence de coordination des fonds du G5 Sahel du 6 décembre 2018 est bel et bien une bonne nouvelle pour le G5 Sahel. Ces pays, parmi les plus pauvres du monde, disposeront ainsi des financements nécessaires pour mener à bien des programmes de développement indispensables. Dans ce domaine, comme dans celui de la sécurité, le soutien de la communauté internationale est crucial. Les pays du G5 Sahel ne peuvent en effet faire face seuls à des problématiques endogènes (misère, gouvernance, équilibres agropastoraux) et à des problématiques exogènes (pays de transit pour des trafics d’armes et de drogues) qui les dépassent et pour lesquels l’accompagnement de la communauté internationale est vital. ♦
Annexe I : état des lieux du financement de la Force conjointe G5 Sahel
Secrétaire général de l’ONU : Rapport sur la Force conjointe du Groupe de cinq pays du Sahel, 12 novembre 2018, p. 10 (https://undocs.org/fr/S/2018/1006).
Sur le total des montants annoncés lors de la conférence des donateurs qui s’est tenue le 23 février 2018 à Bruxelles, on peut lire dans le rapport du Conseil de sécurité du 12 novembre 2018 que « 45,9 % (soit quelque 190,76 M€) ont été soit décaissés, soit affectés à des procédures de passation de marchés en cours, et 6,1 % (soit 25,30 M€) ont été affectés à des procédures qui vont démarrer dans un avenir proche. Le restant des contributions annoncées, d’une valeur de 199,49 M€, n’a toujours pas été affecté ».
Les pays contributeurs au financement de la FC-G5 Sahel constituent par ailleurs un ensemble assez hétéroclite puisque outre les sommes annoncées par l’UE et celles annoncées par les pays membres de l’UE, il faut comptabiliser les contributions :
– de chacun des pays membres du G5 Sahel à hauteur de 10 M€ ;
– de l’Arabie saoudite pour 100 M de dollars (cf. Afriactuel) ;
– des États-Unis pour 110 M$ (cf. Sophie Douce) ;
– de la Chine qui a annoncé sa contribution à hauteur de 45 M€ (26 Mds de francs CFA) au début de l’année 2019 (cf. Aboubacar Yacouba Barma).
Cet « ensemble patchwork » de financements pose indirectement la question de la pérennité des financements du fait du nombre élevé de bailleurs de fonds.
Éléments de bibliographie
AFP, « Les pays du G5 Sahel veulent plus de coopération avec les Nations unies », Slate Afrique, 5 février 2019 (www.slateafrique.com/931170/les-pays-du-g5-sahel-veulent-plus-de-cooperation-avec-les-nations-unies).
« G5 Sahel : l’Arabie saoudite convoque une réunion des bailleurs de fonds », Afriactuel, 22 novembre 2019 (https://afriactuel.com/2018/11/22/10799/).
Barma Aboubacar Yacouba, « G5 Sahel : 26 milliards Fcfa de la Chine pour la force conjointe » , La Tribune Afrique, 6 janvier 2019 (https://afrique.latribune.fr/).
Bazarra Aurélie, « G5 Sahel : ce Tchad avec lequel il faut compter », Le Point, 2 juillet 2017 (www.lepoint.fr/afrique/g5-sahel-ce-tchad-avec-lequel-il-faut-compter-02-07-2017-2139826_3826.php).
Boinet Alain, « Où va le Sahel ? Entretien avec Jean-Marc Châtaigner, ambassadeur spécial pour le Sahel », Défis humanitaires.com, 4 janvier 2019 (https://defishumanitaires.com/).
Le Cam Morgane et Douce Sophie, « En visite au Sahel, le Conseil de sécurité de l’ONU presse Bamako d’accélérer “la réconciliation” », Le Monde, 26 mars 2019 (www.lemonde.fr/).
Douce Sophie, « Jean-Marc Châtaigner : “Au Sahel, l’engagement international ne doit pas faiblir” », Le Monde, 4 décembre 2018 (www.lemonde.fr/).
« Après une visite au Mali et au Burkina Faso, le Conseil de sécurité fait un bilan de la situation sécuritaire au Sahel », ONU Info, 27 mars 2019 (https://news.un.org/fr/story/2019/03/1039711).
« Mali : un expert de l’ONU juge nécessaire une stratégie de prévention des violations des droits de l’homme », ONU Info, 12 février 2019 (https://news.un.org/fr/story/2019/02/1036201).
« Le G5 Sahel crée un fonds pour gérer les aides à la lutte contre le terrorisme », RFI Afrique, 9 janvier 2018 (www.rfi.fr/afrique/20180109-g5-sahel-fonds-gestion-aide-mali-tchad-burkina-faso-niger-mauritanie-terrorisme).
« G5 Sahel plus de 2 milliards d’euros d’engagements des partenaires », 360 Afrique.com, 7 décembre 2018 (http://afrique.le360.ma/).