Grâce à l’opération Barkhane, lancée en août 2014 au Sahel et au Sahara par l’armée française, l’ennemi est incessamment traqué et repéré grâce aux moyens techniques et humains. Cependant, les principaux chefs sont toujours en place et le nombre de rebelles ne fléchit pas. Plusieurs paramètres sont à prendre en compte pour expliquer cette situation.
Réflexions sur la situation au Sahel (T 1091)
Reflections on the situtatuon in the Sahel
Thanks to Operation Barkhane, launched in August 2014 in the Sahel and Sahara by the French army, the enemy is constantly hunted down and spotted thanks to the technical and human means. However, the main leaders are still in place and the number of rebels is not diminishing. Several parameters must be taken into account to explain this situation.
L’armée française est au Mali depuis 2014, elle a l’aval de l’ONU, elle s’occupe de l’équipement, de la formation des armées des cinq pays de la zone sahélienne et elle a à ses côtés les forces de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) qui regroupe des éléments d’une cinquantaine de pays. Elle doit faire face à une opposition disparate armée estimée entre 2 000 et 3 000 hommes qui disposent d’un armement abondant venant des stocks de la Libye constituant une base de départ, de repli et de repos.
Le bilan de Barkhane est positif sur les plans des pertes infligées aux rebelles, mais jamais vraiment décisif, si ce n’est quelques dizaines de tués ou prisonniers chaque fois que l’ennemi est approché ou la découverte et la destruction de cache d’armes et de munitions. Le bilan de Barkhane est positif dans la mesure où l’ennemi est sans cesse traqué et que ses déplacements sont souvent repérés grâce aux moyens techniques et humains. Alors, il est bon de s’interroger pour savoir pourquoi les résultats ne sont pas plus importants, que le nombre de rebelles ne fléchit pas et que les principaux chefs sont toujours en place ou immédiatement remplacés en cas de mise hors d’état de nuire.
L’ennemi est pleinement conscient de la supériorité mécanique, technique et humaine de Barkhane mais cela ne semble pas l’impressionner outre mesure. Il est bien armé, rustique et fin connaisseur du terrain qu’il utilise astucieusement pour piéger des itinéraires, attaquer des postes, tendre des embuscades meurtrières sans oublier l’impact moral des kamikazes montrant ainsi la réalité de son idéologie. La difficulté de la situation réside aussi dans la diversité des groupes à neutraliser. Leurs raisons d’être sont très différentes, allant des oppositions ethniques, tribales, religieuses ou politiques. Mentionnons également leurs actions de contrebande ou d’immigration clandestine, sans oublier leur dispersion sur de très vastes étendues difficiles à surveiller. L’autre difficulté majeure réside dans les réticences de plus en plus sérieuses pour obtenir du renseignement humain fiable. La population a peur.
Les rebelles les plus significatifs sont regroupés autour d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) avec souvent une allégeance à l’État islamique. Ils ont une stratégie d’isolement de la population en visant la destruction de tout ce qui peut être assimilé à l’État jugé corrompu : assassinat de fonctionnaires, gendarmes, militaires, fermeture d’écoles… Ils ont également une politique d’embrigadement des populations par le biais d’ONG islamiques qui pallient les carences de l’État par des dons de céréales ou de nourritures et l’ouverture d’écoles coraniques. Et ils menacent tous ceux qui refuseraient de collaborer avec eux ou qui aideraient les forces de Barkhane. Il faut noter que l’accueil est plutôt attentif – mais pas toujours négatif – partant du principe que les organismes étatiques sont souvent éloignés, jugés corrompus ou inefficaces.
Parallèlement, les changements climatiques affectent la région sahélienne qui connaît actuellement la sécheresse entraînant une grande misère, un chômage qui touche les jeunes et expliquent une certaine écoute des bonnes paroles, notamment des imams. Les problèmes de recrutement pour pallier les pertes de rebelles dans les combats sont résolus par la possibilité pour les jeunes de gagner de l’argent en s’engageant dans les rangs de la rébellion. Les moyens modernes de communication permettent aux populations d’être bien informées des situations locales mais aussi mondiales. Les rebelles djihadistes en profitent pour leur commenter les événements qui secouent le monde arabe et musulman face à ce qu’ils qualifient d’ingérences ou de provocations occidentales. La solution, pour eux, passe par le Coran et l’application de la charia. Et là, on touche deux sensibilités chez les djihadistes purs et durs comme au Nigeria avec Boko Haram pour qui « L’éducation occidentale est un péché. »
D’abord, tout ce qui vient de cet Occident, ses idées, son mode de vie, mais aussi sa propension à piller les richesses locales (uranium du Niger, minerai de fer de Mauritanie…) doit être combattu. Dans cet ordre d’idées, tous les djihadistes désignent la France comme cible prioritaire. Ensuite, cela va entraîner un nouvel axe de combat visant les populations musulmanes locales qui sont des sunnites de rite malékite (une des quatre écoles du droit musulman) avec le culte des saints. C’est là une opposition majeure avec la pratique du sunnisme wahhabite qui bannit tout ce qui pourrait s’apparenter à l’adoration d’idoles. À cet effet, il faut garder en mémoire que la première action des djihadistes vers Bamako en 2013 a été le saccage des tombeaux des saints à Tombouctou.
De même, toutes cérémonies animistes pratiquées localement sont interdites en Islam. Le wahhabisme saoudien qui est très actif dans tout le Sahel au niveau de la construction de mosquées, médersas, centres de santé, ONG diverses… s’efforce de contrer les animistes et les confréries présentes. Les djihadistes vont s’en prendre également aux chrétiens avec récemment des attaques contre des églises au Niger et au Burkina-Faso. L’hydre terroriste continue de traumatiser les populations. Les écoles ferment les unes après les autres. Les bandes rebelles sont certes éprouvées par les coups portés par Barkhane mais leurs capacités de nuisance demeurent intactes.
L’implantation de l’Islam ne concerne pas seulement la région sahélienne mais progresse dans toute l’Afrique. Des femmes voilées sont maintenant visibles dans de nombreuses grandes villes comme Dakar et Abidjan. Toujours financées par l’Arabie saoudite et les émirats voisins, de nouveaux lieux de culte propageant la bonne parole y voient également le jour.
Les djihadistes sahéliens s’enhardissent par des actions armées, spectaculaires et médiatiquement exploitées en direction des États voisins, mais aussi de l’opinion publique française engendrant un climat d’inquiétude croissant. Les printemps arabes pourraient-ils avoir des prolongements dans la jeunesse africaine nombreuse, souvent désœuvrée et toujours remontée contre la corruption qui sévit en bien des endroits ? Cette réflexion générale à laquelle peuvent être associées les incertitudes maghrébines demande qu’une autre approche, plus profonde, plus adaptée soit définie. L’Europe et naturellement la France qui ont une forte émigration africaine et maghrébine sont concernées par toute évolution du continent africain.
La stratégie djihadiste est connue pour ses finalités. Notons également que leur notion du temps est différente de la nôtre. Le temps travaille pour eux, ils en sont persuadés, et ils sauront en profiter. Ne laissons pas son venin transformer les relations pour en venir à une confrontation entre chrétiens et musulmans ou entre blancs et noirs. Le continent africain est en pleine mutation et va devenir un nouveau pôle mondial. Après l’Europe, les Amériques et l’Asie c’est maintenant l’Afrique qui se profile face à ce nouvel horizon. L’Europe tout entière se doit d’être au rendez-vous. ♦