Les deux scrutins électoraux tunisiens d’octobre plongent le pays dans l’incertitude, près de neuf ans après la chute du dictateur Ben Ali. Quel peut être le futur de la jeune démocratie frappée par une grave crise économique et sociale, et toujours menacée par le terrorisme ? Tout en se réjouissant de la tenue d’élections libres, Mustapha Benchenane, professeur et docteur d’État en science politique, se montre inquiet pour l’avenir de l’État maghrébin.
Mustapha Benchenane : « Les Tunisiens ne s’en sortiront pas tout seuls » (T 1123)
Mustapha Benchenane: "Tunisians will not get by on their own"
The two Tunisian polls in October plunge the country into uncertainty, nearly nine years after the fall of the dictator Ben Ali. What can be the future of the young democracy hit by a serious economic and social crisis, and still threatened by terrorism? While celebrating the holding of free elections, Mustapha Benchenane, professor and doctor of state in political science, is worried about the future of the Maghreb State.
Mustapha Benchenane : C’est un apprentissage réussi dans le processus d’acquisition de la culture démocratique. C’est la chose la plus importante que j’ai à souligner, dans la mesure où la Tunisie est une singularité si on la compare à ce qui se passe chez ses voisins, tant à l’Est qu’à l’Ouest. Les dernières élections se sont déroulées globalement dans des conditions correctes. Il n’y a pas eu de fraude, pas de bourrage d’urnes. Elles ont été pluralistes, avec une liberté d’expression. C’est un progrès, ainsi qu’une étape qualitativement importante qu’il faut souligner. Elle est due au mérite des Tunisiens eux-mêmes. En cela, ce qui vient de se passer est éminemment positif.
Le seul bémol est l’affaire autour du candidat Nabil Karoui [Ndlr : homme d’affaires et chef du parti Qalb Tounes], qui a été mis en prison, après avoir été accusé de blanchiment d’argent et d’évasion fiscale, et qui n’en est sorti que pour faire la campagne [il a été libéré quelques jours avant le second tour, lors duquel il était opposé à Kaïs Saïed]. Il y a là une inégalité dans le traitement des candidats, dont il a probablement souffert au niveau des résultats. C’est un bémol qui n’est pas insignifiant.
Ce « bémol » ne signifie-t-il pas que l’accaparement du processus démocratique n’est pas encore total ?
On est au début de l’apprentissage de l’acquisition de la culture démocratique. On oublie trop souvent que la démocratie est d’abord et avant tout une culture. Ce n’est pas seulement un rituel qui consisterait à aller mettre un bulletin dans l’urne tous les quatre ou cinq ans. Pour en arriver à une démocratie digne de ce nom, il y a un processus qu’il faut inscrire dans la durée. L’Europe occidentale ou les États-Unis ne sont pas devenus des démocraties du jour au lendemain. Quand on a en tête ces choses-là, on prend un peu de recul et on essaie de souligner le positif tout ayant conscience du chemin qu’il reste à parcourir, celui qui mène à l’État de droit, soit le respect du droit, le pluralisme et surtout l’État lui-même soumis au droit.
Il reste 88 % de l'article à lire