L’Ukraine après Munich 2020 : quelles marges de manœuvre pour le président Zelensky ?
Reprise du conflit dans le Donbass et onde de choc des « 12 étapes » pour la paix (T 1142)
Reprise du conflit dans le Donbass et onde de choc des « 12 étapes » pour la paix (T 1142)
Volodymyr Zelensky © Présidence ukrainienne
Le président Zelensky, qui annonçait la fin de la guerre comme une priorité de son mandat lors de son discours d’investiture en mai 2019 (1), a bien du mal à convaincre de l’efficacité de sa politique. S’il a obtenu, avec le soutien de la France une rencontre au format Normandie (France, Allemagne, Ukraine et Russie) le 9 décembre 2019 (2) et a procédé le 29 décembre à un nouvel échange de prisonniers avec la Russie (3) (après celui du 7 septembre), les avancées laissent la population sceptique alors même que les élections locales, qui sont une priorité pour le parti du Président, « Serviteur du peuple », se profilent pour l’automne prochain.
Pire, alors que son approche tournée sur la résolution humanitaire du conflit est loin de séduire toute la population ukrainienne, le jeune Président doit affronter le tollé qui a accompagné la publication d’un document listant « 12 étapes vers une plus grande sécurité en Ukraine et dans la région euroatlantique » au cours de la Conférence sur la sécurité de Munich (14-16 février). En outre, les violences reprennent dans le Donbass et, si l’Europe assure Kiev de son soutien, la population ukrainienne en doute, augmentant la défiance à l’égard de leur Président.
Conférence sur la sécurité et réactivation de la violence dans l’est de l’Ukraine
L’Ukraine attendait légitimement beaucoup de la Conférence sur la sécurité de Munich, mais elle a eu la surprise de découvrir les « Douze étapes » (4), un document signé par 40 personnes parmi lesquelles plusieurs diplomates et think tanks européens ainsi que le Russian Council on Foreign Affairs (RIAC, un think tank émanant du Kremlin), mais seulement trois Ukrainiens (5). Ce texte, proposé puis retiré avant d’être remis en ligne, fait plusieurs propositions totalement inacceptables pour l’Ukraine.
La réponse ne s’est pas faite attendre et a pris corps par l’entremise d’un texte paru le 17 février et rédigé par des diplomates et experts ukrainiens regroupés au sein du « mouvement anti-capitulation ROK » qui aura récolté 80 signatures (6). Or, les « Douze étapes vers une plus grande sécurité », que le président de la Conférence de Munich, le diplomate allemand Wolfgang Ishinger, demandait de ne pas trop prendre au sérieux (7), entachait sérieusement les victoires tactiques obtenues par le président Zelensky (8) en décembre 2019. Ces victoires, si elles avaient calmé le mouvement anti-capitulation s’opposant à « une paix à n’importe quel prix » ne pouvant accepter qu’une victoire, avait été entachées par le transfert d’un des chefs séparatistes impliqués dans le crash du MH17 (17 juillet 2014, 298 morts) de la Malaysia Airlines lors des échanges de prisonniers (9). Le Président a eu beau tenter de rappeler que la guerre en Ukraine était aussi une guerre en Europe (10) et annoncer ne pas dévier de son plan de paix, sa voix reste couverte par l’impact des « 12 étapes » pour la paix.
Or, à ces éléments déjà complexes, est venue s’ajouter une flambée de violence dans les territoires occupés de l’est de l’Ukraine alors que les derniers mois avaient été marqués par une relative accalmie des violences et violations des accords de Minsk I et II (5 septembre 2014 et 11 février 2015). En effet, les 14, 15 et 16 février 2020, l’est de l’Ukraine s’embrasait (11). Ainsi, les forces ukrainiennes ont essuyé des tirs de 120 mm et 82 mm près de Krymske, Novoluhanske, Hutir Vilnyi, Lebedynske et Krasnohorivka, mettant à mal la crédibilité pouvant être apportée aux déclarations présidentielles assurant ne pas dévier de son cap concernant l’obtention de la paix dans ces territoires.
Une population divisée
Ces événements interviennent alors que la cote de popularité du gouvernement du président Zelensky connaît une baisse notable (12). Selon une étude publiée par le Razumkov Center (une organisation ukrainienne) le 21 février, seuls 6 % des sondés soutiendraient l’action gouvernementale et 34 % la soutenant partiellement, contre 51 % ne la soutenant pas du tout. Concernant le Premier ministre, Oleksiy Honcharuk, 63 % des sondés affirment ne pas lui faire confiance. Toujours selon cette étude, 53 % des Ukrainiens penseraient que le pays « ne va pas dans la bonne direction » ce qui est une tendance dangereuse à l’aune des enjeux électoraux à venir.
Enfin, le plan de paix porté par le Président est loin de faire l’unanimité : cette méfiance s’était manifestée avec le mouvement « Pas de capitulation » réunissant principalement des militaires, vétérans et actifs, ainsi que leurs familles. Si ce mouvement refusait une possible capitulation après le discours d’investiture du Président, leurs craintes avaient été renforcées par la signature, en octobre 2019, d’un document inspiré de la formule dite « Steinmeier » initialement présentée en octobre 2015, qui prévoit d’accorder une plus large autonomie aux zones occupées par les séparatistes prorusses et la tenue d’élections sur la base des dispositions politiques de Minsk. Dans les faits, le texte priorise l’implémentation du volet politique et administratif par rapport au volet sécuritaire incluant le contrôle des frontières dont la date n’est pas précisée (13).
Une Europe qui soutient, mais dont l’attitude trouble les Ukrainiens
Dans ce contexte, la population observe avec attention non seulement l’état d’avancement des réformes attendues, mais aussi la position des soutiens européens dont le président Zelensly est proche, au premier rang desquels le président français Emmanuel Macron. Or, les récentes prises de position du gouvernement français – principal artisan des réunions au format Normandie – envers la Russie n’auront pas rassuré les Ukrainiens, bien au contraire.
Si l’Union européenne (UE) assure régulièrement son soutien indéfectible à l’Ukraine (14) et tout particulièrement au lendemain de Munich et de la reprise des hostilités dans le Donbass, la population ukrainienne est assez dubitative. En effet, plusieurs éléments récents ont participé à entamer le capital confiance. Un des premiers points aura été le retour de la Russie au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) en juin 2019, assemblée dont elle avait été exclue à la suite de l’annexion de la Crimée (2014). Ce retour intervient alors que la Crimée, elle, n’a pas réintégré le territoire ukrainien (15), ce qui laisse un goût amer dans la gorge de nombre d’Ukrainiens.
Par ailleurs, le discours à la conférence des ambassadeurs prononcé par le président Macron en août 2019 (16) a également surpris les Ukrainiens, au même titre que plusieurs autres États de l’est de l’Europe, entaillant encore un peu la confiance accordée à Paris. La proximité entretenue par le président Zelensky et le président Macron amène de l’eau au moulin de ceux qui craignent qu’il ne soit pas en mesure de défendre les intérêts ukrainiens avec toute la force nécessaire.
* * *
Si la réunion au format Normandie avait permis une accalmie, les derniers événements risquent de raviver cette défiance. Enfin, en ce qui concerne l’UE, l’Ukraine fatigue en ce qu’elle peine à mener à bien les réformes tant attendues et qu’une solution permettant d’obtenir la paix semble toujours difficile à atteindre. Il y a fort à parier que les récents mouvements violents de population qui tentaient d’empêcher le retour des 72 rapatriés en provenance de Wuhan, épicentre du coronavirus en Chine ne participe pas à donner une image positive de l’Ukraine aux Européens qui doutent déjà de la capacité du pays à sortir de la crise et à faire face aux défis qui l’attendent (17).
Cette défiance mutuelle, toute relative qu’elle soit, complexifie notablement la tâche du président ukrainien que ce soit en politique interne ou sur la scène internationale où il a particulièrement besoin de pouvoir présenter une position forte, pleinement soutenue par des alliés solidaires, face à la Russie qui reste un des acteurs clefs de la sortie du conflit qui ravage encore l’est de l’Ukraine. ♦
(1) « Investiture du président Zelensky, texte intégral du discours », Ukraine Crisis, 20 mai 2019 (http://uacrisis.org/).
(2) « Sommet de Paris en format “Normandie” », Élysée, 9 décembre 2019 (http://www.elysee.fr/).
(3) AFP, « Les belligérants en Ukraine échangent des dizaines de prisonniers », La Croix, 29 décembre 2019
(www.la-croix.com/Monde/Nouvel-echange-prisonniers-attendu-Ukraine-2019-12-29-1301068850).
(4) Euro-Atlantic Security Leadership Group (EASLG), « Twelve Steps Toward Greater Security in Ukraine and the Euro-Atlantic Region », février 2020 (http://www.europeanleadershipnetwork.org/).
(5) 15 Américains : Ernest J. Moniz, Sam Nunn, Brooke Anderson (ambassadeur), Steve Andreasen, Robert Berls, Kathryne Bomberger, Philip Mark Breedlove (général en retraite et ancien SACEUR), William J. Burns, James F. Collins (ambassadeur), Mark Melamed, Leon Ratz, Joan Rohlfing, Matthew Rojansky, Lynn Rusten et James Stavridis (amiral en retraite, ancien SACEUR).
8 Britanniques : Des Browne (ancien secrétaire à la Défense), Oksana Antonenko, James Cowan, Sir Chris Harper (Air Marshal), Ian Kearns, Tom Meredith, Sir John Scarlett et Sir Adam Thomson.
5 Italiens : Vincenzo Camporini (général en retraite), Giampaolo Di Paola (amiral et ancien ministre de la Défense), Ferdinando Nelli Feroci, Stefano Stefanini et Nathalie Tocci.
4 Russes : Igor Ivanov (ancien ministre des Affaires étrangères), E Buzhinskiy (Lt-General en retraite), Andrey Kortunov (directeur général du Russian International Affairs Council) et Ivan Timofeev.
3 Allemands : Pr Wolfgang Ischinger (ambassadeur), Dr Sabine Fischer et Dr Erich Vad (général en retraite).
3 Ukrainiens : Oleksandr Chalyi (ambassadeur), Vasyl Filipchuk (diplomate) et Oleksiy Semeniy.
2 Français : Paul Quilès (ancien ministre de la Défense) et Bruno Racine (FRS).
1 Canadien : Professor Roland Paris.
1 Néerlandais : Bert Koenders (ancien ambassadeur).
1 Polonais : Marcin Zaborowski.
1 Suédois : Rolf Ekéus (ambassadeur)
1 Suisse : Alexander Hug.
1 Turc : Hikmet Cetin (ancien ministre des Affaires étrangères).
(6) ROK Movement Against Capitulation, « How Kyiv views the 12 Step Plan », Atlantic Council, 18 février 2020 (www.atlanticcouncil.org/).
(7) Reuters, « “Don’t take it so seriously”: Ischinger on Controversial “Munich Plan” for Donbas Settlement », UNIAN, 17 février 2020 (www.unian.info/).
(8) « Le sommet en format Normandie à Paris : les victoires tactiques de l’Ukraine », Ukraine Crisis, 10 décembre 2019 (http://uacrisis.org/fr/74330-paris-summit-normandy-four-ukraine-s-tactical-wins).
(9) AFP, « MH17 : les Pays-Bas regrettent le départ pour la Russie d’un ex-chef séparatiste ukrainien », Le Point, 7 septembre 2019 (http://www.lepoint.fr/).
(10) Korniienko Artur, « In Munich, Zelensky calls for repair European Security, Starting with Ukraine », Kyiv Post, 15 février 2020 (http://www.kyivpost.com/).
(11) Gobert Sébastien, « Escalade meurtrière dans l’est de l’Ukraine », RFI, 18 février 2020 (https://dalekoblisko.com/).
(12) Istomina Toma, « Survey shows Ukrainians’ Fading Trust in Government », Kyiv Post, 22 février 2020 (www.kyivpost.com/).
(13) Deprez Fabrice et Tallès Olivier, « En Ukraine, le processus de paix se débloque », La Croix, 2 octobre 2019 (www.la-croix.com/).
(14) « EU reaffirms Unwavering Support for Ukraine », Ukrinform, 21 février 2020 (http://www.ukrinform.net/).
(15) HuffPost avec AFP, « La Russie autorisée à réintégrer le Conseil de l’Europe », HuffPost, 25 juin 2019 (www.huffingtonpost.fr/).
(16) Discours du président Emmanuel Macron à la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices [français], 27 août 2019 (https://www.elysee.fr/).
(17) C. A., « Vidéo – Ukraine : des rapatriés de Wuhan accueillis par des violences », Le Parisien, 21 février 2020 (www.leparisien.fr/).