Depuis le début de la propagation du coronavirus dans le monde, le gouvernement turc se veut rassurant. Officiellement, le nombre de contaminations et de victimes annoncé est nettement inférieur à ceux en Italie, en Espagne ou en France. Pour autant, des facteurs alarmants laissent penser que le pays de 83 millions d'habitants pourrait être bien plus durement frappé.
Coronavirus : la Turquie pourrait devenir un foyer majeur (T 1154)
Des agents de la municipalité désinfectent une mosquée à Istanbul. Photo : deepspace
Since the beginning of the spread of the coronavirus in the world, the Turkish government has wanted to be reassuring. Officially, the number of contaminations and victims announced is significantly lower than those in Italy, Spain, or France. However, alarming factors suggest that the country of 83 million people could be hit much harder.
Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a officiellement qualifié l’épidémie de Covid-19 de pandémie. Le même jour, le ministre de la Santé turc Fahrettin Koca a annoncé que le pays comptait un premier cas de personne contaminée. La propagation rapide du virus a incité la Turquie à filtrer les flux de passagers en provenance de l’étranger et à interrompre les liaisons aériennes avec 22 pays, parmi lesquels de nombreux États européens (Allemagne, France, Espagne, Italie, Norvège, Danemark, Belgique, Suède, Autriche, Pays-Bas), de même qu’avec la Chine, la Corée du Sud, l’Iran et l’Irak. Le 12 mars, les établissements scolaires et universitaires ont été fermés, tandis que de nombreux événements internationaux comme la SAHA Expo, un des plus grands salons de l’armement en Turquie, ont été annulés ou reportés. Par ailleurs, le ministre de la Défense, Hulusi Akar, a décidé de l’annulation des missions à l’étranger pour les délégations du ministère.
Le 19 mars, les autorités turques ont annoncé deux décès liés à la pandémie. Le 23 mars, ce nombre s’élevait à 37 [puis à 44 le lendemain, NDLR.], en dépit de nouvelles mesures de distanciation sociale – fermeture des cafés et restaurants, confinement obligatoire des personnes âgées de plus de 65 ans et de celles souffrant de maladies chroniques – sur l’ensemble du territoire national. Le nombre de personnes contaminées reste inconnu en raison du faible taux de personnes testées. Selon Al-Monitor, site d’information en ligne sur le Moyen-Orient, ce taux serait de 11 pour un million en Turquie contre 2 000 en Corée du Sud et de 400 en Italie (1).
Le ministre de la Santé s’en est défendu et a annoncé le 22 mars que 20 345 tests avaient été effectués (sur une population de plus de 85 millions d’habitants) ; 1 236 étaient positifs (2). Ce faisant, il a déclaré que tous les patients présentant des symptômes du coronavirus seraient admis dans les hôpitaux publics comme privés. Quelque 100 000 chambres seraient disponibles pour les accueillir. À noter à cet égard que le système de santé turc est grevé par de grandes inégalités et par l’existence d’une « médecine à deux vitesses ». Les hôpitaux et cliniques privés ne sont généralement pas accessibles à l’ensemble de la population. Le gouvernement envisage également de procéder à 10 000 (voire 15 000) tests par jour (3).
En dépit de ces déclarations rassurantes, différents facteurs laissent supposer que la situation pourrait être beaucoup plus grave qu’il n’y paraît. Le risque de contagion est élevé parmi les millions de réfugiés syriens présents en Turquie. Dès le 9 mars, l’ambassadeur de Turquie aux États-Unis, Serdar Kilic, a signifié qu’il serait difficile pour les autorités turques de maîtriser la propagation du coronavirus parmi les 900 000 Syriens déplacés qui se trouvent à la frontière turco-syrienne (4).
L’état sanitaire de certains établissements pénitentiaires du pays pourrait également être lourd de conséquences. Par ailleurs, bien que les quatre postes-frontières terrestres avec l’Iran aient été fermés à la fin du mois de février (5), la situation dramatique dans ce pays en ce qui concerne le coronavirus laisse présager le pire pour les habitants des zones situées le long de cette frontière de 500 kilomètres. Le 19 mars, les autorités iraniennes ont annoncé que le nombre de personnes contaminées avait dépassé 18 000 et que le nombre de morts était de 1 284, un nombre considéré de plus en plus comme en deçà de la réalité.
Déjà préparée à toute éventualité depuis la tentative de coup d’État de juillet 2016, la population turque a anticipé les difficultés liées à l’épidémie de coronavirus en stockant de la nourriture et du gel hydroalcoolique, dès le mois de janvier 2020. Elle tente de se protéger en dépit d’une pénurie de masques et de désinfectants (6).
Sans renforcement drastique des mesures visant à juguler la propagation du Covid-19 par les autorités turques, notamment en ce qui concerne la protection des personnels soignants, il n’est pas exclu que la Turquie devienne un foyer majeur de la pandémie au Moyen-Orient, à l’instar de son voisin iranien, troisième pays le plus touché dans le monde. ♦
(1) Cupolo Diego, « Details sparse as first coronavirus case reported in Turkey », Al-monitor, 11 mars 2020 (www.al-monitor.com/pulse/originals/2020/03/turkey-reports-first-coronovirus.html).
(2) « Coronavirus death toll rises to 30 in Turkey, 289 new cases: Health Minister », Hürriyet Daily News, 22 mars 2020 (www.hurriyetdailynews.com/coronavirus-death-toll-rises-to-30-in-turkey-289-new-cases-health-minister-153175).
(3) Uslu Sinan et Çakmak Tuncay , « Koca: “La Turquie compte près de 100 mille chambres individuelles en hôpitaux” », Agence Anadolu, 19 mars 2020 (www.aa.com.tr/fr/turquie/koca-la-turquie-compte-pr%C3%A8s-de-100-mille-chambres-individuelles-en-h%C3%B4pitaux-/1772018).
(4) De Luce Dan, « Stopping coronavirus spread in Syrian refugee camps is “mission impossible”, Turkish ambassador says », NBC News, 9 mars 2020 (www.nbcnews.com/health/health-news/stopping-coronavirus-spread-syrian-refugee-camps-mission-impossible-says-turkish-n1153606).
(5) « La Turquie ferme sa frontière avec l’Iran », Xinhua.net, 24 février 2020 (http://french.xinhuanet.com/2020-02/24/c_138811330.htm).
(6) Colak Umut et Karabulut Murat, « Coronavirus Anxiety in Turkey Leads to Empty Store Shelves », Voice of America, 13 mars 2020 (www.voanews.com/science-health/coronavirus-outbreak/coronavirus-anxiety-turkey-leads-empty-store-shelves).