À l’heure où la France essaye de commémorer un printemps de chaos, celui de 1940, une grande figure des Forces navales françaises libres (FNFL) vient de disparaître. Un jeune acteur d’une tragédie devenu par la suite l’un des derniers témoins d’une période appartenant désormais à l’histoire.
Un marin « libre » disparaît : le VAE Émile Jean Chaline (T 1175)
Émile Jean Chaline (au centre). Photo : Marine nationale
At a time when France is trying to commemorate a spring of chaos, that of 1940, a great figure of the Free French Naval Forces (FNFL) has just disappeared. A young actor in a tragedy who later became one of the last witnesses of a period that now belongs to history.
Émile Chaline, né à Brest le 22 février 1922, se destine à devenir officier de Marine en préparant l’École navale. Dans la débâcle provoquée par l’avance inexorable des troupes allemandes, il embarque dès le 18 juin 1940 pour l’Angleterre à bord du paquebot Meknès et débarque à Southampton le 21 juin. Il racontera avoir retrouvé des camarades qui, arrivés peu avant, disent de lui qu’il « a pris le temps de la réflexion » !
Le paquebot Meknès © Marine nationale
Dans les jours qui suivent la signature de l’armistice de Rethondes, le 22 juin, et la fin des combats, le 25 juin, beaucoup de marins et soldats réfugiés sur le sol britannique font le choix de rentrer en France. Une poignée décide de rester après l’Appel du 18 juin du général de Gaulle. Le 1er juillet, le jeune Chaline s’engage à tout juste 18 ans dans les FNFL et rejoint le vénérable cuirassé Courbet (admission au service actif en 1913, coulé pour servir de brise-lames au large de Sword Beach en 1944) qui a gagné Portsmouth pour intégrer la formation des futurs élèves officiers complétée au Royal Naval College de Dartmouth.
Le cuirassé Courbet © Marine nationale
Dès lors, l’aspirant puis enseigne de vaisseau Chaline alterne missions et formations, participant aux escortes durant la bataille de l’Atlantique à bord d’inconfortables corvettes d’origine anglaise, puis aux différents engagements des FNFL, dont le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie. À l’issue de la guerre, il participe aux opérations navales en Indochine puis effectue une longue carrière avec des commandements à la mer, dont l’escorteur d’escadre (T 53) La Bourdonnais (ASA en 1958, retrait du service actif en 1977), et l’aviso escorteur Amiral Charner (ASA en 1962, RSA en 1990 avant un transfert à l’Uruguay). Avec la montée en puissance du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) pour les essais nucléaires, les deux commandements se font dans cette zone géographique.
Durant les années 1960, Émile Chaline sert auprès de Georges Pompidou, comme adjoint au chef du cabinet militaire à Matignon de 1967 à 1969. Il suit le nouveau président, de 1969 à 1971. Cette période « polmil » marque l’homme d’origine russe, fils d’un officier marinier à l’arsenal de Brest qui l’a poussé à partir pour l’Angleterre. L’amiral va également connaître des affectations à l’étranger, comme attaché de défense au Danemark et en Norvège (de 1962 à 1965) et attaché naval aux États-Unis (de 1974 à 1977). Formateur dans l’âme, il commande le Centre d’instruction naval de Saint-Mandrier de 1972 à 1974.
Préfet maritime à Cherbourg en 1979-1980, il quitte le service actif le 31 décembre 1981 comme vice-amiral d’escadre, après donc une quarantaine d’années très denses. Il aura connu une Marine ayant beaucoup souffert du déchirement de 1940 et du traumatisme du sabordage de la flotte en novembre 1942. Une marine dont le corps des officiers a été longtemps déchiré par les choix individuels et collectifs faits durant le conflit. Lui a compris que le vichysme n’est pas seulement une catégorie historique, mais aussi un virus du comportement.
À l’issue de sa carrière, l’amiral Chaline poursuit de nombreuses activités, dont la présidence des Anciens des FNFL à partir de 1988. Il sait piloter l’organisation avec habileté pour éviter d’en faire un « cimetière marin » du type Landévennec. Il l’amène à une belle issue le 18 juin 2010, à Londres, à bord de la goélette-école Étoile, dernier navire, avec son sister-ship la Belle Poule, à avoir appartenu aux FNFL.
Homme de caractère, figure de la France libre, il n’a cessé de faire partager son engagement, ses missions, sa volonté aux plus jeunes qui ont pu puiser dans sa longue carrière de quoi espérer dans leur pays. ♦