La défaite militaire arménienne au Nagorno-Karabakh et le cessez-le-feu négocié par Moscou entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan soulignent le rôle retrouvé de la Russie dans le Caucase. Celle-ci rétablit une autorité certaine dans des pays satellites autrefois inclus dans l’URSS. Certes, des inconnus subsistent comme l’attitude d’Ankara ou de Téhéran, mais de façon claire, les pays occidentaux parties prenantes à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont été marginalisés dans cette crise. Moscou a su tirer avantage du calendrier avec des États-Unis aux abonnés absents. Cependant, il va falloir suivre l’évolution dans le Caucase des opinions publiques chauffées à blanc et pour lesquelles on ne voit pas de processus de réconciliation à court terme. L’arrivée de l’hiver va de toute façon paralyser toute velléité de reprendre les armes de la part des miliciens pro-arméniens de la province du Haut-Karabakh. Il n’en demeure pas moins que les haines risquent de durer longtemps.
La Russie étend son influence au Nagorno-Karabakh (T 1215)
Mil Mi-24
The Armenian military defeat in Nagorno-Karabakh and the Moscow-brokered ceasefire between Armenia and Azerbaijan underscore Russia's newfound role in the Caucasus. This re-establishes a certain authority in satellite countries formerly included in the USSR. Certainly, unknowns remain, such as the attitude of Ankara or Tehran, but clearly, the Western countries involved in the Organization for Security and Cooperation in Europe (OSCE) have been marginalized in this crisis. Moscow was able to take advantage of the calendar with the United States with absent subscribers. However, we will have to follow the evolution in the Caucasus of white-hot public opinion and for which we do not see a process of reconciliation in the short term. The arrival of winter will in any case paralyze any desire to take up arms again on the part of the pro-Armenian militiamen in the province of Nagorno-Karabakh. The fact remains that the hatreds are likely to last for a long time.
Le 27 septembre 2020, le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour le contrôle du Haut-Karabakh a refait surface suite à une offensive militaire azérie, Bakou souhaitant récupérer ce territoire à majorité arménienne qui lui revient de jure depuis la fin de la guerre froide.
Le choix d’une offensive intervient au moment où les États-Unis sont en pleine période électorale et préfèrent éviter d’aborder ce sujet qui divise Républicains et Démocrates, ces derniers ayant une approche plus favorable à la reconnaissance du territoire. Pendant cette même période, le Kremlin doit faire face à deux crises dans sa périphérie, en Biélorussie et au Kirghizistan (tous les deux pour d’importantes contestations après des élections entachées d’accusation de fraudes), tandis que la baisse du prix des hydrocarbures laisse entrevoir des difficultés économiques en Azerbaïdjan.
Dès le début des hostilités le 27 septembre 2020, les troupes de Bakou parviennent à reprendre des positions sous le contrôle des séparatistes pro-Arméniens depuis la fin de la guerre de 1988-1994, en détruisant les chars T-72 et les véhicules blindés de transport de troupes (VTT) grâce aux drones israéliens qui confèrent un avantage stratégique aux Azéris. Après plus de six semaines de combats intenses, la victoire totale de Bakou semblait se profiler avec la reconquête de la ville haute de Susha/Sushi, le 8 novembre 2020.
Les événements du 9 novembre 2020
Le 9 novembre 2020, suite à l’annonce de la reprise de Susha par Bakou et alors même que l’opinion arménienne est de plus en plus favorable à l’intervention des troupes de maintien de la paix dans le Haut-Karabakh, des soldats azéris tirent sur un hélicoptère russe Mil Mi-24 Hind au-dessus du territoire arménien, pouvant légitimer une intervention militaire à grande échelle dans le cadre des accords de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Quelques heures plus tard, Bakou, Erevan et Moscou approuvent l’envoi de troupes russes de maintien de la paix au Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan préférant éviter une escalade, l’Arménie sachant qu’elle pourrait perdre le contrôle de l’ensemble du Haut-Karabakh dans les prochaines semaines, et Moscou se décidant à adopter une approche plus proactive en réponse à la destruction de son Mi-24.
Pour la Russie, une victoire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh se traduirait par un flux de réfugiés du Haut-Karabakh vers l’Arménie. Erevan étant le principal allié de Moscou dans le Caucase du Sud, membre de l’OTSC et partageant une frontière avec la Turquie (Otan), cette perspective est défavorable car elle aurait pour conséquence d’entraver la reprise économique d’un pays allié du Kremlin.
De surcroît, l’Azerbaïdjan est un pays consommateur de matériel militaire russe, ce qui laisse à penser qu’une victoire totale entraînerait une diversification des approvisionnements militaires de l’Azerbaïdjan vers des pays tels que la Turquie et Israël, allant à l’encontre des intérêts économiques du Kremlin.
L’annonce ne satisfait que partiellement l’ensemble des protagonistes. Aux yeux de Bakou, la présence militaire de Moscou signifie l’arrêt du processus de reconquête du Haut-Karabakh, du moins dans l’immédiat. Pour autant, la Russie autorise l’Azerbaïdjan à conserver le contrôle sur des villes comme Susha et redonne le contrôle des zones tampons actuellement sous contrôle des séparatistes sans aucune perte militaire pour Bakou.
Pour l’Arménie, la présence de troupes russes cela signifie que le Kremlin sera désormais responsable de la sécurité dans le Haut-Karabakh, une perspective qui ne laisse aucune marge de manœuvre diplomatique à Erevan pour établir de nouveaux partenariats pouvant aller à l’encontre des intérêts de Moscou. Qui plus est, le retour des zones tampons sous le contrôle de l’Azerbaïdjan laissera la population du Haut-Karabakh dans une situation de dépendance vis-à-vis des troupes russes, un retrait pouvant entraîner un retour des hostilités et viser les civils sur place. Néanmoins, l’intervention des troupes russes signifie l’arrêt des hostilités à un moment où une victoire totale de l’Azerbaïdjan devenait une réalité palpable.
Pour la Russie, l’envoi de troupes de maintien de la paix au Nagorno-Karabakh présente de nombreux avantages. D’une part, le Kremlin étend son influence militaire dans une nouvelle région du monde. D’autre part, la Russie sera le seul pays à décider de la reprise des hostilités en maintenant ou en retirant les troupes de maintien de la paix du Haut-Karabakh.
Cela encouragera les Arméniens à garder de bonnes relations avec le Kremlin et à aligner leur diplomatie sur celle de Moscou, de peur de voir les troupes russes se retirer et les Azéris attaquer les habitants du Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan tentera également de gagner la faveur de Moscou en achetant plus d’équipements militaires russes et en adoptant une ligne diplomatique favorable à celle de Moscou, espérant influencer la Russie et l’encourager à se retirer, ce qui permettra la reprise des hostilités à l’avantage de Baku.
Le 10 novembre 2020 et l’arrivée des troupes de maintien de la paix
Au total, plus de 1 960 soldats, 90 véhicules blindés et 380 unités de véhicules et d’équipements spéciaux, dont certains sont déjà en route au moment de la rédaction de cet article, se trouveront au Haut-Karabakh.
Le 10 novembre 2020, la Russie accroît considérablement son influence en Arménie et en Azerbaïdjan, mais aussi à l’international, puisqu’elle fait progresser ses hommes dans une région du monde où elle était militairement absente depuis la fin de la guerre froide. Elle devient également le principal, pour ne pas dire le seul, protagoniste au sein du Groupe de Minsk à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). La France, les États-Unis et la Russie restent coprésidents, mais la Russie sera désormais le seul pays à même de décider de reprendre ou non les hostilités et donc d’influence les travaux du Groupe. Pour rappel, ce Groupe a été créé par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), devenue OSCE, pour trouver une solution au conflit dans le Haut-Karabagh. Outre les deux belligérants et les pays précédemment cités, les autres membres sont l’Allemagne, la Biélorussie, la Suède, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Turquie et la Finlande.
En 1988, un rapport de la CIA intitulé Unrest in the Caucasus and the Challenge of Nationalism mentionnait pour principal obstacle à la présence de troupes de maintien de la paix dans le Haut-Karabakh, le financement de leur déploiement. La question reste alors de savoir si, contrairement aux estimations de la CIA en 1988, les ventes d’armes russes aux deux protagonistes, l’Azerbaïdjan et l’Arménie, compenseront les coûts de maintenance des troupes russes sur place…
Éléments de bibliographie
Central Intelligence Agency, Who’s Who - Political, Military, 1949 (accessible depuis 2011) (www.cia.gov/).
Central Intelligence Agency, Unrest in the Caucasus and the Challenge of Nationalist, 1988 (accessible depuis 1999) (www.cia.gov/).
Hedenskog Jakob, Holmquist Erika et Norberg Johan, Security in the Caucasus: Russian policy and military posture, Försvarsdepartementet, 2018.
Hunter Shireen, Russia and the Transcaucasus: The Impact of the Islamic Factor, Islam in Russia: The Politics of Identity and Security, M.E. Sharpe, 2004.
Labarre Frederic et Niculescu George, Harnessing Regional Stability in the South Caucasus: The Role and Prospects of Defence Institution Building in the Current Strategic Context, Bundesheer Band 10/2017.
Webster William, History of Armenian-Azeri Animosity, Central Intelligence Agency, 1988 (accessible depuis 2012) (www.cia.gov/).