Ce début d’année pourrait voir des mutations possibles de la situation au Moyen-Orient avec l’arrivée de la nouvelle administration Biden et les avancées des dernières semaines avec la levée de certains blocages. Cela est d’autant plus nécessaire que le climat géopolitique y est très tendu et qu’une baisse des tensions y est nécessaire. La France et l’Union européenne y ont une carte à jouer, Paris étant toujours un interlocuteur respecté et fiable.
2021 : Du mouvement au Moyen-Orient ? (T 1236)
Carte du Moyen-Orient
This beginning of the year could see possible changes in the situation in the Middle East with the arrival of the new Biden administration and the progress of recent weeks with the lifting of certain blockages. This is all the more necessary as the geopolitical climate there is very tense and a reduction of tensions is necessary. France and the European Union have a card to play in that, with Paris still being a respected and reliable interlocutor.
L’année qui commence demeure pleine d’incertitudes sur l’évolution de la crise sanitaire, l’ampleur de la reprise économique mondiale, les changements qu’apportera l’administration Biden dans la politique intérieure et extérieure américaine, etc., mais il semble que c’est au Moyen-Orient que l’on pourrait voir une évolution significative.
Celle-ci serait induite par plusieurs facteurs :
• La normalisation en cours entre Israël et plusieurs pays arabes. L’administration Trump aura joué un rôle majeur en ce sens, mais c’est Mohamed ben Zayed – le prince héritier d’Abou Dabi – qui aura constitué l’élément actif d’un processus qui va certainement croître en nombre d’États concernés et en qualité de coopération avec l’État hébreu.
• La volonté du président Biden de reprendre le dialogue avec l’Iran. Certes, la négociation sera très difficile, tant les conditions mises de part et d’autre sont
éloignées. Les alliés de Washington dans la région – en particulier Israël et l’Arabie saoudite – feront tout pour arracher à Téhéran des concessions significatives auxquelles il n’est pas disposé aujourd’hui.
• L’Arabie saoudite est un pays en pleine transformation, qui jouera un rôle important dans l’évolution de la région. Certes, le prince héritier Mohamed ben Salmane (MBS) est critiqué en Occident pour l’affaire Khashoggi, la guerre au Yémen et les atteintes aux droits de l’Homme ; mais il a engagé un vrai programme de réformes économique et sociale, et il offre à la jeunesse saoudienne une perspective à la fois d’ouverture sociétale et d’affirmation nationale. Le royaume dispose de ressources très significatives.
Face à ces nouveaux éléments, la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan – tous deux a priori vus avec méfiance par l’administration Biden – chercheront surtout à préserver l’acquis de leur engagement militaire et leurs ambitions dans la région. Mais leur complicité n’empêche pas leur concurrence, ce qui fait douter de l’existence d’un véritable axe Ankara-Moscou.
Dans ces conditions, d’où le mouvement peut-il partir ? Probablement d’Arabie saoudite, avec l’aide des Européens.
En effet, on sait que les autorités de Riyad espéraient la réélection du président Trump et la poursuite de sa politique de « pression maximale » sur l’Iran. Mais les Saoudiens sont très pragmatiques et n’ont donc pas attendu le 20 janvier pour faire certains gestes susceptibles de répondre aux critiques des Démocrates à Washington :
• Dans le conflit au Yémen, Riyad a proposé de créer une zone tampon des deux côtés de la frontière et a favorisé une réconciliation entre le président yéménite Hadi et les sécessionnistes du Sud. Ces gestes devraient faciliter une solution négociée avec les Houthis (si bien sûr Téhéran joue le jeu de son côté).
• Avec le Qatar, l’Arabie a signé le 5 décembre 2020 un accord permettant la réouverture de l’espace aérien ainsi que des frontières terrestres et maritimes entre les deux pays. C’est naturellement un succès pour le Qatar, mais cela l’est aussi pour MBS qui montre – à Washington notamment – qu’il est capable de réunir à nouveau les États du Golfe autour de l’Arabie saoudite.
• Avec la Turquie, la polémique suite à l’affaire Khashoggi a pris fin : le roi Salman a appelé le président Erdogan, avec qui il a été entendu de « garder les canaux du dialogue ouverts ». Il est clair que le rapprochement saoudo-qatari facilitera ces échanges entre les deux prétendants au leadership du monde sunnite ; et cela permettra peut-être à Riyad d’essayer d’atténuer les tensions entre Le Caire et Ankara.
• À l’intérieur du royaume, il est probable qu’un certain nombre d’activistes des droits de l’Homme seront libérés prochainement, ce qui réduira les critiques des Organisations non-gouvernementales (ONG) sur les violations des droits de l’Homme en Arabie. Par ailleurs, les publications du ministère de l’Éducation viennent de supprimer certains textes agressifs envers les incroyants, les chrétiens, les juifs, les chiites et les homosexuels. De même, plusieurs imams ont été évincés en raison de leurs prêches extrémistes. Enfin, les Saoudiens peuvent mettre en avant le succès de leur politique sanitaire, puisqu’on déplore désormais moins de 100 cas d’infection quotidiens par le coronavirus.
Il reste à savoir si ces différents éléments suffiront à convaincre
l’administration Biden des bonnes dispositions de MBS ; mais l’importance du rôle économique, politique et religieux de l’Arabie devrait permettre de trouver un modus vivendi entre les deux pays, alliés stratégiques depuis 75 ans.
Aussi peut-on espérer que la volonté de dialogue de l’administration Biden débouchera au Moyen-Orient sur un déblocage progressif d’une situation très tendue, car elle est de l’intérêt de tous, même s’il est clair que chaque partie défendra avec force ses intérêts.
Mais la normalisation en cours entre Israël et les pays arabes – positive en soi – ne prendra tout son sens que si l’Arabie saoudite – gardienne des lieux saints de l’islam et à l’origine de l’initiative arabe de paix – est en mesure de s’associer au mouvement. Or, il est clair qu’elle ne le fera que si une solution acceptable est trouvée pour les Palestiniens et pour Jérusalem (troisième lieu saint de l’islam).
C’est donc sur ce terrain que les Européens ont un rôle spécifique à jouer : amis d’Israël et premiers fournisseurs d’aide aux Palestiniens, ils sont les mieux placés pour prendre une initiative qui tiendrait compte des nouvelles réalités diplomatiques et sur le terrain, mais qui irait plus loin que le plan Kushner, inacceptable en l’état.
La France, qui est un acteur respecté dans la région et qui est le pays européen le plus actif politiquement au Moyen-Orient, a sans doute une responsabilité et une compétence particulières pour proposer une relance du processus de paix israélo-palestinien comportant des idées nouvelles (une Confédération israélo-palestinienne ?). Cela, d’autant plus que notre pays, et l’Europe en général, ont eu et auront un rôle important à jouer pour préserver l’accord nucléaire avec l’Iran et pour tenter de le compléter, de façon à stabiliser enfin cette région stratégique pour le monde. ♦