Tous les pays du Golfe s’interrogent sur ce que sera concrètement la politique du président Biden envers l’Iran. Ils ont pris acte de son souhait de reprendre le dialogue avec Téhéran et de réintégrer l’accord nucléaire, à certaines conditions. Les positions des différents pays du Golfe ne sont pas identiques.
Préoccupations des pays du Golfe concernant la politique de l’Administration Biden à l’égard de l’Iran (T 1253)
Pays du Golfe (© Adobe Stock)
All the Gulf countries are wondering what President Biden's policy towards Iran will be in concrete terms. They took note of his wish to resume dialogue with Tehran and to rejoin the nuclear agreement, under certain conditions. The positions of the various Gulf countries are not identical.
Tous les pays du Golfe s’interrogent, avec des degrés variés d’inquiétude, sur ce que sera concrètement la politique du président Biden envers l’Iran. Ils ont pris acte de son souhait de reprendre le dialogue avec Téhéran et de réintégrer l’accord nucléaire, à certaines conditions.
Dans les faits, à l’exception du sultanat d’Oman qui se considère comme un intermédiaire entre l’Iran et les États-Unis, les pays du Golfe ont eu le sentiment d’être lâchés par l’Administration Obama et ils se demandent si les nominations d’Antony Blinken et de Robert Malley (proches collaborateurs de l’ancien président américain) ne signifient pas, de facto, un retour à la politique d’avant Trump. Leur crainte essentielle est qu’outre le risque nucléaire, les problèmes des missiles iraniens et des ingérences de Téhéran dans les pays de la région – qui constituent leur principale préoccupation – ne soient, in fine, pas sérieusement abordés du fait d’un refus total iranien. Sur le fond, ils souhaiteraient donc que les sanctions imposées par le président Trump ne soient levées que si Téhéran changeait d’attitude sur ces deux questions-clé.
Toutefois, les positions des différents pays du Golfe ne sont pas identiques.
L’Arabie saoudite est le pays le plus concerné à différents titres. L’administration Biden est, en effet, critique de la politique du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), tant en ce qui concerne la guerre au Yémen qu’en matière de droits de l’homme. Riyad en est conscient et a pris un certain nombre de mesures pour y répondre : en particulier des propositions faites aux opposants houthis (mais ceux-ci font monter les enchères) et la libération de certains activistes des droits de l’homme ; mais aussi la réduction unilatérale de la production saoudienne de pétrole brut afin de faire remonter les cours – permettant, également, aux producteurs de pétrole de schiste américains de reprendre leur activité. Il n’est cependant pas certain que cela suffise à crédibiliser MBS aux yeux de l’Administration Biden (1), qui a retiré les houthis de la liste des organisations terroristes et a gelé certaines ventes d’armes à l’Arabie saoudite, alors que les proxies yéménites et irakiens de Téhéran continuent de lancer des missiles et des drones contre le territoire saoudien (2). Il n’est donc pas étonnant que, si les réactions des autorités saoudiennes sont mesurées, la presse du royaume ne se prive pas, elle, de critiquer les décisions américaines. Toutefois, la publication du rapport de la CIA sur l’affaire Khashoggi (3) n’a pas empêché un entretien téléphonique constructif entre le président Biden et le roi Salman. La coopération entre les deux alliés stratégiques va donc se poursuivre – étant donné l’importance des enjeux pour les deux partenaires – mais MBS ne sera plus le protégé de Washington, comme il le fut au temps de Trump.
Bahreïn est préoccupé par les critiques américaines de sa politique en matière des droits de l’homme et par un éventuel rapprochement entre Téhéran et Washington. Mais la présence d’une base navale américaine à Manama et la récente reconnaissance par Bahreïn de l’État d’Israël devraient limiter les frictions entre les deux pays.
Les Émirats arabes unis (EAU) sont perçus par les États-Unis comme un pays important et un allié sûr. L’ambassadeur émirien Yousef Al Otaiba est une personnalité influente à Washington. En outre, le rôle proactif de cheikh Mohammed ben Zayed dans l’établissement de relations diplomatiques avec Israël est bien accueilli par les Démocrates, comme par les Républicains. Toutefois la proximité du prince héritier d’Abou Dabi avec le président Trump explique sans doute le gel par Washington de certains contrats d’armement, en particulier la vente de F-35. Mais la politique émirienne vis-à-vis de l’Iran et du Yémen est plus prudente que celle de Riyad, ce qui devrait faciliter son adaptation à la nouvelle politique régionale des États-Unis.
Le Koweït et le Qatar partagent les préoccupations de leur grand voisin saoudien à l’égard des ambitions du régime iranien, mais ils ménagent Téhéran ; le premier, en raison de la forte minorité chiite de sa population et le second, car il partage avec l’Iran le gisement gazier géant de North West Dome/South Pars. En outre, l’embargo imposé au Qatar par ses voisins a contraint Doha à dépendre de Téhéran pour les vols de Qatar Airways. Il est donc probable que les Qataris tenteront de jouer les bons offices entre l’Iran et les États-Unis.
Quant au sultanat d’Oman, son nouveau dirigeant continuera à offrir les services de son pays pour faciliter un arrangement entre Téhéran et Washington.
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En somme, il est clair que si les pays du Golfe partagent une même appréhension à l’égard des ambitions régionales de l’Iran et de ses programmes d’armement, seuls l’Arabie saoudite et les EAU pèseront à Washington – avec Israël – pour faire en sorte que tout nouvel accord avec Téhéran prenne en compte leurs préoccupations, contrairement à l’accord nucléaire de 2015 où ils n’avaient pas été consultés. Toutefois, la qualité du partenariat entre les autorités de Riyad et l’Administration Biden reste encore à définir, et elle sera largement fonction de la politique que mènera précisément Washington à l’égard de l’Iran. ♦
(1) « Joe Biden veut “recalibrer” la relation avec Riyad et tenir MBS à distance », France 24, 17 février 2021 (www.france24.com/).
(2) Reuters, « Les Houthis du Yémen ciblent un site pétrolier de Saudi Aramco », Challenges, 8 mars 2021 (www.challenges.fr/).
(3) Arefi Armin, « Voici le rapport de la CIA sur l’assassinat de Jamal Khashoggi », Le Point, 26 février 2021 (www.lepoint.fr/).