La Chine, Empire du Milieu, a connu un véritable déclassement géopolitique et économique à partir du XIXe siècle et qui va culminer jusqu’à la période de Mao. Déclassement et sentiment d’humiliation d’un pays millénaire et qui va donc s’efforcer de rattraper le retard à partir de Deng Xiao Ping, conscient du besoin de développement économique mais aussi de la nécessité d’une ouverture vers l’extérieur. Dès lors, la dimension maritime va être essentielle pour contribuer à la réussite de cette ambition inscrite dans le temps long. Une industrie maritime complète va ainsi être créée, allant des chantiers navals jusqu’au projet abouti des nouvelles « routes de la Soie » avec le contrôle économique des ports allant jusqu’au cœur de la Méditerranée.
Objectifs politiques de la Chine et stratégie maritime (2/2) (T 1262)
Belt and Road Initiative
China, the Middle Kingdom, experienced a real geopolitical and economic downgrading from the 19th century which culminated until the Mao’s period. Downgrading and feeling of humiliation of a millennial country which will therefore strive to catch up from Deng Xiao Ping, aware of the need for economic development but also of the need for an opening to the outside. Therefore, the maritime dimension will be essential to contribute to the success of this long-term ambition. A complete maritime industry will thus be created, ranging from shipyards to the successful project of the new "Silk Roads" with the economic control of the ports going to the heart of the Mediterranean.
Note préliminaire : Conférence prononcée à l’Académie de Marine le 13 janvier 2021. Le texte a été publié dans les Communications et mémoires de l’Académie.
La stratégie maritime chinoise dans le long terme
Aujourd’hui, la Chine considère plus que jamais que son accession au statut de grande puissance, voire la survie de son régime, dépend du commerce maritime qui constitue l’épine dorsale de son économie.
Pour atteindre le « Rêve chinois » en 2049, la Chine doit pouvoir disposer à terme des meilleurs terminaux maritimes, ouvrir des corridors terrestres pour donner accès aux océans à ses provinces enclavées, développer progressivement et contrôler des chaînes d’approvisionnement à usage dual, civil et militaire – le « collier de perles » – sous l’égide d’une puissance navale de premier ordre pour dissuader les adversaires potentiels ou être en mesure de les vaincre dans les mers proches.
Commander les approches maritimes
Les conséquences de l’entrée en vigueur de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) en 1994 ont été néfastes à la Chine qui a un accès contraint à la mer en raison de la proximité de ses côtes de nombreuses îles qui ne lui appartiennent pas. Elle est, de ce fait, privée d’une partie importante de la Zone économique exclusive (ZEE) à laquelle elle pourrait prétendre. Le tableau suivant met en lumière la différence de traitement de quatre pays.
Tableau 2 : Conséquences de la Loi de la mer : inégalités dans la répartition des domaines maritimes
|
ZEE/terre |
ZEE (km2) |
Superficie du territoire (km2) |
États-Unis |
1,2 |
11 351 000 (1er) |
9 371 175 (4e) |
France |
18,3 |
11 035 000 (2e) |
640 294 (42e) |
Japon |
12 |
4 470 000 (6e) |
377 944 (62e) |
Chine |
0,4 |
3 879 666 (10e) |
9 596 966 (3e) |
Pour accéder à la haute mer, ses navires doivent franchir des détroits qu’elle ne contrôle pas, ce qui constitue autant d’aléas géopolitiques en cas de crise. Aussi, pour y assurer un passage permanent, il lui faut commander ses approches maritimes et leurs accès en remédiant en particulier au « dilemme de Malacca (7) » énoncé dès 2003 par le président Hu Jintao.
Les approches maritimes de la Chine sont constituées par les trois mers qui baignent ses côtes, la mer Jaune, la mer de Chine orientale et la mer de Chine méridionale. Le trafic maritime est particulièrement intense dans cette dernière par où transitent tout ou partie des flux qui alimentent aussi quatre autres grandes puissances industrielles et maritimes qui sont également des adversaires potentiels : le Japon, la Corée du Sud, Taïwan et Singapour.
Sur le plan géostratégique, commander ces trois mers consiste à sécuriser les flux chinois, contrôler ceux des nations étrangères, répondre au dilemme de Malacca et constituer un bastion en eaux profondes pour protéger une force océanique stratégique dotée de Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) toujours réputés indiscrets ; sans oublier le contrôle de l’exploitation des ressources halieutiques et en hydrocarbures.
Bien qu’ayant signé et ratifié la CNUDM – avec cependant certaines réserves – la Chine a repris à son compte une revendication du Guomindang datant de 1947 suivant laquelle le bras de mer englobant 62 % de la mer de Chine méridionale et délimité par la ligne initialement dite « en neuf traits (8) » appartiendrait à son territoire national, un concept très éloigné du droit de la mer en vigueur. Pour rester dans l’ambiguïté, la Chine ne diffuse pas les coordonnées géographiques des traits et se borne à les représenter graphiquement sur les cartes de ses atlas et sur les passeports de ses ressortissants. Cette zone maritime lui appartiendrait de droit pour des raisons « historiques nationales » bien antérieures au droit de la mer. C’est en vertu de ce concept que la Chine a repris par la force au Vietnam les îles Paracel en 1974 et certaines des îles Spratly en 1988. Elle revendique bien sûr également tout ce qui est inclus dans le tracé, y compris les îles occupées par les États riverains et qui se situent dans leur ZEE. Cela génère des différends maritimes avec le Vietnam, la Malaisie, l’Indonésie, Brunei et les Philippines.
C’est cette zone maritime qui, avec la République de Chine (Taïwan), les îles Diaoyu (Senkaku pour les Japonais) en mer de Chine orientale et des zones frontalières avec l’Inde, constituent le Core Interest cité dans le Livre blanc de 2011 : « l’intégrité territoriale et la réunification du pays ».
Figure 1 : Ligne de base revendiquée par la Chine et contestée par le Vietnam (Source : Limits in the seas N° 117 : Straight baselines claim, Office of Ocean and Polar Affairs, US Department of State – July 9, 1996, p. 18.
L’emprise sur la mer de Chine se déroule inexorablement. Une préfecture est créée le 23 juillet 2012 à Sansha, la ville située sur l’île Woody, la plus grande de l’archipel des Paracels. Elle se poursuit le 18 avril 2020, par la création des arrondissements de Xisha dans les îles Paracels, et de Nansha, dans les îles Spratleys.
À cette approche purement nationale, et faute de disposer des moyens maritimes nécessaires pour faire respecter sans risque son pavillon dans ces eaux qu’elle revendique, la Chine accroît encore l’ambiguïté en s’appuyant cette fois sur le droit de la mer. Elle demande à ce que soient respectées les eaux territoriales – d’une largeur de 12 milles nautiques telles que définies par celui-ci – autour des îles artificielles (9) qu’elle a créées en remblayant sept hauts-fonds de l’archipel des Spratleys. Enfin, dans les Paracels, elle a fixé unilatéralement une ligne de base qui entoure l’ensemble de l’archipel, transformant en eaux intérieures toutes les eaux ainsi circonscrites, une façon de faire qui contrevient aussi au CNUDM.
Figure 2 : Principales bases chinoises en mer de Chine méridionale (sources : Hugues Eudeline).
Outre les aspects économiques de cette stratégie de commandement des approches maritimes, il y a celui, purement militaire, qui consiste à élaborer un bastion pour la protection des SNLE. La plus grande partie de la zone des « dix traits » est très profonde et rapidement accessible par les sous-marins basés dans l’île de Hainan où une base souterraine a été creusée pour eux. Une demi-heure après avoir appareillé, ils ont suffisamment d’eau sous la quille pour pouvoir plonger en sécurité et entamer leur patrouille.
Des moyens logistiques (bases avancées) et navals sont nécessaires pour mener à bien cette stratégie. Les sept hauts-fonds qui ont été remblayés en mer de Chine méridionale en un temps record, disposent de ports protégés permettant de soutenir les forces maritimes de tout type qui patrouillent en mer de Chine méridionale. Trois ont été pourvus de pistes d’aviation d’une longueur de 3 000 m environ (Fiery Cross reef, Subi reef et Mischief shoal). Situés entre 100 et 150 milles nautiques (MN) les uns des autres, ils se soutiennent mutuellement. Ils sont de plus presque à mi-distance de l’île de Hainan, le point le plus au sud de la Chine, et du détroit de Malacca (respectivement 570 MN et 730 MN), c’est-à-dire à portée d’intervention sans ravitaillement aérien. Cette menace que l’aviation navale chinoise fait peser sur les détroits constitue une réponse efficace au dilemme. Situés à proximité immédiate du centre de la zone d’opération des sous-marins chinois, ils sont également en parfaite position pour contribuer efficacement au bastion. Sur les quatre autres îles remblayées, des pistes pour hélicoptères permettent de mettre en œuvre des moyens aériens de lutte sous la mer.
Enfin, la Chine aurait installé dans la zone des réseaux d’écoute sous-marine composés d’antennes linéaires posées sur le fond, similaires aux réseaux SOSUS américains de la guerre froide.
Les Chinois privilégient une approche subtile consistant à éviter toute confrontation directe sans y être pleinement préparé. Ils savent qu’il leur est difficile de connaître les capacités réelles de leurs forces de combat alors que les derniers engagements qu’ils ont connus sur mer étaient de faible intensité, sans commune mesure avec ce à quoi ils pourraient être confrontés.
Ils savent qu’ils ne savent pas.
Ils savent aussi qu’ils ont le temps pour eux et qu’ils ont l’initiative. Aussi appliquent-ils la tactique de la tranche de saucisson (10) que Robert Haddick définit comme étant la lente accumulation de petites actions, dont aucune ne peut constituer de casus belli, mais qui, par leur accumulation au fil du temps, conduisent à un changement stratégique majeur.
Par ailleurs, il leur faut limiter autant que possible le risque qu’une rencontre entre des bâtiments de guerre dégénère dans le feu d’une action de simple police comme, par exemple, à l’occasion des confrontations violentes qui opposent fréquemment des nuées des pêcheurs de différents pays. Le 30 janvier 2013, une de ces rencontres s’est déroulée en mer de Chine orientale entre pêcheurs japonais et chinois. Des bâtiments de chaque pays étaient sur zone quand une unité de la marine chinoise a illuminé une frégate japonaise avec son radar de conduite de tir. Menacé, l’équipage de celui-ci aurait pu faire usage de ses armes pour anticiper une attaque. À la suite de cet événement, des mesures ont été prises de part et d’autre pour éviter tout dérapage. Le 9 mars 2013, le Premier ministre japonais a ordonné à sa marine d’adopter une attitude non provocante en restant hors de vue des forces chinoises dans de telles circonstances.
De leur côté, les Chinois ont réorganisé leurs forces maritimes, lesquelles, en plus de la marine de guerre, comprenaient alors cinq corps paramilitaires qui armaient de très nombreux bâtiments de petit ou moyen tonnage. Le 9 juillet 2013 est créé le nouveau corps des garde-côtes (CCG) qui en regroupe quatre (tous sauf l’Administration de la sécurité maritime [MSA] du ministère des Transports). Il dépend, dans un premier temps, du ministère civil de la Terre et des Ressources (Ministry of Land and Resources). Le 1er juillet 2018, les Garde-côtes passent sous l’autorité de la Commission centrale militaire. Ils sont de très loin le corps de Garde-côtes le plus nombreux au monde et sont dotés de plusieurs bâtiments dépassant plus de 10 000 t à la coque renforcée leur permettant d’épauler ou d’éperonner des bâtiments contrevenants sans utiliser les armes !
La Chine vient encore de durcir sa position en adoptant, le 22 janvier 2021, une loi autorisant les garde-côtes à utiliser des armes légères si les circonstances d’une infraction l’exigent ou, dans les cas plus graves, d’utiliser leurs canons. Elle les autorise explicitement à intervenir pour arrêter la construction ou détruire des structures élevées sur des îles revendiquées par la Chine. Elle donne également à la GCC un large pouvoir discrétionnaire pour créer des zones d’exclusion temporaires, arraisonner et inspecter les navires étrangers dans les eaux revendiquées par la Chine, c’est-à-dire à l’intérieur de la ligne en 10 traits.
Une troisième grande force maritime existe en Chine (ainsi qu’au Vietnam), la Milice maritime. Elle est composée de navires de pêche à coques en acier, armés par des marins civils ayant reçu une formation militaire et une éducation politique. Elle peut être mobilisée pour la défense des intérêts maritimes de la Chine.
Le fait de disposer dans les approches de la Chine de ces trois forces maritimes (milice maritime, garde côtière et marine de guerre), pouvant toutes être placées sous un même contrôle opérationnel, lui permet de coordonner leurs actions pour toujours rester sous le seuil de conflictualité, tout en lui permettant, à terme, d’atteindre ses objectifs stratégiques. Malgré les libertés prises avec la loi de la mer, la Chine ne recule jamais sous la pression internationale. Quand apparaît une résistance – comme ce fut le cas lors de la plainte déposée par les Philippines –, elle préfère attendre que le temps fasse son œuvre et que la situation évolue en sa faveur. Le temps politique est court dans les démocraties où les responsables politiques se succèdent à une cadence plus rapide qu’en Chine où, de plus, les dirigeants ont toujours suivi une même ligne politique de Deng Xiaoping à Xi Jinping.
Protégée par la puissance de ses forces militaires, elle peut pratiquer une politique efficace des petits pas dont les gains cumulés constituent à terme des avancées déterminantes. Qui voudrait entrer en conflit de forte intensité avec une puissance nucléaire disposant de la deuxième marine de guerre au monde pour la possession de hauts-fonds remblayés ou d’îlots inhabités ?
Sécuriser les intérêts chinois outremer et contrôler les flux d’approvisionnement
Pour atteindre ses objectifs politiques en accroissant fortement son économie, la Chine a un besoin vital de la mondialisation. C’est une nécessité immédiate pour nourrir sa population qui représente 20 % de celle du monde alors que le pays ne dispose que de 10 % des terres cultivables de la planète. Elle a ensuite besoin d’augmenter très sensiblement les échanges pour parvenir à développer les provinces enclavées qui n’ont pas profité de la croissance des régions côtières. Certaines (en particulier le Xinjiang) sont le théâtre d’agitation et de remous sociaux encore contenus par une répression de plus en plus critiquée à l’international.
Cette seconde partie de la stratégie maritime est entièrement destinée à répondre à ces attentes. Elle est mise en œuvre progressivement sur toutes les mers. Il est possible de la résumer en cinq points :
• Contrôle et amélioration des chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale.
• Maintien de l’ouverture des détroits importants et des flux maritimes.
• Soutien aux intérêts chinois outre-mer.
• Exploitation des ressources maritimes et explorations duales des grands fonds.
• Diplomatie navale (lutte contre la piraterie, évacuation de ressortissants, navire-hôpital…).
Les moyens navals nécessaires à sa réussite sont ceux de la seule marine de guerre, y compris le corps de fusiliers marins appelé à servir outre-mer à l’instar des corps de Marines anglo-saxons, qui lui sont rattachés.
L’APL/N dont les plus grands bâtiments ne dépassaient pas 4 000 tonnes en 1981, était composée dans son immense majorité d’unités de petite taille et de caractère vétuste qui lui interdisaient toutes opérations militaires en haute mer. Elle était considérée par le rédacteur des Flottes de combat 1982 comme « une marine de défense côtière et qui le restera longtemps (11). » Pourtant, sa croissance depuis a été fantastique et sans égale dans l’histoire ! En 2020, elle compte 350 unités, dont plus de 130 grands bâtiments de surface et sous-marins. Elle est, de plus, en croissance très rapide et pourrait rapidement dépasser l’US Navy. Elle dispose d’une aviation navale dont des chasseurs bombardiers capables d’opérer à partir de porte-avions. Les effectifs de son corps de fusiliers marins passent de 8 000 hommes à 100 000 et ses moyens de débarquement – y compris des porte-hélicoptères d’assaut de gros tonnage – se multiplient.
Pour agir loin et durer, il lui faut pouvoir disposer d’un réseau logistique cohérent composé de véritables bases navales (12), comme celle de Djibouti ouverte en août 2017 (ou encore Gwadar au Pakistan et Kyaukpyu au Myanmar) et de soutiens d’appoint pour ses forces. Ils sont constitués par les ports situés à l’étranger et passés sous contrôle chinois partiel ou total (comme Hambantota au Sri Lanka), ce que les Américains appellent le « Collier de Perles ». La Chine, qui a développé en ce qui les concerne le concept de ports « civils d’abord, militaires ensuite », les considère comme faisant partie intégrante d’une stratégie de défense.
Cette seconde partie de la stratégie maritime a commencé par l’ouverture de la Chine au commerce international en 1978, malgré la faiblesse de la marine chinoise et son incapacité à protéger alors ses navires de commerce. En parallèle à l’essor de sa flotte de commerce et de ses chantiers navals, sans ostentation pour ne pas risquer de dresser les grandes puissances en période de guerre froide, une flotte de guerre de haute mer a vu le jour. C’est un SNLE qui a été lancé le premier en avril 1981, le 406 Changzheng. En raison du retard technologique de la Chine, les États-Unis ne s’en sont pas inquiétés. En août 1984, ils vont même signer un traité de coopération avec la Chine dans les domaines naval et aérien. En 1985, le bâtiment-école Zheng He fait la première escale chinoise à l’étranger depuis des décennies.
De 1982 à 1988, la marine était dirigée par l’amiral Liu Huaqing. C’est lui qui a théorisé le passage de la « défense côtière » à la « défense au large » en fixant trois objectifs temporels : en 2000, la marine devait pouvoir contrôler la zone maritime s’étendant entre le continent et la première ligne d’îles ; en 2020, elle devait pouvoir contrôler jusqu’à la deuxième ligne d’îles (qui passe par Guam et le Japon) ; en 2050 (ou plutôt 2049 pour le centenaire de la prise de pouvoir communiste en Chine), la marine devrait avoir une capacité d’intervention planétaire. Si les deux premières étapes n’ont pas été respectées, elles sont en bonne voie de l’être. Quant à la dernière, elle est également en bonne voie de réalisation.
Aujourd’hui, les chantiers navals construisent en quantité, et à une cadence de plus en plus rapide pour asseoir sa suprématie, tous les bâtiments de guerre de fort tonnage nécessaires à une marine de premier rang, capable de mener avec succès tous les types d’opérations navales loin de ses bases : porte-avions, bâtiments de débarquement, croiseurs antiaériens, pétroliers ravitailleurs d’escadre, Sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), SNLE…
Pourtant, le nombre seul n’assure pas l’efficacité. Faute d’alliés sûrs, la Chine doit réinventer ou copier les doctrines d’emploi de ses adversaires potentiels. Elle a appris à durer à la mer en profitant du rassemblement international déclenché par la piraterie somalienne et en envoyant dans l’océan Indien des flottilles qui s’y sont relayées sans discontinuer depuis le 26 décembre 2008. Composées de deux frégates et d’un bâtiment logistique, elles ont été amenées à collaborer progressivement avec toutes les marines présentes sur zone. Depuis quelques années, ces groupes vont plus loin, jusqu’en Méditerranée et en Baltique. Une autre incertitude concerne le niveau réel des équipages en raison des besoins énormes en personnel que demande une marine en plein essor.
Il faut noter que les trois implantations navales situées outre-mer (Djibouti, Gwadar et Kyaukpyu) ont une triple fonction. Elles sont situées à proximité immédiate de détroits vitaux (Bab-el-Mandeb, Ormuz et Malacca) ; sont capables d’accueillir des forces d’intervention importantes (Djibouti pourrait accueillir 10 000 personnes) ; disposent de ports marchands contrôlés par la Chine et sont situés à l’aboutissement de corridors économiques importants (la voie de chemin de fer qui assure l’essentiel des exportations de l’Éthiopie ; le corridor économique Chine–Pakistan vers le Xinjiang, les oléoducs et gazoducs vers le Yunnan).
Figure 3 : L’Initiative ceinture (corridors terrestres) et routes (maritimes) ne concerne pas le continent américain.
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La Chine sait que la route qui la mènera au statut de puissance dominante passe par les échanges maritimes qui constituent l’épine dorsale de son économie. C’est la raison pour laquelle elle joue simultanément des deux principales composantes du Hard Power que sont la puissance économique et la puissance militaire pour imposer sa volonté au monde. Ses institutions la mettant en mesure de planifier à longue échéance, la Chine dispose d’un avantage décisif sur ses adversaires des pays démocratiques dont les dirigeants restent en poste pendant des mandatures trop courtes pour pouvoir mener à bien de grands projets.
Il lui faut toutefois absolument éviter toute provocation qui pourrait conduire à un conflit de haute intensité qu’elle serait encore probablement incapable de gagner. Aussi, cultive-t-elle les valeurs traditionnelles chinoises de patience et d’ambiguïté pour s’en prémunir sans toutefois reculer.
La guerre commerciale commencée par le président Trump en menaçant directement les objectifs politiques de la Chine est, probablement, le principal écueil qui pourrait mettre en péril la réalisation du rêve chinois. Elle est cependant contrariée par la pandémie de la Covid-19 dont l’Empire du Milieu semble devoir se redresser plus rapidement que son principal adversaire. ♦
(7) En novembre 2003, le président Hu Jintao a déclaré que « certaines grandes puissances » étaient déterminées à contrôler le détroit et a appelé à l’adoption de nouvelles stratégies pour atténuer la vulnérabilité perçue. Un journal a écrit : « Il n’est pas exagéré de dire que quiconque contrôle le détroit de Malacca aura également la mainmise sur la route énergétique de la Chine. »
(8) Un trait supplémentaire a été ajouté le 11 janvier 2013, de façon à inclure totalement Taïwan et le détroit de Taïwan qui entrerait de ce fait totalement sous sa juridiction.
(9) Le CNUDM ne prévoit que l’établissement de zones de sécurité qui ne peuvent s’étendre sur une distance de plus de 500 mètres autour des îles artificielles.
(10) Autrement appelée manœuvre de l’artichaut par le général Beaufre.
(11) Labayle-Couhat Jean, Les Flottes de combat 1982, Éditions maritimes et d’outre-mer, 1981, p. XXVII.
(12) Leur empreinte territoriale est plus ou moins importante selon l’évolution des besoins stratégique et économique ainsi qu’en fonction des aléas géopolitiques. Seule Djibouti est pleinement opérationnelle ; Gwadar (ou Jiwani, située à proximité) ne le sera probablement qu’à l’entrée en service du corridor économique Chine-Pakistan. Quant à Kyaukpyu, le rapprochement du Myanmar avec l’Inde met sérieusement en question l’établissement d’une implantation de grande envergure.