À l'occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon, l'historien Éric Anceau revient pour la RDN sur l'itinéraire du Général, puis de l'Empereur, et des traces qu'il a laissé dans l'Histoire de France.
200 ans après la disparition de l’Empereur Napoléon et au-delà des polémiques trop souvent décontextualisées, l’œuvre de celui-ci a façonné la France moderne. Son héritage est encore vivant entre le Code civil, des institutions et des avancées confortant la citoyenneté. Au point que ses traces sont visibles non seulement en France, mais aussi dans les pays alors intégrés à l’Empire et qui ont conservé bon nombre des acquis napoléoniens.
Napoléon : génie militaire, homme d’État, père de la France contemporaine (T 1275)
Le Général Bonaparte au Pont d'Arcole (Antoine-Jean Gros, Public domain, Wikimedia Commons)
On the occasion of the bicentenary of the death of Napoleon, the historian Éric Anceau returns for the RDN on the itinerary of the General, then of the emperor, and the traces he left in the History of France. 200 years after the death of the Emperor Napoleon and beyond the controversies that are too often decontextualized, his work has shaped modern France. His legacy is still alive through the Civil Code, institutions and advances consolidating citizenship. So much so that its traces are visible not only in France, but also in the countries then integrated into the Empire and which have retained many of the Napoleonic achievements.
« Je suis tellement identifié avec nos prodiges, nos monuments, nos institutions, tous nos actes nationaux, qu’on ne saurait plus m’en séparer sans faire injure à la France ».
Voilà ce qui disait Napoléon, en 1816, dans son exil final de Sainte-Hélène. Enfant de la petite noblesse d’une île récemment rattachée à la France, la Corse, que rien ne prédestinait à devenir un géant dans une France moderne qui était celle des situations acquises et des rentes de situation, il devient, grâce à la Révolution, général à vingt-quatre ans, Premier consul de la République à trente et empereur des Français à trente-cinq.
À sa chute, il n’en a alors que quarante-huit, mais il peut se vanter d’avoir marqué la France, l’Europe et le monde de son empreinte, et il ne lui reste plus alors qu’à forger sa légende sur cet îlot perdu au milieu de l’Atlantique Sud. Ce destin exceptionnel de demi-Dieu, sorti de l’Antiquité, a fasciné ses contemporains puis les générations suivantes et il fascine encore aujourd’hui, au point que près de 90 000 livres ont été écrits sur lui, soit un nombre supérieur à celui des jours qui se sont écoulés depuis sa mort.
On peut en rappeler les traits saillants. Napoléon est tout d’abord un officier de génie et un stratège hors-pair qui s’illustre au siège de Toulon dès 1793, puis en Italie (1796-1797) et en Égypte (1798-1799), avant les grandes victoires de l’Empire comme Ulm (16-18 octobre 1805), Austerlitz (le « Soleil d’Austerlitz » du 2 décembre 1805), Iéna (14 octobre 1806) et Friedland (14 juin 1807) ! C’est ce génie militaire qui lui a permis de frapper les imaginations – même si un usage habile de la propagande a permis d’occulter des échecs comme Aboutir, les 1er et 2 août 1798, ou Saint-Jean d’Acre, du 20 mars au 21 mai 1799, pendant l’expédition d’Égypte – et d’accéder au pouvoir par un coup d’État, les 9 et 10 novembre 1799.
Cependant, de Napoléon Bonaparte, on retient surtout le réformateur. Il accomplit l’essentiel de son œuvre en ce domaine, en à peine plus de quatre ans, durant son Grand Consulat (1799-1804), consolidant les acquis de la Révolution qu’il transforme en institutions et en lois. On lui doit alors le Conseil d’État (13 décembre 1799), le corps préfectoral (17 février 1800), les conseils généraux, l’administration du Trésor et des Finances publiques, la Gendarmerie nationale, le Concordat (15 juillet 1801) et l’organisation des cultes protestants, la Banque de France, le franc germinal, les lycées, la Légion d’honneur et, évidemment, le Code civil qui est promulgué le 21 mars 1804. Ce dernier unifie le droit civil français en établissant l’égalité des citoyens devant la loi, la non-confessionnalité de l’État, les règles de l’état civil et la liberté contractuelle, et en protégeant le droit des personnes, la famille, la propriété, la transmission des biens. Il donne à la France rien moins que l’État moderne en conciliant le maintien des libertés fondamentales de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et le rétablissement de l’autorité et de l’ordre.
Après le passage à l’Empire (1804), l’œuvre se poursuit, car la République est dans l’Empire. Sont encore créés la Cour des comptes (1807), les Codes de procédure civile, de commerce, d’instruction criminelle, et pénal, le corps enseignant. Le culte israélite est organisé pour la première fois. Par ailleurs, le Code civil se répand en Europe (Belgique, Pays-Bas, Suisse, Luxembourg, Italie, Allemagne…), même si cela se fait par le biais de conquêtes, même si le régime prend une pente monarchique, même si une partie du peuple souffre.
Il ne s’agit d’ailleurs pas d’occulter d’autres aspects négatifs : le rétablissement de l’esclavage dans les colonies (20 mai 1802), que les révolutionnaires avaient aboli en 1794, la compression des libertés politiques, le bilan humain des guerres, le legs de Napoléon à ses successeurs d’une France plus petite en superficie à son départ qu’au moment où il en était devenu le maître.
Il n’en demeure pas moins que les « masses de granit » jetées « sur le sol » pour stabiliser une société composée de citoyens éparpillés comme des « grains de sable » ont joué pleinement leur rôle pendant plus de deux siècles, en dépit d’une instabilité politique chronique, et elles donnent encore sa colonne vertébrale à la France actuelle. Cette œuvre est tellement marquante que Napoléon mérite indéniablement que le bicentenaire de son décès soit commémoré par l’État et par les Français. Si tel n’était pas le cas, on se demande bien ce qui pourrait encore être commémoré ? ♦
Tombeau de Napoléon aux Invalides (© Pxhere)