Les eaux du Moyen-Orient deviennent de plus en plus agitées avec des risques d’affrontements navals entre pays riverains ou présents militairement dans la région. De nombreux incidents émaillent ces dernières années, avec une sophistication accrue des moyens employés, obligeant à déployer des navires ou des dispositifs de précaution de plus en plus complexes. La coopération internationale y est donc devenue une réalité, impliquant plusieurs marines tant occidentales que locales. Une nouvelle étincelle pourrait cependant embraser cette région encore indispensable pour le trafic maritime mondial.
Bataille navale au Moyen-Orient (T 1285)
Carte du golfe d'Aden (© NormanEinstein via WikiCommons)
The waters of the Middle East are becoming increasingly rough with the risk of naval confrontations between neighboring countries or militarily present in the region. Many incidents have occurred in recent years, with increased sophistication of the means employed, requiring the deployment of increasingly complex vessels or precautionary devices. International cooperation has therefore become a reality there, involving several Western and local navies. A new spark could, however, ignite this region which is still essential for world maritime traffic.
Depuis 2017, les événements maritimes se succèdent au Proche et Moyen-Orient. Pétroliers, navires marchands, bâtiments de guerre sont victimes d’attaques. Fait-on face à un retour de la « tanker war » (1) de 1987 dans le golfe Persique ?
Les attaques étaient attribuées à l’Iran et à ses « proxies » mais leurs unités, ou celles de pays qui tentaient de défendre leur cause furent également ciblées, laissant penser qu’il y avait un autre protagoniste. En 2017, la frégate saoudienne Madina, qui participe au blocus, est endommagée dans le Bab-el-Mandeb ; trois ans plus tard, un drone naval, à l’identité controversée, frappe un pétrolier (2) : deux épisodes de l’extension navale de la guerre du Yémen.
Ces incidents ont eu, au début, une légère influence sur les cours du pétrole, qui disparaît faute de conséquence majeure sur les flux. Des coalitions sous commandement américain ou de l’Union européenne (UE) sont constituées en 2019 pour protéger le golfe Persique. Les attaques migrent alors vers le nord de l’océan Indien, en mer Rouge et en Méditerranée.
L’année 2021 annonce un virage car, en février, pour la première fois, une cible israélienne est touchée dans le golfe d’Oman, l’Helios Ray. Quelques jours plus tard un porte-conteneurs sous pavillon iranien Shahr-e-Kord est atteint à son tour en Méditerranée orientale. L’escalade se poursuit, tantôt un navire israélien, tantôt un iranien sont touchés. La tension gagne une zone sensible, où l’Otan et l’UE ont lancé chacune une opération de sûreté maritime, contrariée par l’attitude ambiguë de la Turquie.
Ces tensions maritimes, qui n’ont pas de frontières, trouvent leur origine dans les conflits régionaux déclarés ou en suspens : hostilité envers l’Iran, guerre du Yémen, guerre en Libye et guerre en Syrie, partage des gisements sous-marins de gaz méditerranéens, rivalités avec la Turquie, refus existentiel de la prolifération nucléaire. Les coalitions pacificatrices côtoient les marines turque, israélienne et iranienne, bien équipées et capables d’actions tactiquement élaborées.
L’attitude israélienne marque cependant un tournant. Le Wall Street Journal du 11 mars 2021 (3) révèle qu’Israël a visé une douzaine de navires iraniens, susceptibles de ravitailler les factions affiliées agissant en Syrie. Depuis 2019, les Israéliens les attaquent par mines ou autres armes, très probablement avec un soutien des États-Unis, qui justifie la prudente réserve et la discrétion dont ils font preuve. Israël s’en prend directement à des objectifs dont ils révèlent avoir un lien avec les gardiens de la révolution. La marine israélienne se redéploie, après avoir reçu l’autorisation de l’Égypte, en décembre 2020, de faire transiter un sous-marin par le canal de Suez, avant de le baser à Eilat. Ainsi, Israël se contentait jusque-là d’une stratégie de supériorité militaire, la « Quality military edge », qui lui dictait d’écrêter la puissance de ses voisins. Aujourd’hui, l’État hébreu s’expose en s’immisçant directement dans la rivalité entre les puissances régionales : perse, arabe et ottomane.
En mer, chacun se prépare. Les grandes puissances sont installées à Bahreïn, Djibouti, Abu Dhabi. Les nouveaux venus cherchent une place, sur la mer Rouge au Soudan pour les Turcs et les Russes, sur le golfe d’Aden dans l’île de Socotra pour les Israéliens, grâce aux accords d’Abraham avec les Émirats arabes unis. Tout se met en place pour frapper au bon endroit, en toute discrétion, et pour se lancer dans des actions sous-marines, intrinsèquement de haute intensité.
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Il ne fait pas bon naviguer dans ces mers et océans pour ceux qui sont liés aux belligérants. Échappent momentanément à cette instabilité le canal de Suez et les détroits. Seul Israël aurait intérêt à fermer Ormuz, l’Iran s’y préparant en développant, avec l’aide de la Chine, l’hinterland de Chabahar (4), un port alternatif à Bandar Abbas, construit avec l’Inde à l’extérieur du golfe Persique. Le Bab-el-Mandeb restera calme tant que sa rive orientale yéménite sera contrôlée par le Conseil de transition du sud avec le soutien des Émirats. Ailleurs, les mers qui permettent d’y accéder sont des zones à risque pour le quart du trafic mondial de conteneurs et les 5 millions de barils qui les empruntent chaque jour. Si les coalitions stabilisent le golfe Persique, à l’Ouest de la péninsule les marines des pays riverains de la mer Rouge ne sont pas en mesure de les imiter, et laissent la voie libre aux grandes puissances maritimes, qui s’en disputeraient la surveillance si la tension montait d’un cran.
Le danger viendra de la contagion entre les différents conflits, qui risque d’entraîner la confusion et de déclencher des actions navales incontrôlées dans toute cette zone où les cartes sont sans cesse rebattues, comme le montre le rapprochement entre les Saoudiens et les Grecs sur le dos des Turcs, ou encore les discussions entre ces mêmes Turcs avec les Égyptiens. ♦
(1) Navias Martin S., « The First Tanker War », History Today, août 2019 (www.historytoday.com/).
(2) « L’Arabie saoudite de nouveau visée par des attaques », Le Figaro, 7 mars 2021 (www.lefigaro.fr/).
(3) Faucon Benoit, Lubold Gordon, Schwartz Felicia, « Israeli Strikes Target Iranian Oil Bound for Syria », Wall Street Journal, 11 mars 2021 (www.wsj.com/).
(4) Metral-Charvet Nicolas, « Les enjeux du port de Chabahar », Geolinks, 18 janvier 2016 (www.geolinks.fr/).