Le Président de transition, le colonel Assimi Goïta, est devenu l’homme fort d’un Mali faible. Son deuxième coup de force, écartant des représentants civils, a accéléré la volonté française de revoir l’opération Barkhane. Son profil de militaire compétent et sérieux n’empêche pas une inquiétude quant au devenir des institutions du pays mises à mal après des années de lutte improductive et de gouvernance peu efficace. Il va falloir qu’il retrouve la confiance d’une opinion publique malienne désabusée et de partenaires internationaux dont la France échaudés par l’incapacité du pays à proposer un projet politique crédible et soutenable.
L’action déterminée du colonel Goïta : plus Sankara que Poutine (T 1289)
Colonel Goïta (Mali)
The transitional President, Colonel Assimi Goïta, has become the strongman of a weak Mali. His second coup, dismissing civilian representatives, accelerated the French desire to review Operation Barkhane. His profile as a competent and serious soldier does not prevent concern about the future of the country's institutions, which have been undermined after years of unproductive struggle and ineffective governance. He will have to regain the confidence of a disillusioned Malian public opinion and of international partners, including France, scalded by the country's inability to propose a credible and sustainable political project.
Note préliminaire : La France par la voix de son président de la République Emmanuel Macron a décidé le 10 juin 2021 de changer le cadre de son intervention au Mali et de mettre fin à l’opération extérieure Barkhane qui avait été lancée en 2014 pour prolonger et amplifier l’intervention déclenchée en urgence en janvier 2013 (opération Serval). Cette décision unilatérale a été prise rapidement après la suspension, le 4 juin, des opérations conjointes avec les forces maliennes. On s’inquiétait alors de la déposition brutale, le 25 mai, du Président et du Premier ministre de la transition par le vice-président, le colonel Assimi Goïta, instigateur du coup d’État d’août 2020 qui avait chassé le président Ibrahim Boubacar Keïta. Chef des forces spéciales du Mali, l’homme fort de ce pays a justifié son coup de force par le non-respect de la Charte de transition par les autorités politiques nommées pour conduire le pays à des élections générales en février 2022. En tranchant ainsi nettement le nœud gordien malien, la France rebat les cartes militaires du Sahel et veut engager les Européens dans la sécurité régionale de l’Afrique de l’Ouest.
La Vigie qui observe de près les réalités maliennes depuis 2014 était invitée à Bamako au 21e forum annuel qu’organise « le Président » Abdullah Coulibaly à présenter ses vues sur la sécurité au Sahel. Le Professeur Kader Abderrahim, directeur de recherche, y a passé une semaine.
C’est pendant le Forum qu’a eu lieu « le coup de force » du 25 mai qui a accéléré et cristallisé le changement de posture envisagé par la France depuis quelque temps. Quel est le sens de la démarche assurée du colonel Goïta qui défie la communauté internationale, la France et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et quelles sont les dialectiques en jeu dans ce second coup de force ? Qui est l’imam Dicko, souvent présenté comme le véritable homme fort et l’arbitre politique du pays ? Quels sont les enjeux et les perspectives de ce changement de cadre de la sécurité du Sahel ?
La Vigie a établi un dossier présentant trois tribunes libres pour présenter son témoignage et ses réflexions sur ce sujet complexe. Il est co-publié par la Revue Défense Nationale.
• Tribune 1 – L’action déterminée du colonel Goïta : plus Sankara que Poutine
• Tribune 2 – La dialectique de l’Imam Dicko : de la chaire au pouvoir
• Tribune 3 – Analyse initiale et perspectives post-Barkhane
La Vigie et Kader Abderrahim
Un profil prétorien affirmé
Le nouveau Président par intérim du Mali, le colonel Assimi Goïta, surnommé « Asso » par ses proches, a 38 ans, est marié et père de trois enfants.
Il est décrit comme un homme « rigoureux, tenace, adepte des défis et apte au commandement ». Selon les militaires français qui l’ont côtoyé et le décrivent en des termes analogues, c’est « un homme droit, un pro qui ne laisse rien passer, déterminé et peu disert ». Fils d’un officier de l’armée de terre, il fréquente le Prytanée militaire de Kati et le lycée de la Défense nationale.
Passé par l’École militaire de Koulikoro, spécialité armes blindées et cavalerie, il est affecté dans le Nord du Mali à partir de 2002 : à Gao, Kidal, Ménaka, Tessalit et Tombouctou, il lutte notamment contre les Groupes armés terroristes (GAT) qui sont opportunément repoussés à la périphérie de l’Algérie par l’Armée nationale populaire (ANP) algérienne. En 2014, il rejoint les forces spéciales où il coordonne les opérations spéciales des Forces armées maliennes, les FAMAS. En 2018, nommé à la tête des Forces spéciales, il gagne le respect de ses hommes et de l’État-major pour ses capacités de commandement et sa vision de la lutte contre les GAT, qui s’enracinent par le biais d’alliances et d’intérêts commerciaux.
Un défi aux groupes armés terroristes et à la communauté internationale
Le 24 août 2020, il sort de sa discrétion pour poser un acte politique fondamental en participant activement avec ses proches à un putsch militaire et à la déposition pacifique du président Ibrahim Boubacar Keita (IBK), après plusieurs semaines de manifestations publiques. Il est adopté par le « Comité national pour le salut patriotique » (CNSP) qui fait de lui le proconsul du Mali, chef de l’État de facto, un rôle auquel il n’est pas préparé. On ignore alors le projet qu’il souhaite mettre en œuvre, pour permettre à son pays de retrouver sa souveraineté, sa stabilité et entreprendre son développement. Très vite, le nouvel homme fort du pays mesure les multiples difficultés de sa charge et se heurte aux instances régionales, Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et Union africaine (UA), et à la condamnation de son « coup d’État » par la France, des interlocuteurs pointilleux dont ses fonctions opérationnelles le préservaient jusque-là !
Sous pression internationale, une structure de transition politique s’installe vite en septembre 2020 dont il devient le vice-président mais conserve de facto une influence prépondérante sur le CNSP. Une stricte charte de la Transition définit les règles du jeu politique avec le président de la République (PR) Bah N’Daw (un général en retraite) et le Premier ministre (PM) Moctar Ouane placés à la tête de l’État pour conduire civilement le pays aux élections générales en février 2022. Le 24 mai 2021, Assimi Goïta sort à nouveau de l’ombre et dépose les deux têtes de l’exécutif. Depuis lors, il assume officiellement à nouveau le pouvoir comme chef de l’État malien. C’est l’annonce sans concertation par le PM d’un remaniement du gouvernement excluant certains hiérarques militaires et la volonté du PR d’assumer la totalité de ses prérogatives qui déclenchent la vive réaction des putschistes après un imbroglio qui se déroule en partie à Paris. Le PR est contraint à la démission ainsi que son PM. S’ensuit une série d’embardées politico-diplomatiques qui vont conduire à la condamnation par la Cédéao, à l’isolement du CNSP et la fin de la mission Barkhane décrétée par le président Macron. Les événements s’emballent, les appétits s’aiguisent et Assimi Goïta, fidèle à sa réputation de placidité, déroule son plan.
Toutefois les questions se bousculent : les FAMAS pourront-elles faire face aux entreprises criminelles et terroristes ? La junte saura-t-elle convaincre les Maliens d’un sursaut collectif pour chasser les intrus et de la nécessité d’une coopération régionale étendue pour stabiliser la région sahélienne ? D’autres acteurs seront-ils sollicités ? Le CNSP tiendra-t-il le calendrier annoncé avec des élections fin février 2022 ?
Un engagement malien et africain sans concession
Les bouleversements qui se succèdent au Mali, ce pays pivot de la sécurité du Sahel, conduisent le « parrain tutélaire » de l’Afrique à revoir sa pratique politique habituelle et sa diplomatie. En plus des pressions islamistes et terroristes déjà importées par l’État islamique (EI), de nouveaux acteurs exogènes (Russie, Turquie) aux comportements affairistes pointent dans la zone d’influence habituelle de la France. Ils lui imposent un renouvellement de sa relation à l’Afrique pour tenir compte des revendications des peuples africains et des nouveaux rapports de force internationaux.
Assimi Goïta est un admirateur de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara (1) et du ghanéen Jerry Rawlings (2), et il a récemment rencontré ce dernier afin de s’assurer que ses idées sont conformes aux attentes de la nouvelle génération d’Africains. C’est sans doute d’abord un nationaliste qui veut redonner en priorité à ses compatriotes les clés de son avenir, c’est-à-dire la sécurité, un domaine dont il était directement acteur et que les forces extérieures, et notamment Barkhane, avec leurs multiples biais tardaient à lui procurer. Il a donc pris la main de façon déterminée.
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Jusqu’ici le tout nouveau Président de la Transition s’est montré plutôt habile et humble : recherchant des soutiens internes, notamment lorsqu’il tend la main à l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), il y a la volonté de rassembler le Mali autour de sa personne avant de dérouler son projet. Dans ce contexte heurté et incertain, Assimi Goïta va devoir impérativement rétablir la confiance avec tous ses compatriotes, avant de tenter de dissiper la défiance des partenaires traditionnels et des voisins du Mali. Au-delà de ses aspects opérationnels et de ses imprudences politiques, le coup d’État du colonel Goïta a nettement refroidi les relations avec la France et l’Europe.
14 juin 2021
(1) Assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou, le capitaine Sankara était un homme d'État anti-impérialiste, révolutionnaire, socialiste, panafricaniste et tiers-mondiste burkinabé, chef de l’État de la République de Haute-Volta de 1983 à 1987.
(2) Jerry Rawlings, (1947-2020) a été président du Ghana en 1979 puis de 1981 à 2001.