La récente annonce d’un accord de coopération militaire entre la Russie et l’Arabie saoudite s’inscrit dans une approche relativement pragmatique de la part de Riyad, se rendant compte du rôle croissant de Moscou dans la région et donc du besoin d’établir des liens. C’est aussi un message envoyé à Washington, traditionnel pourvoyeur de sécurité depuis le Pacte du Quincy (14 février 1945), mais dont les critiques récentes contre le régime saoudien sont mal perçues par l’entourage de Mohammed ben Salman. Dans un environnement en pleine ébullition, dont la chute de Kaboul et l’intransigeance iranienne, l’Arabie saoudite cherche à élargir ses partenariats, gage de stabilité indispensable pour que le Royaume puisse poursuivre sa mue économique, voire sociétale pour affronter les défis actuels.
Rapprochement Arabie saoudite-Russie : moyen de pression sur les États-Unis de Biden ? (T 1308)
Le prince Khaled ben Salman et le colonel-général Alexander Fomin, respectivement vice-ministre de la Défense saoudien et russe, signant un accord de coopération militaire le 23 août 2021 (photo : Twitter @kbsalsaud)
The recent announcement of a military cooperation agreement between Russia and Saudi Arabia is part of a relatively pragmatic approach on the part of Riyadh, realizing the growing role of Moscow in the region and therefore the need to establish links. It is also a message sent to Washington, a traditional security provider since the Quincy Pact (February 14, 1945), but whose recent criticisms of the Saudi regime are poorly received by those around Mohammed bin Salman. In an environment in turmoil, including the fall of Kabul and Iranian intransigence, Saudi Arabia is seeking to expand its partnerships, an essential guarantee of stability so that the Kingdom can continue its economic and even societal transformation to face current challenges.
Le vice-ministre saoudien de la Défense – le prince Khaled ben Salman, fils du Roi et frère du prince héritier Mohammed ben Salman (MBS) – a annoncé le 23 août 2021 sur Twitter qu’il avait signé avec son homologue russe, Alexander Fomin, un accord de coopération militaire, à l’occasion du Forum « Armée 2021 » tenu à Moscou. Il a ajouté qu’il avait également rencontré le ministre russe de la Défense, Sergeï Choïgu, afin « d’explorer les moyens de renforcer la coopération militaire et de défense » et qu’ils avaient discuté de « leur effort commun pour préserver la stabilité et la sécurité de la région ». Les détails de l’accord signé ne sont pas connus, mais les termes employés par les deux ministres laissent entendre qu’il s’agit à ce stade d’une sorte de lettre d’intention.
La question se pose naturellement si des négociations de vente d’armement sont, d’ores et déjà, engagées. Je rappelle qu’en juin 2017 la Russie avait annoncé qu’elle avait commencé à exporter de l’équipement militaire à l’Arabie saoudite – sans plus de précision – et qu’en octobre de la même année, Rosoboronexport avait déclaré être parvenu à un accord pour la fourniture de missiles S-400, de systèmes de missiles antichars Kornet-EM, de lance-flammes TOS-IA, de lanceurs de grenades AGS-30 et de fusils Kalashnikov AK-103.
Le ministre de la Défense russe s’est contenté pour sa part de déclarer : « Nous avons pour objectif un développement progressif de la coopération militaire dans tous les domaines d’intérêt commun ». Il a ajouté que les systèmes d’armes russes avaient prouvé leur efficacité en Syrie…
Le fait que l’Arabie saoudite ait signé un tel accord de coopération militaire avec la Russie est en soi significatif, quand on sait que, traditionnellement, le Royaume s’appuie sur l’assistance américaine et occidentale pour sa sécurité. Cet accord intervient en effet au moment où les États-Unis se désengagent d’Afghanistan dans les conditions que l’on sait, donnant à l’Arabie le sentiment de ne plus pouvoir compter totalement sur Washington. En outre les relations de MBS avec l’Administration Biden – critique de plusieurs aspects de sa politique – n’ont plus la même qualité qu’avec l’Administration Trump. L’accord avec la Russie peut donc être interprété comme un signal à l’Administration américaine.
Certes, les Saoudiens sont bien conscients que Moscou ne constitue pas une alternative à Washington comme garantie de sa sécurité ; mais Riyad prend en compte le nouveau rôle régional de la Russie – en Syrie et comme partenaire de l’Iran – en ouvrant ses options. L’annonce d’exercices navals conjoints entre la Chine, la Russie et l’Iran dans le Golfe ne peut qu’inciter l’Arabie à ménager Moscou.
Il est aussi clair que, ce faisant, Riyad espère amener Washington à être moins critique à son égard, quand on sait que les entreprises américaines d’armement n’entendent pas laisser échapper au profit de Moscou une part de leur juteux marché saoudien.
Sauf détérioration importante de la relation américano-saoudienne, il est donc peu probable que les Saoudiens acquièrent des missiles S-400, ce que l’on sait être une ligne rouge pour Washington. Mais la coopération militaire saoudo-russe pourrait se développer progressivement, surtout si Riyad a le sentiment que l’Administration Biden poursuit le désengagement américain de la région au profit d’autres zones jugées plus stratégiques. ♦