Pendant des décennies, la conquête des fonds marins relevait davantage de la recherche scientifique ou de l’exploit technologique. Or, depuis quelques années, les données ont changé avec la multiplication des usages avec notamment les câbles marins par où transite l’essentiel du trafic Internet. Certains États ont augmenté leurs moyens d’investigation, voire d’espionnage avec des techniques agressives. Cela signifie d’une part, le besoin de mieux protéger ces infrastructures et d'autre part, de contrer les compétiteurs. La France a récemment décidé d’augmenter ses capacités, bénéficiant d’une expertise importante tant de la part de la Marine nationale que d’industriels performants développant des drones sous-marins et des capteurs capables de détecter les menaces.
La guerre des fonds marins : quand les abysses font surface (T 1324)
Le bâtiment hydrographique et océanique Beautemps-Beaupré à Brest en 2012 (© Ph. Saget)
For decades, conquering the seabed was more a matter of scientific research or technological feat. However, in recent years, data has changed with the proliferation of uses, in particular marine cables through which most Internet traffic passes. Some States have increased their means of investigation, even espionage with aggressive techniques. This means on the one hand, the need to better protect these infrastructures and on the other hand, to counter competitors. France recently decided to increase its capabilities, benefiting from significant expertise both from the French Navy and from high-performance manufacturers developing underwater drones and sensors capable of detecting threats.
Note préliminaire : Cet article a été préalablement publié par l’association Sciences Po Défense & Stratégie (SPDS), le 30 août 2021 (https://spds.fr/2021/08/30/la-guerre-des-fonds-marins-quand-les-abysses-font-surface/).
Repéré au large de l’Irlande le 18 août 2021, le navire « océanographique » de la marine russe Yantar a passé de longues heures à inspecter les fonds marins de cette zone. Sa curieuse trajectoire suit parfaitement celle des câbles sous-marins de télécommunications Celtic Norse et AEConnect-1 qui relient respectivement l’Irlande à l’Écosse et aux États-Unis (1). Régulièrement aperçu naviguant à proximité de câbles numériques sous-marins, le Yantar attire de plus en plus l’attention des armées occidentales qui s’interrogent sur son comportement suspect et ses véritables intentions.
Le 14 juillet 2021, à l’occasion de la fête nationale française, Emmanuel Macron déclarait que les armées avaient « vu de nouveaux espaces de conflictualité apparaître » (2). Ceux-ci s’étendent désormais aux domaines cyber et informationnel, ainsi qu’aux espaces exoatmosphériques et aux fonds marins (3). Si le cyber, l’information et l’Espace sont des champs de plus en plus reconnus et inclus dans la vision stratégique française de sécurité et de défense, les abysses restent un milieu méconnu, où se joue pourtant une sourde compétition entre puissances. Les inflexions stratégiques de l’année 2021 ont marqué un tournant dans la prise en compte de ce milieu. La notion de « guerre des fonds marins » (Seabed Warfare) a fait son apparition : l’Actualisation stratégique relève ainsi que « les fonds marins deviennent de plus en plus un terrain de rapports de force » (4). De même, la Marine nationale, dans son plan stratégique Mercator Accélération 2021, précise que « la maîtrise des fonds marins constitue désormais un domaine prioritaire » (5). En mai 2021, la ministre des Armées, Florence Parly, soulignait l’importance d’« investir dans ce nouveau domaine que sont les grands fonds marins, les abysses » (6). Régulés par le droit international, les fonds marins comprennent les plateaux continentaux, soit les sols et sous-sols des Zones économiques exclusives (ZEE) ainsi que les sols et sous-sols au-delà des ZEE, considérés comme des fonds marins internationaux « patrimoine commun de l’humanité » (7). En quoi ces espaces sans frontières visibles représentent-ils un milieu de conflictualité à considérer pour les armées ?
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