Les difficiles choix stratégiques de l’Arabie saoudite (T 1339)
(© Regional Rapport)
Une nouvelle campagne de dénigrement du prince héritier d’Arabie saoudite est en cours dans les médias anglo-saxons, suite aux accusations portées par la famille Jabri (le chef des services de renseignement de l’ancien prince héritier Mohammed ben Nayef).
Les commentateurs soulignent que le prince Mohammed ben Salmane (MBS) est aujourd’hui confronté à des décisions difficiles en raison des faits suivants :
Il a clarifié – à son profit – la question sensible de la succession dynastique, bien qu’elle soit contestée au sein de la famille régnante. De même, il a réduit l’influence des milieux religieux en limitant le rôle de la police religieuse, en accordant aux femmes le droit de conduire, en légalisant les cinémas, en supprimant l’interdiction de la mixité dans les lieux publics et en lançant des programmes touristiques et de loisirs. Ces avancées paraissent irréversibles.
Il a également fait rêver la jeunesse saoudienne, en lui promettant des emplois dans plusieurs grands projets (Qiddiya, Diriya, Green Park, Red Sea, Neom…), qui ont d’ores et déjà démarré ; mais il faudra du temps pour créer les infrastructures nécessaires et surtout former une population habituée à l’État-Providence. La politique de saoudisation des emplois n’est, en effet, pas facile à mettre en œuvre et, malgré le départ de centaines de milliers d’expatriés depuis 2017, le secteur privé n’est pas en mesure actuellement d’absorber tous les jeunes saoudiens demandeurs d’emplois. En outre, la réalisation de la réforme économique « Vision 2030 » est tributaire, dans les faits, – pour le financement du fonds souverain PIF qui est devenu le moteur de l’économie saoudienne – d’un marché de l’énergie instable, malgré la coopération avec la Russie dans le domaine pétrolier et de l’expectative persistante des milieux d’affaires saoudiens devant la méthode « radicale » de lutte contre la corruption du prince héritier.
La guerre au Yémen est extrêmement coûteuse en termes de finance, mais aussi pour image du royaume. En outre, la situation sur le terrain n’est pas favorable et la chute éventuelle de la ville de Marib porterait atteinte à la crédibilité de MBS. Ce dernier a, grâce à une médiation irakienne, engagé des pourparlers avec l’Iran, portant notamment sur le Yémen, mais ils ne paraissent pas avoir débouché sur des résultats satisfaisants, Téhéran ne voulant pas se dessaisir, à ce stade, de ce moyen de pression sur Riyad.
La relation stratégique entre les États-Unis et l’Arabie saoudite demeure active, comme le montre l’important contrat d’armement signé très récemment, mais l’administration Biden et les milieux démocrates au Congrès sont, après l’affaire Khashoggi, toujours réservés sur la personne de MBS – le président Biden a refusé de le recevoir à Glasgow, en marge de la COP 26. Dans ces conditions, les Saoudiens – inquiets sur la fiabilité du soutien américain – regardent désormais également du côté de Moscou et de Pékin pour assurer éventuellement leurs besoins militaires, mais aussi civils.
Le royaume s’est aussi rapproché officieusement d’Israël face à la menace iranienne, même si une normalisation des relations n’est pas d’actualité. Riyad a repris également des contacts avec le régime de Damas et tente de faire pression sur le Hezbollah au Liban, avec pour objectif commun de réduire l’influence iranienne dans ces deux pays.
La difficulté des choix à faire par les autorités saoudiennes ne doit cependant pas masquer un certain nombre d’atouts dont dispose le royaume, qui justifient l’intérêt de notre partenariat stratégique avec lui.
Outre son influence politique et religieuse, ses réserves pétrolières et financières et son potentiel minier et touristique, l’Arabie saoudite dispose d’un Produit national brut (PNB) de 1,900 milliard de dollars, le plus important de toute la région Afrique du Nord et Moyen-Orient (ANMO). Le revenu par habitant, 56 000 $, est le 12e dans le monde ; l’indice de développement humain est élevé, 0,854, le 40e sur les 189 pays évalués ; l’inflation y est modérée, comme l’indice d’inégalité des revenus (Gini) avec un coefficient de 45,9.
La bonne gestion de la Covid-19 (62,4 % de vaccinés) et la hausse des cours du brut, au-delà des 80 $ le baril, ont contribué à une croissance de 5,8 % de l’économie saoudienne au 3e trimestre de cette année. Elle devrait être de 7,3 % en 2022. Par ailleurs, les privatisations vont reprendre prochainement.
Les moyens du PIF vont donc s’accroître en conséquence, permettant le financement des grands projets de la « Vision 2030 », notamment dans les secteurs du tourisme et des loisirs. Le lancement du projet touristique RIG (sur des plateformes en mer) et du Grand Prix de Formule 1 à Djeddah en décembre, en sont les dernières manifestations. De même, la création d’une nouvelle compagnie aérienne, visant 250 destinations, reflète l’ambition de MBS de mettre en œuvre ses grands projets.
Dans cette perspective optimiste, on ne peut cependant pas ignorer les incertitudes sur la tenue, à terme, des cours pétroliers et le fait que la stabilité régionale demeure un point d’interrogation. Ces deux éléments expliquent un certain attentisme des investisseurs internationaux, que Riyad cherche ardemment à attirer sur ses grands projets. Voilà pourquoi, malgré le dynamisme et le volontarisme des autorités saoudiennes, certains choix stratégiques seront difficiles à faire dans les mois à venir. ♦