Il y a 80 ans, les États-Unis entraient dans la Seconde Guerre mondiale après l'attaque de la base de Pearl Harbor par les Japonais, le 7 décembre 1941. À cette occasion, Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la RDN, revient, dans cette tribune, sur les leçons des débuts du conflit mondial apprises par les Japonais, qui leur ont permis, quelques mois plus tard, de planifier l'attaque de Pearl Harbor. Des leçons historiques et militaires, en genèse d'un événement qui a changé l'histoire des États-Unis et celle du monde.
Il y a 80 ans – Pearl Harbor : l’entrée en guerre des États-Unis (T 1344)
Attaque aérienne de Pearl Harbor (© Wikicommons / Public domain)
80 years ago, the United States entered the Second World War after the attack on the base of Pearl Harbor by the Japanese on December 7, 1941. On this occasion, Jérôme Pellistrandi, editor of the RDN, returns , in this gallery, on the lessons of the beginnings of the world war learned by the Japanese, which enabled them, a few months later, to plan the attack on Pearl Harbor. Historical and military lessons, in the genesis of an event that changed the history of the United States and that of the world.
Il y a 80 ans, le dimanche 7 décembre 1941, les Japonais attaquaient, par les airs, la base navale et les aérodromes de Pearl Harbor, au cœur de l’archipel paradisiaque des îles Hawaï. Ce raid, mené sur plus de 6 000 kilomètres depuis le Japon, entraîna l’entrée en guerre des États-Unis, en apportant une légitimité diplomatique et politique à la riposte américaine et en modifiant le rapport des forces dans le conflit, commencé le 1er septembre 1939, avec l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie. La date du 7 décembre – a day of infamy – reste à jamais gravé dans l’histoire et marque une bascule stratégique, qui s’acheva le 2 septembre 1945 dans la baie de Tokyo, avec la capitulation du Japon.
Le 7 décembre 1941 fait partie des dates traumatiques qui jalonnent l’histoire contemporaine des États-Unis, et donc de facto du monde. Il faut y rajouter le 22 novembre 1963, avec l’assassinat de John F. Kennedy à Dallas, ainsi que le 11 septembre 2001, l’attentat du World Trade Center à New-York. À chaque fois, l’histoire bascule avec un « Day Before » et un « Day After ».
Dans le cas de Pearl Harbor, cela obligea les États-Unis à entrer dans la Seconde Guerre mondiale, alors même qu’une grande partie de l’opinion publique était jusqu’alors hostile à rejoindre le Royaume-Uni et l’URSS dans le combat contre les pays de l’Axe. Certes, Roosevelt avait peu à peu fait monter en puissance le dispositif militaire notamment dans l’Atlantique pour protéger les convois approvisionnant Londres, mais il fallait un événement brutal faisant basculer tant le Sénat que les citoyens américains. Ce fut Pearl Harbor. L’un des paradoxes de cet événement porte sur l’emploi des porte-avions. Trop souvent, l’opération japonaise est présentée comme sans précédent et venant démontrer de façon spectaculaire la supériorité de ce type de navire sur les « capital ships » que constituaient les cuirassés, jusqu’alors épine dorsale des grandes marines. De fait, chacun a en mémoire les photos des cuirassés en train de brûler puis de sombrer. Certes, 2 de ces bâtiments majeurs furent totalement perdus, tandis que près de 200 carcasses d’avions parsemaient les parkings des pistes d’aviation. Les pertes subies – 2 403 morts et 1 178 blessés – furent importantes, mais les Américains connurent par la suite des journées beaucoup plus meurtrières comme le 6 juin 1944 en Normandie. Par chance, l’absence des porte-avions américains lors de l’attaque permit aux États-Unis de préserver l’outil qui allait dominer les opérations dans le Pacifique.
Néanmoins, il est intéressant de voir que le principe tactique retenu par Tokyo s’appuie sur des actions navales conduites principalement par les Britanniques dès 1940 et dont les Japonais surent tirer les enseignements qu’ils mirent en œuvre le 7 décembre 1941. Ainsi, les Britanniques réussirent à neutraliser, les 11 et 12 novembre 1940, une grande partie de la Regia Marina de Mussolini avec une attaque lancée contre le port de Tarente. Cette bataille, l’opération Judgement mit en œuvre notamment le porte-avions Illustrious avec ses avions biplans Swordfish, qui lancèrent leurs torpilles contre la flotte italienne. Le Swordfish, mis en service en 1936, était déjà un avion démodé, mais sa robustesse et son efficacité firent qu’il fut produit jusqu’en mai 1945. Cette réussite des Britanniques fit l’objet d’une visite, en mai 1941, de l’attaché naval japonais à Berlin qui vint à Tarente étudier la manœuvre. Tous les enseignements furent alors envoyés à Tokyo et contribuèrent à la préparation de l’attaque contre Pearl Harbor par l’amiral Yamamoto. Pour Rome, la neutralisation partielle de sa flotte fit que la Royal Navy put conserver sa suprématie navale en Méditerranée, tandis que les Italiens se limitèrent dès lors à des actions restreintes, essentiellement vers la Libye. Autre leçon observée par les Japonais, la destruction du cuirassé Bismarck, le 27 mai 1941. Certes, l’hallali final vint des cuirassés et croiseurs britanniques après une traque ayant vu la perte quasi instantanée du croiseur cuirassé Hood, touché par les canons du Bismarck. Mais cette fin fut obtenue à la suite des frappes conduites par les avions torpilleurs Swordfish lancés depuis le porte-avions Ark Royal. En endommageant les apparaux du navire amiral de la Kriegsmarine, en le ralentissant et en le privant d’une couverture aérienne venant de la Bretagne occupée, l’aéronavale embarquée a directement contribué à paralyser la flotte, pourtant très moderne, du Troisième Reich, Berlin hésitant à faire sortir ses cuirassés et privilégiant alors les U-Boote, les sous-marins.
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Les Japonais ont su analyser ces opérations et ont alors raisonné « tactiquement » pour espérer frapper durablement les États-Unis. Le 7 décembre 1941 a été spectaculaire et dramatiquement vécu par les Américains, mais a eu comme conséquence la mise en route de la machine industrielle des États-Unis dans des proportions jamais vues et non perçues, ni imaginées, par Tokyo. Si l’Empire du Soleil Levant eut à se battre sur un seul front – certes gigantesque, au regard de l’océan Pacifique – Washington dut répartir ses efforts sur deux théâtres majeurs : l’Atlantique pour libérer l’Europe et le Pacifique pour contrer l’expansionnisme nippon. Une réussite tactique pour le Japon mais, à terme, un échec stratégique. Il n’en demeure pas moins que cette date resta fondatrice pour les États-Unis et constitue une des bases ayant permis à Washington de devenir la puissance militaire qu’ils sont toujours en 2021, 80 ans après Pearl Harbor. ♦