Le 15 mars, le Wall Street Journal révélait que l’Arabie saoudite serait prête à accepter des paiements en Yuans plutôt qu’en dollars américains pour ses exportations pétrolières. À la suite de cette annonce, la monnaie chinoise a gagné 0,4 % en valeur face au dollar, dans ce qui sonne comme un nouveau pied de nez saoudien à l’administration Biden. Analyse de l'ambassadeur Besancenot, spécialiste du Moyen-Orient.
Vers le paiement des exportations d’hydrocarbures saoudiennes en Yuans chinois ? (T 1376)
(© Pixabay)
C’est une nouvelle pique lancée par Riyad à Washington : le 15 mars, le Wall Street Journal révélait que l’Arabie saoudite serait prête à accepter des paiements en Yuans plutôt qu’en dollars américains pour ses exportations pétrolières. À la suite de cette annonce, la monnaie chinoise a gagné 0,4 % en valeur face au dollar, dans ce qui sonne comme un nouveau pied de nez saoudien à l’administration Biden.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, le locataire de la Maison-Blanche tente en effet de faire pression sur ses alliés traditionnels exportateurs d’hydrocarbures pour faire tomber le cours de ces derniers, qui ont atteint des sommets après l’invasion russe. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, s’est d’ailleurs rendu aux Émirats arabes unis (EAU) et en Arabie saoudite pour appuyer les efforts américains en ce sens.
Cependant, le royaume a, jusque-là, refusé d’augmenter sa production de pétrole, et son rapprochement avec Pékin prend aujourd’hui une portée d’autant plus particulière dans le contexte de relations tendues avec son allié stratégique américain (1).
Si la nouvelle a fait grand bruit, ce n’est cependant pas la première fois que l’Arabie saoudite brandit la menace d’accepter les Yuans pour ses exportations pétrolières vers la Chine, lorsque ses relations avec Washington sont tendues. Cependant, depuis quelques mois, les Saoudiens en parlent de plus en plus. C’est donc une menace réelle, qui sera comprise comme telle par les États-Unis. Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, devrait d’ailleurs se rendre en Arabie saoudite à la fin du mois dans le cadre d’une tournée régionale – incluant également les EAU, Israël et la Cisjordanie – pour aborder tant le nucléaire iranien que la stabilité des marchés de l’énergie.
On sait que, depuis son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden refuse de s’adresser directement au prince héritier saoudien. Or, si ce dernier a patiemment attendu – après l’affaire Khashoggi – une réhabilitation que le président Macron a été le premier dirigeant occidental à entamer lors de sa visite officielle à Djeddah en décembre dernier, il se sent désormais en position de force pour négocier une reconsidération de son statut par l’administration américaine. Avec des prix du baril de pétrole qui ont frôlé les 140 dollars le 6 mars dernier, Riyad garde la haute main sur les cours de l’énergie grâce à son importante capacité de production non utilisée, mais aussi à sa coopération avec Moscou dans le cadre de l’OPEP+.
Par ailleurs, Washington se montre pressé de conclure les négociations sur le nucléaire iranien, ce qui permettrait le cas échéant à la production de pétrole et de gaz iraniens de réintégrer les marchés mondiaux, et contribuerait donc à faire baisser les prix des hydrocarbures grâce à une augmentation de l’offre. Or, Riyad craint que ces développements renforcent la position de la République islamique dans la région, en lui permettant notamment de financer ses supplétifs. Au regard des bonnes relations existant entre la Chine et l’Iran, le prince héritier saoudien pourrait ainsi essayer de capitaliser sur la relation amicale qu’il entretient de son côté avec le dirigeant chinois pour inciter ce dernier à tempérer les ambitions iraniennes.
Naturellement, les États-Unis restent l’allié stratégique privilégié de l’Arabie saoudite et son principal fournisseur d’armement ; mais le royaume a étendu sa coopération avec la Chine, y compris dans le domaine de l’armement. Aujourd’hui, Pékin est le principal partenaire commercial de Riyad et les Yuans récoltés grâce à la vente de pétrole pourraient servir à financer les importations chinoises ou encore contribuer à diversifier les réserves saoudiennes en devises étrangères.
Certes, une telle décision aurait un impact politique énorme, son impact financier serait néanmoins, dans un premier temps, très limité, car plus de 80 % des transactions mondiales se font actuellement par l’intermédiaire du dollar américain comme valeur de référence. Les conséquences pourraient toutefois être bien plus importantes si un effet de réseau apparaissait dans le cadre duquel plusieurs pays acceptaient les paiements avec la monnaie chinoise, la rendant dès lors inévitable. Si Riyad acceptait les paiements pour ses hydrocarbures en Yuans, l’effet de propagation pourrait être rapide : la Russie ferait de même, l’Iran certainement, l’Irak pourrait suivre… À terme, cela aurait des conséquences énormes. Ainsi, alors que le riyal saoudien est actuellement arrimé au dollar américain, Riyad pourrait également faire le choix – à l’instar du Koweït – de le rattacher à un panier de devises incluant le Yuan.
Aujourd’hui, nous n’en sommes pas là, mais dans l’évolution rapide des équilibres mondiaux et à un moment où les puissances n’hésitent plus à défendre sans vergogne leurs intérêts nationaux, la perspective d’un mouvement saoudien ne peut plus être écartée d’un revers de main. ♦
(1) Besancenot Bertrand, « Rapprochement entre l’Arabie saoudite et la Chine », RDN, 24 mars 2022.