Les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962 entre la France et l’Algérie, ont ouvert la voie à un long feuilleton de désespérance qui a marqué les relations difficiles entre les deux pays. Il s’agit maintenant de transformer cette mémoire lourde en mémoire apaisée. Michel Klen revient sur 60 ans de relations franco-algériennes, axant son propos sur la difficile question mémorielle.
La question mémorielle franco-algérienne (T 1377)
(© Oleksii Liskonih / iStock)
Les accords d’Évian signés le 18 mars 1962 entre la France et l’Algérie ont ouvert la voie à un long feuilleton de désespérance qui a marqué les relations difficiles entre les deux pays. Censés apporter une période de paix puis de dialogue, ils ont été suivis malheureusement d’une ère de violence effroyable : luttes sanglantes entre factions algériennes antagonistes, attentats de l’OAS (Organisation armée secrète), favorable à l’Algérie française, massacres d’Européens et de Harkis. Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la réconciliation entre les deux parties ne s’est toujours pas concrétisée en raison des exigences d’Alger. Celles-ci sont jugées inacceptables par la France qui refuse d’endosser les habits mortifiants de la culpabilité. La question mémorielle qui entoure cet épisode douloureux revêt pourtant une importance capitale qui est déterminée par des causes historiques (liens forgés pendant 132 ans de colonisation) et humaines (présence massive de ressortissants algériens en métropole).
Les obstacles à la réconciliation
Les relations entre la France et l’Algérie fonctionnent sur le mode ambigu « je t’aime, moi non plus. » Elles s’apparentent à celles d’un couple qui se dispute en permanence mais qui ne veut (peut) pas divorcer. Le plus souvent les explications entre les deux pays se transforment en un dialogue de sourds. Depuis l’indépendance, le pouvoir est dirigé par le FLN (Front de libération nationale) qui a instauré un régime autoritaire dans lequel l’armée joue un rôle crucial. Pour justifier la détérioration de la situation de leur pays, patente depuis six décennies, les dirigeants algériens ont érigé la France en bouc émissaire responsable, à leurs yeux, de la dégradation économique et sociale de l’Algérie. La nation algérienne s’est ainsi construite sur une rente mémorielle pour alimenter un nationalisme exclusif fondé sur une rhétorique dirigée contre l’ancienne puissance coloniale. Cet appel à culpabiliser la France est d’ailleurs inscrit dans l’hymne national algérien Kassaman (le serment). Extraits : « Ô France le temps des palabres est révolu, […], Ô France, voici le jour venu où il te faut rendre des comptes ! Prépare-toi, voici notre réponse ! » Au vu de telles paroles menaçantes, on voit mal comment la France pourrait avoir des échanges raisonnables avec l’Algérie. En outre, pour marquer ses différends avec son ancien colonisateur, l’Algérie a toujours refusé d’intégrer l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) (1). Pourtant, les observateurs s’accordent à admettre que la France, après une fin de colonisation pathétique, a laissé à l’Algérie un pays viable et doté de solides atouts dans les domaines de l’agriculture (transformation de la région insalubre de la Mitidja en une riche plaine agricole), de l’aménagement du territoire (routes, ports, aérodromes…), de la médecine (hôpitaux, Institut Pasteur, campagnes de vaccination) et de l’industrie énergétique basée sur les hydrocarbures du Sahara qui procurent aujourd’hui plus de 90 % des recettes d’exportations de l’État algérien.
Les grands reporters Christian Chesnot et Georges Malbrunot ont très bien analysé le comportement controversé des dirigeants du FLN : « Sans capacité de projection politique et incapable de proposer un horizon de développement économique et social à son peuple, le pouvoir algérien n’a pour seul projet que de se maintenir en place, de conserver ses privilèges et de protéger son coffre-fort, tiré de la rente des hydrocarbures. Tout le reste en découle. Le pouvoir algérien a développé au fil du temps une forme de schizophrénie vis-à-vis de la France. » (2)
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