L'évolution de la guerre en Ukraine et les sanctions à l'égard de la Russie placent-elles Moscou au ban de la communauté internationale ? Dans cette tribune, l'ancien ambassadeur Denis Bauchard analyse le comportement des pays non-occidentaux, et notamment du Brésil, de la Chine et de l'Inde, ainsi que des pays africains et du Moyen-Orient, qui remet en cause l'isolement international de la Russie de Vladimir Poutine souhaité par l'Occident.
Guerre en Ukraine : Vers un isolement de la Russie ? (T 1392)
(© bakhtiarzein / Adobe Stock)
Depuis le début de la guerre en Ukraine, un certain nombre d’indicateurs révèlent un isolement de la Russie : l’importance des majorités recueillies tant au niveau du Conseil de sécurité que de l’Assemblée générale des Nations unies, l’absence de représentation étrangère lors du défilé du 9 mai à Moscou, l’ampleur de la réprobation internationale à la suite du constat des crimes de guerre commis par l’armée russe. Cependant un examen plus attentif permet de nuancer ce jugement, et de s’inquiéter de l’ambiguïté, voire de la complaisance de nombreux pays, sur tous les continents.
Des soutiens parfois inattendus
Un examen plus attentif des votes aux Nations unies fait apparaître des positions qui peuvent surprendre. Lors du vote en Conseil de sécurité du 25 février 2022, seulement 3 pays s’abstiennent, la Russie seule déposant son veto. En Assemblée générale le 2 mars, le score est massif en faveur de l’adoption de la résolution condamnant la Russie, 141 pays ont voté pour, 5 seulement ont voté contre et 35 se sont abstenus. S’agissant de la résolution du 7 avril suspendant l’adhésion de la Russie au Conseil des droits de l’homme, le score est un peu différent avec 93 voix pour, 24 contre et 58 abstentions. On peut s’étonner tout d’abord que parmi les pays qui se sont abstenus lors du vote du Conseil de sécurité, outre la Chine, on relève une démocratie comme l’Inde, et les Émirats arabes unis. Pour ce dernier, proche des États-Unis et de l’Europe, ce vote reflète le point de vue de l’ensemble des pays arabes. Parmi ceux qui ont voté contre ou se sont abstenus en Assemblée générale le 7 avril, on notera que les votes se répartissent sur tous les continents et comptent des poids lourds comme la Chine, l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie, l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Égypte, l’Éthiopie et l’Arabie saoudite.
De fait, l’embarras et l’inquiétude dominent dans ces pays qui ne se sentent pas directement concernés par cette guerre, même s’ils seront, et sont déjà, affectés par ses conséquences, notamment dans les domaines économiques et financiers, en raison de l’accélération de la hausse des prix du pétrole et des denrées agricoles. La guerre en Ukraine est considérée par beaucoup d’entre eux comme une guerre entre pays slaves à l’histoire compliquée, ou comme une sorte de guerre de sécession qui tend à devenir une guerre entre Européens, voire une guerre entre les États-Unis et la Russie par procuration. L’ampleur de la rallonge de l’aide fournie par les États-Unis, qui pourrait atteindre 33 milliards de dollars et les déclarations de hauts responsables américains, notamment le secrétaire à la Défense Lloyd Austin qui voudrait « voir la Russie affaiblie au point qu’elle ne puisse plus faire le genre de choses qu’elle a fait en Ukraine », ne peuvent que les conforter dans leur analyse. Antony Blinken, secrétaire d’État, estime qu’il convient de s’assurer que la Russie subira un « échec stratégique », tandis que l’afflux de personnalités américaines à Kiev ou des déclarations imprudentes à Washington sous-entendent que l’objectif serait le départ de Vladimir Poutine.
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