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  • L’action navale au XXIe siècle, ou le cinquième âge du combat en mer (1/3) Quelle place et quelle finalité pour l’action navale au XXIe siècle ? (T 1395)

L’action navale au XXIe siècle, ou le cinquième âge du combat en mer (1/3) Quelle place et quelle finalité pour l’action navale au XXIe siècle ? (T 1395)

Thibault Lavernhe, « L’action navale au XXIe siècle, ou le cinquième âge du combat en mer (1/3) Quelle place et quelle finalité pour l’action navale au XXIe siècle ? (T 1395)  », RDN, 08 juin 2022 - 10 pages

© Marine nationale
© Marine nationale

Dans ce triptyque, l'auteur fait un essai de prospective sur le futur du combat en mer, prévoyant un cinquième âge – après la voile, le canon, l'avion et le missile – avec les actuels progrès technologiques. Révolution ou évolution ?

En 2022, caractériser les enjeux d’un XXIe siècle déjà bien entamé est un exercice répandu dans l’intégralité des compartiments de la puissance. Le champ militaire n’y échappe pas : de Revues stratégiques en Livres blancs, toutes les Nations se livrent régulièrement à l’analyse des rapports de force présents et à venir, et tentent d’en déduire la meilleure manière d’adapter leur appareil militaire, entre autres leviers, pour y faire face. Or, dans la symphonie du pouvoir, les forces navales redeviennent aujourd’hui, comme souvent dans l’histoire, l’un des principaux étalons de la puissance des États, dont l’espace aéromaritime constitue un lieu d’expression privilégié. Aussi, n’est-il pas inutile de s’intéresser aux grands déterminants de l’action navale d’aujourd’hui et de demain. Les cerner et comprendre leur dynamique, c’est se mettre dans les conditions de saisir les opportunités qui ne manqueront pas de se présenter, tout en évitant certaines impasses.

Pour la clarté du propos, commençons d’emblée par traiter deux questions autour de la notion d’action navale. Premièrement, l’action navale est-elle réductible au combat naval ? Non, bien sûr. On considérera ici l’action navale par le prisme extensif des opérations navales : non seulement aux quatre niveaux de la guerre (politique, stratégique, opératif et tactique), mais également dans ses trois modes d’expression, qu’il s’agisse de dissuader (la dissuasion est une forme d’action), de faire acte de coercition ou d’intervenir. Pour autant, caractériser l’action navale revient principalement à s’intéresser au combat naval, forme ultime d’exercice de la puissance navale. Aussi, sans prétendre réduire l’action navale au seul combat naval, on donnera à ce dernier, dans la suite, une place centrale. Deuxièmement, à l’heure de l’imbrication croissante des milieux (1) et des champs (2) de conflictualité, le terme « naval » n’est-il pas trop réducteur et ne devrait-il pas s’effacer au profit d’une approche plus globale de l’action « maritime » ou « militaire » ? Non, car le « naval » dont il va être question a ses spécificités. L’action navale n’est pas l’action maritime, qui lui est stratégiquement supérieure (3), pas plus qu’elle ne doit se diluer dans l’action militaire au sens large.

On verra à l’examen que l’action navale a franchi le seuil de ce qu’on a choisi de nommer ici le cinquième âge du combat naval. Ce nouvel âge succède, sans totalement les effacer, à ses quatre ancêtres : l’âge de la voile, l’âge du canon, l’âge de l’avion et l’âge du missile. Et nous verrons qu’en dépit d’un contexte physique et immatériel en rapide évolution, qui justifie l’identification d’un nouvel âge naval, la finalité de l’action navale et les principes qui la régissent brillent par leur stabilité.

Après avoir remis en perspective les finalités de l’action navale, l’étude examinera les rouages qui caractérisent le combat naval moderne, avant de s’intéresser à quelques principes qui semblent devoir perdurer dans l’ère qui s’ouvre.

Quelle place et quelle finalité pour l’action navale au XXIe siècle ?

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui marque une forme d’apogée quantitative et qualitative de l’action navale (4), et plus encore depuis la fin de la guerre froide, le contexte mouvant des opérations navales a pu poser la question de l’évolution de leur finalité. Pourtant, un examen des conditions d’emploi potentielles des forces navales à l’aube du XXIe siècle suggère que leur « cas d’usage » n’a pas fondamentalement évolué.

Les inflexions du contexte de l’action navale

Le contexte de l’action navale, c’est d’abord la mer, ce point de départ ou d’application de l’action des forces navales. Or, en dépit d’invariants, force est de constater que l’environnement maritime du XXIe siècle ne sera pas strictement identique à celui du XXe. Depuis un demi-siècle, la mer se « rétrécit », sous l’effet, d’une part, de l’extension de la portée et du nombre des moyens de détection basés à terre, en mer et dans l’Espace, et, d’autre part, de l’extension de la portée des systèmes d’armes basés à terre ou en mer. Si l’immense volume occupé par la masse maritime à l’échelle du globe n’a pas changé (5), la taille de la « zone littorale » (6) s’est en revanche dilatée, à tel point que l’on peut désormais considérer comme des « culs-de-sac » certaines zones telles la Baltique, la Méditerranée orientale ou encore la mer de Chine méridionale, au moins du point de vue opératif. Or, ces deux dernières zones étaient encore, il y a quelques décennies, des espaces où l’on pouvait manœuvrer sans subir l’ombre portée permanente de la masse terrestre. Dans leur sillage, d’autres « culs-de-sac » ne manqueront pas d’apparaître demain, qui sont autant de « zones contestées » en puissance. Remarquons au passage que la mer Noire, dont on parle beaucoup aujourd’hui, a toujours été un « cul-de-sac », au sens propre du terme : elle n’est donc pas révélatrice de cette tendance, même si elle en concentre les manifestations.

Milieu fluide et continu, l’espace aéromaritime est, par ailleurs, localement de moins en moins « lisse », sous l’effet du bourgeonnement constant d’installations construites par l’homme, telles les plateformes pétrolières, les îlots artificiels et, de manière croissante, les éoliennes. S’y ajoute une tendance forte à la territorialisation, dans une dynamique plus générale de remise en question du droit de la mer, abondamment commentée depuis deux décennies par de nombreux auteurs (7).

Sous la surface, le milieu sous-marin est aussi, en apparence, moins opaque, sous l’effet des progrès réels – capacités d’exploration des grands fonds – ou supposés – détection par gravimétrie quantique – dans le domaine de la détection sous-marine (8).

Lieu de l’action navale, la mer voit en outre ses contours évoluer, sous l’effet des changements climatiques, dans les hautes latitudes – réduction de l’emprise de la banquise – comme dans les latitudes plus basses – submersion annoncée de certains atolls.

Enfin, si la mer a toujours été un lieu de cohabitation et d’imbrication d’acteurs très divers, le XXIe siècle se caractérise par une démocratisation de l’accès à la haute mer, qui a pour conséquence, entre autres, une extension importante des activités criminelles sur l’océan (9). Sur ce dernier point, pas de changement de nature, certes, mais un changement d’échelle, oui. La piraterie et le trafic de stupéfiants en sont des exemples emblématiques : ces deux activités maritimes historiques ont ainsi connu un regain important au tournant du siècle, alors que, dans le même temps, le trafic maritime mondial explosait (10) et la taille des marines occidentales diminuait.

L’autre inflexion dans le contexte des opérations navales concerne le cadre de leur exercice. D’abord, la tendance lourde qui caractérise la conflictualité moderne est celle d’une disparition des opérations purement navales comme facteur de règlement des conflits. Certes, les forces navales ont été engagées dans la grande majorité des opérations militaires occidentales depuis 1945, mais, à l’exception de l’épisode des Malouines (1982) où la Royal Navy est à la manœuvre ou, de manière plus anecdotique, l’épisode de la guerre de la morue entre l’Islande et le Royaume-Uni jusque dans les années 1970 (11), les opérations navales s’imbriquent désormais quasi systématiquement dans un cadre interarmées qui les surplombe dès leur conception. Cette tendance à l’interarmisation des opérations, qui caractérise tous les appareils militaires occidentaux depuis 1990, est un élément de cadrage de l’action navale qui s’est encore accentué au XXIe siècle, sous l’effet de l’imbrication des milieux. Seules les deux extrémités de la conflictualité navale restent partiellement en marge de cette tendance : en haut du spectre, la dissuasion océanique ; en bas du spectre, les missions de police en mer (12). Pour le reste, le « naval » n’est globalement qu’un acteur parmi d’autres, parfois dominant, mais jamais seul à emporter la décision. Autrement dit, l’action navale devient plus dépendante du cadre interarmées dans lequel elle s’inscrit. Cela peut paraître une évidence au marin moderne, mais à l’échelle du temps long, c’est un tournant.

À cette tendance s’ajoute celle de la littoralisation de l’action navale. Cette littoralisation résulte à la fois de l’extension de l’influence de la terre sur la mer, déjà évoquée, mais aussi de la concentration des enjeux de pouvoir le long du littoral (13), et enfin de l’orientation résolue de l’action des forces navales en direction de la terre depuis la fin de la guerre froide. En parallèle, une part croissante des forces navales mondiales – au sens de leur contribution à l’action navale – est désormais basée à terre. Cela n’est certes pas nouveau : les batteries côtières, les troupes de marine, l’aviation de patrouille maritime ont été ou sont toujours des pans importants des marines mondiales. Toutefois, sous l’effet conjugué de l’extension de l’influence des senseurs et des armes terrestres sur l’espace maritime, des capacités de contrôle à distance offertes par la numérisation, et de l’évolution des performances des drones et des capteurs spatiaux, des actions hier réalisées par des bâtiments, des sous-marins ou des aéronefs basés en mer sont et seront de plus en plus réalisées par des moyens basés à terre. Ainsi de la surveillance des espaces maritimes, proches ou lointains, réalisée par des sémaphores, des drones ou des satellites contrôlés depuis la terre, ou encore de la frappe en mer, réalisée par des batteries de missiles – balistiques ou non – ou par une aviation d’assaut mise en œuvre depuis la terre. La Chine offre un exemple caractéristique de cette tendance (14). Cela n’empêche pas, bien sûr, de rattacher organiquement ces moyens à des commandements maritimes. Néanmoins, plus que jamais, les acteurs de la bataille navale, a fortiori si celle-ci se déroule dans un environnement littoral de plus en plus extensif, seront en grande partie basés à terre : les frappes de navires de combat par des batteries de missiles côtières, depuis les Malouines (1982) jusqu’au croiseur russe Moskva (2022) en passant par la corvette israélienne Hanit (2006), en sont des illustrations. À cela se superpose la décroissance inexorable de la taille des flottes de combat occidentales depuis la sortie de la guerre froide (15), réduction qui est à la fois une conséquence et une caractéristique du contexte que nous décrivons ici.

Enfin, le cadre des opérations navales, en plus d’être marqué par une imbrication croissante des milieux sur laquelle nous reviendrons, est affecté par l’évolution des formes de la conflictualité. C’est typiquement le cas de ce que l’on désigne aujourd’hui sous les termes d’hybridité et de zones grises, sur lesquels la littérature abonde depuis 2005 (16). Indépendamment du débat sur la pertinence de ces termes, ce glissement du centre de gravité des rapports de force sous le double « seuil » de l’agression et de l’attribution, affecte durablement le cadre des opérations navales en imposant de nouvelles grilles de lecture qui viennent se superposer – sans les effacer – aux schémas plus traditionnels. Dans ce contexte, les facteurs usuels de supériorité, sans s’évaporer, deviennent en apparence moins décisifs lorsque l’irrégulier se mêle au régulier, la communication à l’ambiguïté et la coopération à la contestation.

Quelles conséquences sur la finalité de l’action navale ?

Combinés, tous ces facteurs de changement semblent remettre en cause la finalité de l’action navale. Un examen superficiel pourrait ainsi laisser penser que certains pans historiques en sont désormais secondaires, voire obsolètes. La conquête du contrôle de la mer par la bataille décisive ? Malgré la résurgence des puissances navales, elle semblerait une hypothèse peu réaliste à l’ère des affrontements « sous le seuil » et de la dissuasion nucléaire. La guerre de course pour frapper le commerce adverse ? À l’ère de l’imbrication des intérêts économiques entre États-puissances, elle serait contre-productive. Le blocus maritime ? Cette action, pour être efficace, impliquerait des moyens navals et une résolution politique hors d’atteinte. La projection de force ? Alors que trois décennies d’absence d’opposition se referment, elle serait devenue trop risquée, et politiquement peu acceptable, comme en témoigne la réticence de mise à terre de troupes dans les récents engagements occidentaux (17), interventions humanitaires mises à part. La projection de puissance ? Pourquoi pas, mais à l’heure de l’action aérienne à longue portée, passer par la mer serait un luxe dispendieux. La protection du territoire ? Elle se jouerait d’abord à terre, l’action navale étant limitée, là encore, à la dissuasion océanique ou à des tâches de police comme la lutte contre les trafics illicites. La surveillance de l’espace aéromaritime ? Cela est certes important, mais les drones et les satellites ne peuvent-ils pas s’en charger ? Finalement, la finalité de l’action navale du XXIe siècle ne serait-elle pas circonscrite à quelques cas d’usage bien balisés : la projection de puissance depuis la haute mer au sein d’une campagne aérienne ou à l’occasion d’un raid de tir missiles de croisières, la dissuasion océanique, et surtout, le vaste champ de « l’ordre en mer », c’est-à-dire, de manière très globalisante, la police en mer par laquelle on ne traite plus des ennemis, mais de simples menaces ? À ces finalités limitées de l’action navale viendraient s’ajouter, de temps à autre, le transport maritime – servitude « castexienne » (18) par excellence – et un peu de diplomatie navale. Dans son entreprise de modélisation du Sea Power contemporain, l’historien britannique Geoffrey Till a même théorisé la notion de Post-Modern Navy, c’est-à-dire de marine « au cœur du processus de globalisation », dont l’action consisterait à sécuriser les Global Commons dans une approche coopérative (19). Ce modèle aurait tendance à remplacer, selon lui, en Occident, celui de State-Centric Navy. D’ailleurs, ne pourrait-on pas aller encore plus loin en prenant acte du recul de la force militaire comme facteur de règlement des conflits contemporains ? À l’heure des « approches globales » et des affrontements en « zones grises », n’est-il pas criant que la chose militaire n’apportera que rarement la solution, voire serait carrément contre-productive ? Ces questions ne manquent pas d’être soulevées par certains commentateurs des impasses en Irak, en Syrie, en Afghanistan ou encore au Mali.

Pourtant, un examen plus approfondi montre qu’en dépit de ces inflexions contextuelles, les finalités de l’action navale au XXIe siècle restent globalement inchangées : la palette des cas d’usage des opérations navales, quel que soit leur cadre ou leur contexte, reste toujours aussi vaste, voire, dans certains cas, s’est en réalité élargie.

L’espace aéromaritime, en dépit de ses évolutions, est et restera selon toute vraisemblance un milieu à maîtriser et à exploiter. Sa maîtrise – c’est-à-dire la capacité à y opérer librement et à en interdire le cas échéant la jouissance à un adversaire – et son exploitation – c’est-à-dire son utilisation pour atteindre un objectif en mer ou dans un autre milieu – sont deux finalités toujours actuelles de l’action navale. L’absence d’effort à fournir pour la conquête de la maîtrise de l’espace aéromaritime depuis la chute de l’URSS a pu laisser penser qu’elle était donnée sans ticket d’entrée, mais tout indique que ce n’est plus le cas. De même, l’hybridité et la conflictualité « sous le seuil », en dépit des réponses indirectes qu’elles semblent appeler, ne déclassent pas l’action des forces navales. Au contraire, elle leur pose un défi renouvelé dans leur effort de conquête, même temporaire et locale, du command of the sea (pour utiliser un terme un peu désuet), y compris en l’absence d’échange de coups ostensibles. Les forces navales s’en trouvent misent « au défi » (20), pour reprendre une tournure utilisée par le Chef d’état-major de la Marine. Une grande partie de l’activité d’une force navale aujourd’hui consiste ainsi à se frayer un espace pour agir librement sans subir la loi des forces d’opposition, en particulier dans les zones littorales contestées comme la Méditerranée orientale, le golfe Persique ou la mer de Chine méridionale. C’est typiquement le défi qui a été relevé par le groupe aéronaval français lors de son dernier déploiement Clemenceau 22 en Méditerranée, alors qu’il lui fallait opérer dans un espace contraint marqué par une forte densité d’unités russes (21). Et pour y parvenir, une force navale doit tirer tout le parti des outils qui accompagnent l’entrée dans un nouvel âge du combat naval, qu’on examinera plus loin.

La conquête et le maintien de la maîtrise d’une portion de l’espace aéromaritime restent donc une finalité importante de l’action navale moderne. Qu’en est-il de l’exploitation de cet avantage ? Dans ce domaine, les trois pôles historiques de l’exploitation restent stables : agir vers la terre, exploiter la masse d’eau (et les fonds associés) et circuler librement. Ces trois pôles, traditionnellement rattachés respectivement à la figure du militaire, du pêcheur et du marchand, continuent à structurer l’action navale du siècle présent.

L’action vers la terre, car les options d’accès offertes par la mer aux zones de crises d’aujourd’hui et de demain restent déterminantes, en dépit de la plus grande viscosité de l’espace maritime. Il suffit de se pencher sur l’immensité de la zone Indo-Pacifique pour se convaincre de la « tyrannie des distances » (22) et du levier qu’apporte le Sea Basing pour y faire face. Et encore l’action vers la terre ne doit-elle pas s’entendre uniquement en termes de projection de puissance ou de force : elle commence dès les actions de renseignement, comme l’illustre, par exemple, la présence permanente ininterrompue depuis plusieurs années d’une frégate française dans le canal de Syrie pour observer depuis la mer la dynamique du conflit syrien.

L’exploitation de la masse d’eau, car elle restera selon toute vraisemblance le lieu de dilution des Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), mais surtout car l’exploitation des ressources de la mer et des fonds marins impliquera de plus en plus l’action de forces navales en raison des appétits de puissance qu’elles suscitent. La collusion entre les actions des forces navales et des exploitants civils de l’espace maritime en témoigne : en Méditerranée orientale, où la marine turque consacre une large part de son activité à sécuriser l’action des navires de prospection et de forage, ou en mer de Chine méridionale, où les milices et les garde-côtes chinois unissent leurs efforts pour accaparer les ressources de la colonne d’eau. Plus généralement, l’action de la grande majorité des marines pour surveiller leurs espaces de souveraineté s’inscrit également dans ce cadre. Alors que le XXIe siècle promet de trouver une grande partie des solutions à ses problèmes de ressources en mer (23), ce cas d’usage restera un marquant fort de la finalité de l’action navale.

Circuler librement, enfin, car la dynamique de maritimisation qui a caractérisé tous les cycles de mondialisation depuis les grandes découvertes, n’est pas près de s’éteindre dans le siècle à venir. Cette évidence s’est rappelée en creux avec l’affaire du blocage du canal de Suez par le porte-conteneurs Ever Given en mars 2021 (24) ou, plus récemment, par les conséquences de la guerre en Ukraine sur le trafic maritime et, par rebond, sur les économies de la région (25). L’action navale y trouve, et y trouvera, là aussi, un cadre d’emploi persistant, qu’il s’agisse de rendre possible cette libre circulation ou, au contraire, de l’entraver, comme le montre l’action de la marine russe en mer Noire depuis le début du conflit en Ukraine. Une raison de la relative perte de vue de cette finalité de l’action navale est qu’en dehors de la piraterie, considérée comme une menace endémique et non comme un adversaire, l’action des marines dans ce registre reste diffuse. La dernière action navale significative – c’est-à-dire ayant mobilisé des moyens importants face à un adversaire identifié – dans ce domaine reste la guerre des tankers des années 1980 (26). Pour autant, la résurgence de la conflictualité hybride suggère que la guerre de course n’est pas qu’une vue de l’esprit (27), comme en témoignent les incidents qui émaillent le trafic maritime autour du détroit de Ormuz et en Méditerranée orientale depuis l’été 2019, mais aussi les agressions répétées sur des navires de commerce en mer Noire depuis le mois de février 2022 (28), qui ne relèvent pas que de simples dommages collatéraux.

En dernier lieu, remarquons que les Freedom of Navigation Operations (FONOPS), organisées régulièrement par l’US Navy dans plusieurs zones du globe (détroit de Taïwan, mer Noire ou approches du Venezuela) (29), constituent un cas d’usage basique mais stratégique de l’action navale en soutien du « circuler librement », appelé à se développer sous l’effet de la croissance des zones grises.

Voilà donc pour les trois pôles historiques de l’exploitation. Cependant, les cas d’exploitation de la maîtrise de l’espace aéromaritime ne s’arrêtent pas là. Trois autres cas d’usage se dessinent résolument.

• Premièrement, l’action navale à des fins de protection de la masse terrestre. Certes, la défense maritime des côtes n’est pas nouvelle : elle traverse l’histoire, des escadres britanniques gardant la Manche face à la menace napoléonienne aux torpilleurs de l’amiral Aube gardant le littoral français contre l’hegemon anglais à la fin du XIXe siècle. Toutefois, la montée en puissance de la défense contre la menace balistique depuis la mer ajoute une nouvelle dimension à l’action navale dans son rôle de bouclier, à tel point qu’une partie des flottes américaine, japonaise ou néerlandaise est désormais spécialisée dans cette fonction (30), qu’il s’agisse de protéger des territoires et leurs populations ou, dans d’autres cas, des installations militaires fixes, comme à Guam ou dans les États du golfe Persique. Dans ce domaine, les progrès sont constants : le 16 novembre 2020, l’USS John Finn a ainsi réalisé la première interception historique d’une cible simulant un pro fil de missile balistique intercontinental avec un de ses intercepteurs SM-3 block II-A.

• Deuxièmement, l’action navale vers l’Espace. On parle souvent de l’effet de l’Espace sur l’action navale, mais l’inverse est occulté. Or, non seulement les forces navales sont, et seront, capables de voir ce qui se passe dans l’Espace (31), mais elles pourront aussi être des acteurs d’une « guerre des étoiles » en détruisant des satellites depuis la mer, comme le montre le tir d’un missile SM-3 de l’ USS Lake Erie sur un satellite espion américain en février 2008.

• Troisièmement, l’action navale vers les grands fonds. Là encore, la thématique des câbles sous-marins n’est pas nouvelle, comme le suggère une rapide revisite de l’histoire des deux conflits mondiaux et de la guerre froide (32). Cependant, le Seabed Warfare promet de devenir une finalité importante de l’action navale du temps qui vient, comme en témoignent, par exemple, les capacités russes (33) et les annonces occidentales (34) dans ce domaine. Le champ du secours aux sous-marins en détresse participe également à positionner les acteurs à travers des démonstrations capacitaires, sous forme de soft power. Le cas des opérations de recherche du sous-marin indonésien KRI Nanggala-402, perdu le 21 avril 2021 par 800 mètres de fond, a ainsi vu la Chine, arrivée en fanfare pour aider Djakarta après avoir écarté les États-Unis de l’opération, échouer dans ses opérations de récupération (35).

En dernier lieu, comment ne pas mentionner le cas d’usage politique, ou plutôt diplomatique, des forces navales ? Dans la continuité de l’ambassadeur britannique James Cable, le stratégiste français Hervé Coutau-Bégarie en a dressé une fresque très complète dans un ouvrage publié en 2011 (36), montrant la grande variété des options dans ce domaine. Qu’en est-il pour la suite du siècle en cours ? Cet usage ne semble pas devoir faiblir : il suffit d’observer, entre autres manifestations, le couplage métronomique entre l’action diplomatique américaine et les déploiements de ses groupes aéronavals, ou encore, récemment, le premier déploiement du porte-aéronef britannique HMS Queen Elizabeth pendant de longs mois, avec au programme plusieurs dizaines de pays visités (37) sur fond de stratégie Global Britain. À l’échelle régionale, on peut citer l’exemple de la puissance turque, qui manie également le langage de la diplomatie navale en Méditerranée. Plus que jamais, l’action navale, prise au niveau stratégique, fait partie du grand jeu. Et au sein de la typologie de la diplomatie navale proposée par Hervé Coutau-Bégarie, il semble que le registre dissuasif soit appelé à occuper une place prépondérante, comme souvent dans l’histoire des relations internationales.

On retiendra donc de ce tour d’horizon que les changements passés et à venir dans l’environnement de l’action navale n’en affectent pas fondamentalement les finalités. Au contraire, elles les confortent, et, dans certains cas, les dilatent. Il n’en va en revanche pas de même pour les modalités du combat naval.

(À suivre… )

 

(1) On distingue classiquement les milieux terrestre, maritime, aérien, exo-atmosphérique et le cyberespace.
(2) En France, le Concept d’emploi des forces (édité par le Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations, ce document de niveau stratégique constitue la partie supérieure du corpus doctrinal des armées françaises) publié en 2020 distingue les champs immatériels informationnel et électromagnétique. Le périmètre des champs de conflictualité reste toutefois variable suivant les sources et les auteurs.
(3) Voir Corbett Julian, Some Principles of Maritime Strategy [1911], Annapolis, Naval Institute Press, 1988. Julian Corbett (1854-1922) est le grand théoricien des rapports du naval au maritime.
(4) Symonds Craig L., Histoire navale de la Seconde Guerre mondiale, Perrin, 2020.
(5) 70 % de la surface du globe est recouverte par les océans.
(6) Il n’existe pas de définition stricte de la notion de zone littorale. On peut néanmoins considérer qu’il s’agit de l’espace regroupant la bande maritime sous l’influence directe de la masse terrestre (notamment en termes de détection et d’engagement) et nécessaire au soutien des opérations à terre, ainsi que la bande terrestre qui peut être attaquée, soutenue et défendue directement depuis la mer.
(7) Voir, par exemple, Prazuck Christophe, « Mer de Chine et droit de la mer – Le paradoxe chinois », Lettre du Centre Asie, n° 90, Ifri, 7 mai 2021 (https://www.ifri.org/).
(8) Morel Alexis, « Les enjeux stratégiques des espaces sous-marins » (conférence pour la chaire « Grands enjeux stratégiques contemporains »), La Sorbonne, le 3 avril 2017.
(9) Manet Florian, Le crime en bleu – Essai de thalassopolitique, Nuvis, 2018, 262 pages.
(10) Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans (Rapport d’information n° 674), Sénat, 17 juillet 2012 (https://www.senat.fr/).
(11) La guerre (ou plutôt les guerres) de la morue oppose le Royaume-Uni à l’Islande entre 1952 et 1976 autour de la question de l’extension unilatérale de ses zones de pêche par l’Islande, qui provoque une réaction militaire de Londres pour protéger les pêcheurs britanniques. Plusieurs interactions violentes eurent lieu.
(12) Par exemple, l’opération Atalanta de lutte contre la piraterie dans l’océan Indien ou encore l’opération Agénor de protection du trafic maritime dans le détroit d’Ormuz.
(13) Maritimisation (Rapport d’information) n° 674, op. cit.
(14) McDevitt Michael, China as a 21st Century Naval Power—Theory, Practice, and Implications, Annapolis, US Naval Institute Press, 2020, 320 pages.
(15) En 1987, l’US Navy aligne 525 bâtiments de combat dont 15 porte-avions et 36 SNLE. En 2020, elle aligne 296 bâtiments de combat dont 10 porte-avions et 14 SNLE. La France compte, en 1987, 144 bâtiments de combat, contre 72 en 2020.
(16) En 2005, le général américain Mattis donne de la visibilité à cette expression dans un article : voir Mattis James et Hoffman Franck, « Future Warfare: The Rise of Hybrids Wars », Proceedings, vol. 131, n° 1233, novembre 2005, p. 18-19.
(17) Libye, Syrie et Irak notamment.
(18) Dans ses Théories stratégiques (1929-1935), l’amiral Castex désigne sous le terme de « servitudes » les exigences des stratégies externes qui peuvent imposer aux forces navales d’autres missions que celle de la recherche du combat.
(19) Till Geoffrey, Seapower: A Guide for the Twenty-First Century (3e édition, revue et augmentée), London/New York, Routledge, 2013, p. 35.
(20) Intervention de l’amiral Pierre Vandier à l’Institut français des relations internationales (Ifri), le 17 juin 2021.
(21) De février à avril 2022, le groupe aéronaval français, constitué autour du porte-avions Charles-de-Gaulle, a opéré depuis la Méditerranée centrale et orientale en support de plusieurs opérations aéroterrestres (Chammal au Levant, EUFOR Althéa dans les Balkans et Enhanced Vigilance Activities en Europe de l’Est), dans un contexte de forte présence navale et aérienne des forces armées de la fédération de Russie.
(22) Vandier Pierre, op. cit. La Nouvelle-Calédonie est à 20 000 km, soit 36 jours de mer et 19 heures de vol. Tahiti est à 16 000 km est à 28 jours de mer et 18 heures de vol en passant par les États-Unis. Depuis Tahiti, Singapour est à 12 000 km et 12 heures de vol, et Guam à 6 heures de vol.
(23) Pour un panorama sur le volet énergétique des ressources de l’espace maritime, voir Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM), « Énergies », Études Marine, n° 16, juin 2019.
(24) Kumar Shashi et Mercogliano Salvatore, « Alchemy of the Ever Given », Proceedings, vol. 147, n° 1418, avril 2021.
(25) 97 % des exportations de l’Ukraine passent par ses ports. Le vrac céréalier y tient une part importante : en 2020, les seules exportations de blé ukrainiennes représentaient 11 % du total mondial (chiffres émis par l’Organisation maritime internationale, mars 2022). Les pays arabes, en particulier l’Égypte, sont très dépendants des exportations ukrainiennes.
(26) Razoux Pierre, La guerre Iran-Irak, Perrin, 2014, 608 pages.
(27) Cancian Mark et Schwartz Brandon, « Unleash the Privateers ! », Proceedings, vol. 146, n° 1406, avril 2020 (https://www.usni.org/magazines/proceedings/2020/april/unleash-privateers).
(28) Au 5 mai 2022, depuis le début du conflit en Ukraine, 19 navires civils ont été frappés en mer Noire et en mer d’Azov, par des mines, des missiles ou de l’artillerie (chiffres issus des décomptes réalisés par le Maritime Information Cooperation & Awareness Center – MICA Center – et par le Centre opérationnel de la fonction garde-côtes – COFGC).
(29) L’US Navy a organisé 10 FONOPS en 2019 et autant en 2020 ; cf. « DoD Annual Freedom of Navigation Reports » (https://policy.defense.gov/ousdp-offices/fon/). Ces opérations consistent souvent en un simple transit dans des zones de haute-mer dont l’usage est contesté par certaines puissances riveraines en raison de revendications qui dépassent le cadre fixé par le droit de la mer.
(30) Voir les éditions de mars et de mai 2022 (vol. 148, nos 1431 et 1429) de Proceedings consacrées respectivement à un passage en revue de l’US Navy et des marines mondiales.
(31) Un radar de veille aérienne longue portée comme le SMART-L ER (Extended Range), qui équipe certaines frégates occidentales, permet de détecter les satellites défilant en orbite basse.
(32) Sheldon-Duplaix Alexandre et Huchthausen Peter, Guerre froide et espionnage naval, Nouveau Monde, 2009.
(33) Voir Sutton H. I., « 5 Ways The Russian Navy Could Target Undersea Internet Cables », Naval News, 7 avril 2021 (https://www.navalnews.com/naval-news/2021/04/5-ways-the-russian-navy-could-target-undersea-internet-cables/).
(34) Le ministère des Armées français a publié en février 2022 sa stratégie de maîtrise des fonds marins, comportant tout un pan capacitaire (https://www.defense.gouv.fr/). La Royal Navy a annoncé récemment qu’elle mettrait en service un Multi-Role Ocean Surveillance Ship (MROSS) dédié à la défense des câbles sous-marins d’ici 2024. Voir par exemple : Hakirevic Prevljak Naida, « Royal Navy to get New Multi-Role Ocean Surveillance Ship », Naval Toda y, 25 mars 2021 (https://www.navaltoday.com/2021/03/25/royal-navy-to-get-new-multi-role-ocean-surveillance-ship/).
(35) Voir par exemple : AFP, « L’Indonésie renonce à récupérer son sous-marin coulé », Le Point, 2 juin 2021 (https://www.lepoint.fr/monde/l-indonesie-renonce-a-recuperer-son-sous-marin-coule-02-06-2021-2429306_24.php).
(36) Coutau-Bégarie Hervé, Le meilleur des ambassadeurs : Théorie et pratique de la diplomatie navale, Economica, 2010, 383 pages.
(37) Ho Ben et He Wendy, « HMS Queen Elizabeth’s Indo-Pacific Deployment », Proceedings, vol. 147, n° 1417, mars 2021.

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