Réchauffement des relations américano-saoudiennes ? (T 1398)
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Le président Biden devrait effectuer en juin 2022 une visite à Riyad pour rencontrer les dirigeants arabes du Golfe. La récente visite à Washington du prince Khaled ben Salman, frère du prince héritier (MBS) et vice-ministre de la Défense, ainsi que l’entretien que viennent d’avoir les ministres des Affaires étrangères des deux pays sont des indices clairs de la préparation active de cette visite.
Les sujets de concertation ne manquent pas, en particulier la guerre en Ukraine (avec ses implications politiques, économiques et pétrolières), ainsi que les perspectives de l’accord nucléaire avec l’Iran. Cependant, il s’agit aussi d’un tournant dans la politique de l’administration Biden à l’égard de MBS quand on se rappelle les critiques du Président à son égard et les réticences persistantes des Démocrates, d’une bonne partie de la presse américaine et de l’Agence centrale du renseignement (CIA) envers le prince héritier saoudien. Il y a clairement une volonté de détente dans la relation bilatérale qui s’explique par le souci de Washington de ménager ses alliés traditionnels face à la crise avec Moscou et aux ambitions chinoises.
De ce fait, les observateurs spéculent sur le type de « deal » que pourraient faire Américains et Saoudiens : reconnaissance par Biden de l’inéluctabilité de la montée sur le trône saoudien de MBS, en échange du règlement de l’affaire Saad Al Jabri (par la libération de ses enfants emprisonnés en Arabie saoudite), de la libération de quelques prisonniers politiques saoudiens et d’un engagement de Riyad à accroître sa production pétrolière pour alléger la pression sur les prix du brut.
En réalité les choses sont un peu plus compliquées car :
• L’Arabie tient à son accord pétrolier avec la Russie dans le cadre de l’accord Opep + (1) et elle ajustera sa production surtout aux besoins de l’économie globale, en tenant compte de la perspective d’un ralentissement de la croissance mondiale.
• L’incertitude demeure sur l’accord nucléaire avec Téhéran, alors que la perception d’une menace iranienne reste forte en Arabie.
• Les élections de mi-mandat (2) aux États-Unis se rapprochent (mardi 8 novembre 2022) et les Saoudiens ont toujours eu de meilleures relations avec les Républicains qu’avec les Démocrates.
• La situation financière de l’Arabie s’est nettement améliorée, attirant à nouveau les hommes d’affaires du monde entier sur les opportunités offertes par les grands projets saoudiens.
• MBS a renforcé à l’intérieur sa légitimité à succéder, le moment venu, à son père le roi Salman.
Dans ces conditions, MBS peut considérer que sa main est aujourd’hui meilleure par rapport au protecteur traditionnel américain (3). Il s’apprête d’ailleurs à effectuer une tournée régionale en Égypte (le partenaire stratégique dans la région), en Algérie (médiation saoudienne entre Alger et Le Caire sur la Libye et entre Rabat et Alger), en Grèce et à Chypre (coopération économique) et en Turquie (visite de retour à Erdogan après le déplacement du Président turc en avril 2022) (4), montrant qu’il est sorti de son isolement après l’affaire Khashoggi.
Par ailleurs la visite à Riyad de Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères russes, souligne la volonté de l’Arabie et des pays du Golfe de diversifier leurs partenaires, renforçant ainsi leur autonomie face à Washington.
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En somme on peut dire qu’il y a une réelle volonté d’enterrer la hache de guerre entre l’administration Biden et MBS, et de perpétuer le partenariat stratégique entre les États-Unis et l’Arabie saoudite ; mais cette relation bilatérale est désormais conçue de manière à mieux prendre en compte les intérêts nationaux saoudiens bien compris. Le dernier accord intervenu au sein de l’Opep – prévoyant une augmentation modérée de la production de brut du cartel – illustre cette politique de l’Arabie qui fait un geste à l’égard de Washington dans la perspective de la prochaine visite du président Biden à Riyad tout en préservant sa coopération pétrolière avec la Russie. ♦
(1) C’est-à-dire les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Algérie, Angola, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Gabon, Guinée équatoriale, Irak, Iran, Koweït, Libye, Nigeria, République du Congo et Venezuela) plus dix autres pays producteurs : Russie, Mexique, Kazakhstan, Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunei, Malaisie, Oman, Soudan et Soudan du Sud.
(2) Qui verra le renouvellement complet de la Chambre des représentants (435 sièges) et partiel du Sénat (un tiers des 100 sièges). Actuellement, la majorité démocrate n’est que 12 sièges à la Chambre (221 Démocrates, 209 Républicains et 5 vacants). Le Sénat est, lui, composé de 50 Républicains, 48 Démocrates et 2 indépendants mais qui font partie de la majorité démocrate.
(3) Lire nos articles : « Point sur la relation américano-saoudienne » (Tribune n° 1327), RDN, 22 octobre 2021 ; et « Frictions américano-saoudiennes » (Tribune n° 1383), RDN, 28 avril 2022.
(4) Lire notre article : « Nouveaux rééquilibrages au Moyen-Orient ? » (Tribune n° 1387), RDN, 10 mai 2022.