Analyse par l'Ambassadeur Bertrand Besancenot des enjeux liés aux visites en Europe de Mohammed ben Salmane en Grèce et en France.
Comment interpréter les visites de Mohammed ben Salmane en Grèce et en France ? (T 1420)
(Wikimedia Commons)
Le prince héritier saoudien a effectué fin juillet une double visite en Europe, à Athènes et à Paris. En Grèce, ce voyage a été l’occasion de signer plusieurs accords en matière d’énergie, de technologie, de communication et de défense. Le prince a déclaré que les investissements saoudiens feraient de la Grèce un hub énergétique pour la distribution d’hydrogène vert dans le sud-est de l’Europe. Par ailleurs, la société de télécommunications grecque TSSA a signé un contrat de 850 millions de dollars avec son homologue saoudienne STC « pour construire un corridor de données entre le royaume et l’Europe à travers un réseau moderne de fibres optiques à haute capacité ». On se souvient également qu’au début de l’année, la Grèce avait déployé en Arabie une batterie de missiles Patriot servie par 200 hommes ; et il semble que la Grèce fournisse la Défense aérienne de la cité industrielle de Yanbu et du projet urbain NEOM, dans l’ouest du royaume. En France, les entretiens entre le président Macron et MBS ont eu un caractère essentiellement politique, passant en revue les diverses tensions régionales et internationales actuelles.
Il est intéressant de relever que la presse américaine a mis en parallèle les résultats positifs de cette double visite en Europe et l’absence de concessions saoudiennes envers le président Biden lors de sa visite à Riyad le 15 juillet. En réalité il semblerait qu’il y ait eu la signature d’un contrat de 3 Mds $ pour l’acquisition par l’Arabie saoudite de missiles Thaad.
Il est cependant exact que le choix par MBS de visiter Athènes et Paris (après une tournée en Égypte et en Turquie notamment) n’est pas sans signification. À un moment où Riyad conserve ses doutes sur la fiabilité de l’engagement américain auprès de ses alliés arabes du Golfe – perplexité entretenue par la perspective de la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran – il est clair que la diplomatie saoudienne souhaite diversifier ses partenariats : avec la Chine (premier partenaire commercial), avec la Russie (partenaire pétrolier important dans le cadre d’OPEP+), avec les Européens et probablement en rejoignant les BRICS.
Or, aujourd’hui la France apparaît comme le leader politique de l’Europe et a des capacités militaires dans le Golfe ; de plus, la Grèce est un allié proche de Paris, notamment dans le domaine de la défense.
Ces deux pays ont par ailleurs des relations délicates avec Ankara, ce qui constitue pour Riyad un élément éventuel de pression sur Erdogan qui – malgré sa réconciliation avec MBS – conserve des liens étroits avec l’Iran, comme on l’a vu lors du sommet tripartite Poutine-Raïssi-Erdogan à Téhéran en juillet.
Il est cependant vrai que les Saoudiens – tout en gardant leur prévention à l’égard du régime iranien – poursuivent eux-mêmes un dialogue discret avec Téhéran, qui pourrait aboutir à la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays.
Cela montre que la diplomatie saoudienne se veut pragmatique et tient compte de la complexité de la nouvelle donne internationale afin de garder ses options ouvertes, même si la plupart des observateurs estiment que Riyad espère un retour des Républicains à Washington.
Cette recherche actuelle par l’Arabie d’une diversification de ses partenaires constitue néanmoins une opportunité intéressante pour la France – et son allié grec – que nous devons exploiter. ♦